27 octobre 1906 apr. M.

26 10 0
                                    

Les sorciers utilisent le transfert pour tous les déplacements.

C'est un sortilège qui leur permet de passer d'un endroit à un autre en quelques secondes, quelle que soit la distance. Serge en personne s'est occupé de me transporter. Il a pris le temps de m'expliquer un peu le principe : plus le chemin à parcourir est long, plus il demande de magie à l'enchanteur. J'ignorais que les sorciers n'en avaient qu'en quantité limitée. Du coup, quasiment personne au sein de la Fédération n'est capable de se transférer sur l'intégralité du territoire.

Une des premières choses que les enchanteurs ont faites lorsqu'ils ont fondé leur nation, c'est de déployer un gigantesque maillage de sortilèges afin que n'importe qui puisse aller n'importe où. Les sorciers qui utilisent ce réseau y contribuent avec la même quantité de magie, qu'ils voyagent de trente mètres ou de trois mille kilomètres. Pour trente mètres, la participation est supérieure à ce que cela coûte vraiment, mais les dizaines de milliers de courts déplacements permettent de compenser les longs, moins nombreux.

Ça m'a surpris, ce système, car les sorciers mettent peu souvent leurs efforts en commun. Serge m'a expliqué que, n'ayant pas de magie (même si maintenant, j'ai un réservoir dans le bras), il devait obtenir une autorisation spéciale pour me transférer, et qu'il allait « payer » deux fois.

Je lui ai demandé si ça ne lui poserait pas de problèmes, il a souri et a dit que non, ça irait, il avait de la marge. J'ai compris d'un coup que cette histoire de quantité de magie limitée pour un enchanteur, ça signifie que tous ne se valent pas : ceux qui ont de plus grandes réserves ou la capacité de les renouveler plus vite sont plus forts, plus puissants que les autres.

Serge, pour être si haut placé, doit être assez balèze comme sorcier. Je lui ai fait part de mes réflexions. On était dans son bureau, quasiment vide. Il rangeait ses dernières affaires et m'avait demandé de le rejoindre. C'était un moment étrange, pour lui comme pour moi. Le jour déclinait, la pièce était de moins en moins éclairée. On avait tous les deux conscience de tourner une page importante de nos vies.

Serge m'a dit qu'en effet, comme enchanteur, il se débrouillait bien, mais que l'habileté et l'endurance ne suffisaient pas pour faire un bon sorcier, et encore moins un bon chef. Je n'ai rien répondu sur le moment. J'étais près de la fenêtre et je regardais la cour de la caserne tomber dans la nuit en passant ma main organique sur le métal de mon nouveau bras pour me familiariser avec ses courbes, ses gravures et ses arêtes.

L'école dans laquelle il m'a envoyé, ces deux dernières années, était liée à l'armée et j'ai cramé pas mal d'heures à assister aux exercices militaires. La garnison, sous l'impulsion de Serge, est très mobilisée pour lutter contre les Vestes Grises. Ici, l'Ordre, c'est l'ennemi.

Ça ne sera pas forcément le cas à Stuttgart, m'a prévenu Serge. À Stuttgart, Leuthar est plus présent, plus influent, plus actif politiquement. Ses exactions restent souvent impunies.

« Et Leuthar, il donne quoi niveau puissance magique, par rapport à toi ? » j'ai demandé.

En théorie, je devrais le vouvoyer. En public, c'est ce que je fais, mais comme j'avais commencé à le tutoyer avant, l'habitude reprend le dessus les rares fois où on est seuls. Ça n'a pas l'air de le déranger.

Ma question lui a tiré un sourire crispé. Les pouvoirs de Leuthar dépassent simplement l'entendement.

Le carnet de MadenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant