La Lumière d'Hallmar - Tome I

Chapitre 11-1

Le silence retomba dans la salle. Le regard hanté tourné vers les flammes de la cheminée, chacun de nous semblait chercher la chaleur corporelle de son voisin. Malgré la douceur de cette nuit d'été, nous frissonnions, envahis par un froid intérieur.

Notre contemplation silencieuse fût interrompue à l'arrivée de la vieille guérisseuse.

— Allons donc mes enfants, quel mines sombres vous avez tous ! J'ai réussi à faire dormir les garçons avec mes infusions somnifères mais pour vous j'ai une bien meilleure idée, dit-elle en brandissant une bouteille d'eau de vie au reflet verdâtre.

Ainsi nous fîmes tourner la bouteille. L'alcool avait un goût épouvantable mais quelques gorgées suffirent à nous réchauffer et à nous remonter le moral.

Après avoir peaufiné les détails du voyage du lendemain et déterminé un plan pour tenter de rattraper les fugitifs, nous allâmes nous coucher. Cette fois-ci, nous serions logés dans l'auberge, où les deux plus belles chambres nous avaient été attribuées.

*****

Ellie

J'étais emmitouflée dans les couvertures dans un grand lit confortable que je partageais avec Kara. Je fixais le plafond, ressassant les événements de la soirée depuis une heure quand ma compagne prit la parole :

— A quoi penses-tu petite sœur ? Ton esprit est tellement agité, que j'ai l'impression de l'entendre bouillonner, dit-elle en se tournant vers moi.

— Oh, tu me prendrais pour une fille étrange si tu savais à quoi je pense actuellement...

— Mais tu es une fille étrange ! Cela je n'en doute pas, dit-elle en riant.

Voyant son sourire espiègle j'éclatai de rire à mon tour. Après les événements de la soirée, je crois que nous avions vraiment besoin de ce moment de détente et de complicité féminine.

— Laisse-moi deviner ! dit-elle en souriant. Tu penses à un beau jeune homme aux yeux sombres et taciturnes ?

Elle avait réussi à lire dans mon esprit ! Moi qui pensais être discrète !

— Comment as-tu su ? demandais-je en baissant les yeux.

— Il y'a des signes qui ne trompent pas, surtout quand on est observatrice. J'ai vu comment tu le regarde quand tu penses être seule. Je t'ai vu rougir et baisser les yeux quand il croise ton regard, et j'ai remarqué ton léger sursaut quand sa peau effleure la tienne. Tu as la chair de poule comme-si ce contact te faisait frissonner !

— Je ne pensais pas être si transparente...

— Ne t'inquiète pas. Je pense qu'il n'a pas remarqué ton petit manège. J'ai été élevée pour être les yeux et les oreilles de mon père. Je suis douée pour découvrir les secrets des gens, dit-elle fièrement.

— Oh, Kara ! J'ai si honte de mon comportement !

— Mais pourquoi ? demanda-t-elle avec surprise.

Je scrutais le visage de mon amie pour y déceler de la moquerie ou du reproche mais je ne vis rien. Elle me souriait avec tendresse et attendait ma réponse avec attention.

— C'est vrai... A l'âge où les petites filles veulent épouser leur père, moi c'est mon frère que je désirais en secret. En grandissant, j'ai compris que ce n'était pas possible ! Mais Erik est resté mon idéal masculin, dis-je honteuse.

— Ellie, je ne veux plus jamais voir cet air coupable sur ton visage ! s'exclama-t-elle. Tu es la personne la plus intuitive que je connaisse. Je pense qu'inconsciemment tu as toujours su que ce n'était pas ta famille, tout comme tu as toujours su que tu étais différente ! La petite fille en toi préférait sûrement se persuader qu'elle avait sa place dans cette famille aimante. Mais la mage, elle, connaissait la vérité !

Elle avait probablement raison. J'avais toujours ressenti comme une certaine distance entre eux et moi... Mes parents étaient attentionnés, là n'était pas la question !

Mais pourtant j'avais l'impression de ne pas appartenir à cette famille. Dès mon plus jeune âge j'avais remarqué comment ils se taisaient quand j'entrais dans une pièce ainsi que leurs regards inquiets quand je faisais ou disais quelque chose d'étrange.

Je m'étais toujours sentie comme une étrangère dans cette vie. Il n'y avait qu'avec Erik que c'était différent. Il semblait toujours apprécier ma présence et il n'y avait jamais aucun jugement dans son regard. Et contrairement aux autres, il n'éludait pas mes questions.

Avec lui j'avais l'impression d'être à ma place.

Mais maintenant tout avait changé. Ce frère que j'avais tant aimé n'en était pas un. Peu à peu j'avais senti le désir s'éveiller en moi et ce qui m'avait apparu comme honteux était devenu tout naturel quand la vérité avait éclaté. Mais pourtant j'avais encore plus de doute. Était-ce du désir, de l'idéalisation ou quelque chose de plus profond ? Et lui que ressentait-il ?

Petite j'avais l'impression d'être le centre de son univers mais par la suite il s'était peu à peu éloigné. Maintenant qu'il n'était plus obligé de jouer son rôle de grand frère, il était même devenu froid et distant.

Perdue dans mes pensées je n'entendis pas tout de suite la question de mon amie. Elle finit par attirer mon attention en me prenant la main :

— Ellie, qu'est ce qui te tourmente ?

— Quand j'ai appris la vérité, j'ai pensé que tout pourrait être différent entre nous. J'ai espéré... mais il a pris ses distances. Pour lui je reste sa petite sœur...

— C'est trop tôt pour le dire ! Laisse-lui le temps de s'adapter, dit-elle avec douceur. Mais n'oublie pas qu'il est avant tout ton protecteur. Pour lui le devoir passe avant les sentiments.

— Merci Kara pour tes conseils. Mais dis-moi, j'ai l'impression qu'Einar ne te laisse pas non plus indifférente, dis-je d'un ton taquin pour changer de sujet.

— Hum, disons que ce n'est pas des frissons qu'il m'inspire ! C'est bien plus chaleureux ! dit-elle en riant.

Quelques minutes plus tard, je m'endormis le sourire aux lèvres, apaisée et légère.