Bonne année

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Bonne année, bande d'enculés. Regarde-les. Tiens, voilà le beau-frère. Déjà, avant, mater sa gueule me soulevait le cœur mais maintenant. Il veut me claquer une bise en plus le con. Vas-y, approche-toi.

Wow, c'est pas joli, joli. Pire que les autres années. J'attendais rien de lui pourtant il continue à baisser.

Oui Jeannine, j'arrive Mamie Jeannine. Pour un bon gros bécot bien baveux. Ah, même toi. Pourtant, pourtant à 85 ans, tu aurais pu te reposer, arrêter ces saletés. Mais non, c'est plus fort que toi.

Oh merde, pas mon frère. J'ai pas le choix de toutes manières, tous les premiers de l'an, c'est la même salade. Je pourrais aller voir ailleurs, mais ailleurs je sais que c'est pareil. Avec d'autre gens, mais pareil. D'autres enculés. Toujours. Au début, ça me changeait de mes enculés à moi, mais maintenant, je connais la chanson.

Mon frère me passe la main sur la nuque. Contact physique. Flash. Envie de vomir.

Tous les ans depuis 7 ans, le jour de l'an, et uniquement le jour de l'an, lorsque je rentre en contact physique avec une personne, j'ai des flashs. Je vous vois penser : « ok le mec est bourré au premier de l'an et il voudrait en faire un roman ».

Mais je ne parle pas d'hallucination, de flash de pochtron, ou de perte de connaissance et encore moins de vision de calotin.

Non, je vois, avec une acuité, une précision remarquable, ce que fera dans l'année la personne qui me touche. Comme dans un rêve : quand vous construisez tranquillement une deuxième tour Eiffel, faites le tour du monde à cloche pied et qu'il ne s'est écoulé que 30 secondes. Là, en une fraction de seconde, je visualise ce que j'imagine être les 4-5 actions marquantes de la personne. Dans l'année.

La première année, ça s'est déclenché avec un de mes meilleurs amis. Minuit, on est bourré, on est heureux, on est une dizaine à picoler et à minuit, je l'embrasse. La vision, la première, m'a tétanisé. J'ai ressenti un choc physique mais surtout, j'ai vu mon ami en train de tabasser sa copine. Violemment. C'était un flash, mais un flash d'une cinquantaine de claques et de coups de poing.

Le choc, la vision, et son contenu m'ont mis ko. J'ai vomi mes tripes sans comprendre. Non, je raconte des conneries, j'ai instantanément compris que ce que je voyais allait se passer. Comment, pourquoi ? Jamais été foutu de comprendre et 7 ans plus tard, je reste dans le même brouillard, un peu moins épais dû à la confirmation que ce que je vois arrive bien.

Trois mois après ce premier flash, mon ami a débarqué chez moi, paniqué, nerveux.

- Ça va ? T'as l'air secoué.

- C'est Emma !

Emma était son amie de l'époque. Celle qui se faisait tabasser dans ma vision.

- Qu'est-ce qu'elle a Emma ?

- Elle est devenue folle. Elle me fait flipper.

- Folle ? Emma ?

- Ouais. Un truc de malade.

Ma vision représentait plusieurs minutes pendant lequel le malade m'avait tout l'air d'être Nicolas, qui s'acharnait sur Emma.

- Mais tu l'as frappée ?

Il m'a dévisagé, surpris de la question.

- Quoi ? Comment tu, je, oui, il a fallu. Elle était folle je te dis. Elle menaçait de me tuer.

- Tu l'as frappé qu'une fois alors, pour te défendre, pour qu'elle ne te tue pas.

Nicolas perdait pied. J'étais son ami. Il venait chercher le réconfort. Et je me suis aperçu que je ne pouvais pas le lui donner. Lorsque votre meilleur ami vient dans une situation pareille, même si vous désapprouvez, il reste le doute : on peut s'inventer des mensonges, des excuses, pour soi, son ami. Nous sommes tous passés maitres dans l'art de détricoter nos lâchetés pour en faire de grand manteau de sacrifices. Mais là, je savais, je croyais savoir, j'avais vu.

Nouvelles noires pour se rire du désespoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant