Porno blaireau

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Voici la quarante-sixième "Nouvelle noire pour se rire du désespoir". Parfois je me dis que ce que j'ai écrit aurait pu l'être par quelqu'un d'autre. Et dans un monde qui croule sous les nouvelles, romans, une des raisons de continuer à écrire tourne autour de sa voix, de son unicité de ton, d'approche. Alors lorsque je ponds une nouvelle dont je me dis :"Non mais là, ce truc, écrit comme ça, avec ces dialogues, ce sujet, y-a que toi qui pouvait le faire comme ça", je jubile. Voici donc "Porno Blaireau", une nouvelle noire made in Valéry Bonneau.

Pays de Galles, pays de galles, pays de cons, oui. Depuis une semaine que je traine ici, tout ce que j'ai entendu c'est « Oh un nain », « Ça va le nain ? », « Prends pas une pinte tu vas tomber dedans », « T'as quel âge ? » et autres vannes minables venues d'un autre temps.

Et je suis dans la plus grande ville de ce foutu pays d'arriérés. Cardiff, trois cent cinquante mille culs-terreux bas du front qui doivent se reproduire entre frères et sœurs depuis des siècles. Se faire foutre de sa gueule parce qu'on est nain dans un pays de dégénérés pareils, c'est à pleurer. Où que je tourne la tête, je vois des gens hideux, avec des dents de cheval, des oreilles d'éléphant, moitié bossus, boiteux et ils arrivent encore à se payer ma tronche.

Je n'ose même pas penser à ce que ça va donner pendant la tournée. Trois semaines à écumer les boites de nuit de tous ces villages de pedzouilles. J'espérais au moins prendre un peu de bon temps dans leur capitale. Mais vu l'état du populo de la ville, la campagne doit ouvrir le septième cercle de l'enfer.

Trois semaines. Pourquoi j'ai accepté ? Pourquoi ?

Pas qu'il y ait que les glaiseux à se foutre de ma gueule. Un mètre vingt au garrot, une tête plus grosse que la normale et vous êtes équipé pour « Foutage de gueule » land où que vous alliez. Comme si vous portiez un badge « Faites-vous plaisir, rabaissez-moi encore, ça vous grandira pas, mais ça vous défoulera ».

Les aristos, c'est les pires. Avec leur bouche en cul de poule qui n'ose pas lâcher de gros mots au début, ils finissent par vous agonir d'insultes jusqu'à l'hystérie.

Bien éduqués ou mal élevés, où que j'aille, les gens se transforment en trou de balle. C'est mathématique. Je pensais que ça ne me faisait plus rien. Mais j'étais venu avec trop d'a priori sur ces cons de gallois. Dans mon esprit, comme ils étaient arriérés et moches, ils allaient se sentir proches de moi, me traiter avec un peu plus de respect. Quel con ! Je suis tellement proche d'eux qu'ils détestent l'image que je leur renvoie. Ils doivent tous avoir un nain dans leur famille : frère, oncle ou tante. Alors au lieu de me considérer comme un des leurs, ils me voient comme une menace. Ils savent que ça aurait pu être eux. Enfoirés de Gallois.

*

– François, François, François ! Réveille-toi, faut qu'on bouge si on veut arriver à l'heure à New port. Show must go on ! La fête n'attend pas pas pas !

Connard d'agent. Le ravi de la crèche, toujours fidèle au poste, barbouillé d'enthousiasme mielleux. Il ne fait même pas semblant ce con. Il y prend vraiment du plaisir. Sa joie crémeuse me soulève le cœur et si ça fait cinq ans qu'on bosse ensemble, ça fait bien quatre et demi que j'ai envie de lui tarter la gueule à chaque fois que je le vois.

Je lui ai collé une beigne le mois dernier, et j'étais parti pour lui en claquer une deuxième, mais quand son exaltation a cédé place à la tristesse, au désarroi, j'ai eu un haut-le-cœur et ai dû courir aux chiottes dans l'instant. Ce type était un indécrottable optimiste, totalement dévoué à ma cause. Incurable.

– J'arrive Raymond, j'arrive, pas la peine de brailler comme un putois.

– OK OK OK. C'est cool cool cool.

Nouvelles noires pour se rire du désespoirWhere stories live. Discover now