Trop grand, trop vite

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Je sens bien qu'il m'arrive un truc, un truc pas normal du tout. C'est pas l'alcool, parce que, si je réfléchis, se réveiller avec de l'alcool dans le sang, c'est presque la routine. Les yeux qui piquent j'ai l'habitude, mais, mais qu'est-ce que c'est que ces paluches de basketteur ? Merde, j'ai des mains, je pourrais dormir dedans. C'est délirant. Je me lève d'un bond, le bond du pochtron au saut du lit, genre Jeanne Calment en équilibre sur un ballon de football. Et je découvre que j'ai le vertige. On dirait que je me tiens sur mes épaules tellement je suis grand.

J'imagine que dans une situation comme ça, on peut se mettre à flipper. Mais dans ce sens-là, ça me va bien. Tu te couches Michael Jordan, tu te réveilles Passe-Partout, t'as le droit de déposer plainte, mais dans l'autre sens. Du coup, je panique pas, je me marre. Je me traîne de la chambre au miroir de la salle de bain en enchaînant les "Oh oh oh" rigolards, et plus je prends conscience de mon corps, plus je me gondole. Même quand je constate dans la glace que la tête qui m'observe m'est inconnue, je continue à me bidonner jusqu'à presque étouffer de rire. Je braille dans cet appartement qui n'est pas le mien :

– Ha ha ha ! je suis un géant, un géant ! Ramenez vos tronches, bandes de nains, je vais vous raccourcir ha ha ha !

Ça me tient une bonne heure. Les voisins s'il y en a, doivent penser que le grand con du troisième a encore pété un plomb. Qu'ils viennent me le dire en face et je leur claque le beignet ! J'ai toujours su que si j'étais grand, je serais con. Je n'ai pas l'intention de me décevoir.

Je me suis baladé dans l'appart' histoire d'en apprendre un peu plus sur moi. Pas grand-chose à se mettre sous la dent. Piaule de célibataire, qu'aime bien la muscu. Génial, je suis un géant balèze.

Je jette un oeil sur les haltères. En mode normal, elles sont plus lourdes que moi. Mais là, j'avance mon énorme paluche au bout de mon bras en forme de rondin de chêne et je soulève ces vingt kilos comme si c'était des Kinder Bueno, sauf que c'est nettement meilleur. Le pied.

Je ne trouve rien d'autre dans l'appart', et je m'en fous, l'important c'est l'extérieur. Je ne sais pas combien de temps ça va durer alors autant en profiter. Pas envie de revenir à mon ancienne vie. Pourtant je devrais m'en inquiéter, m'y intéresser à tout le moins; mais je veux juste utiliser ces battoirs tant que je peux.

Douche, fringue, je sors.

Mais pour quoi faire ? Qu'est-ce que je pourrais bien branler ? J'ai jamais vraiment réfléchi à ce que je bouinerais si j'étais balèze.

Je passe devant une boulangerie pleine de monde. Je rentre. Je dois bien mesurer deux mètres et je me suis pesé, j'envoie cent quinze kilos. Cent quinze putains de kilos de muscles ha ha ha, j'ai failli éjaculer de bonheur quand j'ai reluqué la balance.

Je m'explose le crâne sur le haut de la porte en entrant.

– Ha ha ha, génial ! je beugle en me bidonnant.

Les clients se retournent, lèvent la tête pour voir ce qui se passe. Ils lèvent la tête !!! Pendant qu'ils jaugent la bête, je double tout le monde et je commande un croissant.

Je jette un regard circulaire : ils ont envie de protester, mais ils n'osent pas. Quel pied ! Je leur balance un sourire bien foutage de gueule et il y en a un qui s'oublie. Le genre teigneux, comme j'étais. Ah putain, ça pourrait être moi :

– Ça le dérangerait de faire la queue comme tout le monde ?

Je me retourne et je m'avance à le coller et quand il a son visage contre mon nombril, je lui dis :

– Il veut peut-être créer une nouvelle phrase avec un vocabulaire plus choisi ? Je suis tout ouïe ?

Il a sa tronche enfouie dans mon t-shirt alors je le devine à peine, mais je le devine quand même qui lève les yeux et tombe sur mon air narquois. Je me recule un peu :

Nouvelles noires pour se rire du désespoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant