Un enfant de l'amour

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Ma femme voulait un enfant. Ma femme voulait donner la vie. Ma femme se mourait de ne pas avoir d'enfant. Je ne pouvais pas lui en donner. Stérilité totale. Irrémédiable. Irréparable. Stérile de naissance. Pas la faute aux portables près des testicules, à la pollution, à la varicelle tardive ou à n'importe quelle autre cause. Rien à me reprocher dans ma conduite. J'étais né stérile.

Pendant trois ans nous avons essayé d'avoir un enfant. Sans consulter. La première année, l'excitation le disputait à la déception. L'excitation de passer un peu plus de temps en amoureux, à profiter de nous deux. La certitude d'avoir un enfant rapidement nous rendait encore plus amoureux, l'attente était presque plaisante, à peine décevante. La deuxième année, la frustration a pris le pas, suivie rapidement par l'énervement, la colère. La troisième année, le sexe triste, administratif, vindicatif a remplacé tout le reste. Quand nous avons finalement consulté, au bout de trois longues années d'espoirs déçus, de tentatives inutiles, notre couple existait encore, semblait pouvoir surmonter d'autres déceptions. Ma femme fut grande dans la défaite. Jamais, elle ne m'accusa de quoi que ce soit, ne me reprocha mon état. J'étais le coupable, le responsable mais elle parlait de fatalité, elle disait en souriant dans ses larmes « c'est la vie ».

Nous avons pleuré pendant des jours et des jours avant de décider de nous lancer dans l'aventure de l'adoption. Je dis aventure car il y a des surprises, des rebondissements, des ennemis, des amis et bien sûr, un trésor. Un trésor inestimable à la clef. Et il faut que ce soit un trésor pour endurer tout ce que l'administration française fait subir à ceux qui comme nous, ont le tort de continuer à s'aimer dans la maladie, ont l'affront de vouloir un enfant « quand même ». Les services sociaux dédiés à l'adoption hébergent les êtres humains les plus inhumains, les moins à même de donner la vie, ou de la faire fleurir tant leurs cœurs sont secs, tant leurs sentiments sont atrophiés. Ces femmes, car ce sont souvent des femmes, mais les hommes que nous avons croisés semblent faits du même bois, du même marbre froid devrais-je dire, suintent la haine, le mépris, la médiocrité et la petitesse.

Quelle abnégation il nous a fallu. Je le prenais bien car je me sentais responsable, coupable. Je ne ressentais pas leur acharnement comme une humiliation mais, en bon disciple de la tradition judéo-chrétienne, comme une punition. Une punition juste et méritée. J'avais failli, mon corps était impur, je devais me purifier via une épreuve, certes ridicule, inhumaine, mais nécessaire.

Ma femme au contraire haït cette période, cet affront ajouté à la souffrance, cette humiliation bouillante versée sur les plaies à vif du désespoir. Et plus que tout, cette impuissance la rendait folle de douleur. Car que dire à ces femmes qui, d'un mot, d'un trait, d'une rayure de crayon pouvaient assassiner notre rêve d'enfant à venir. Il nous fallait courber la tête, sourire à l'insulte. Impossible de gifler cette femme qui, nous regardant dans les yeux, nous demande « si nous avons vraiment tout essayé, si ma femme n'accepterait pas une fécondation in vitro. Ou de coucher avec un ami » ? Quelle grossièreté, quelle vulgarité et quelle indélicatesse. Si tel avait été le cas, il y a longtemps que nous aurions eu recours à cette méthode. Ma femme et moi étions et sommes toujours catholiques pratiquants. L'avortement, la fécondation in vitro étaient trop éloignés de nous. Je ne pose d'ailleurs pas les deux sur le même plan, et je sais, je sais que beaucoup de nos amis n'ont pas compris nos réticences. Nous avons perdu des amis à cause de cela. Des années et des années à discuter de ce sujet, à désespérer, à souffrir quand certains voyaient la solution sous nos yeux : « Allez, décoincez-vous. Juste une soirée, vous payez un escort boy, de luxe, un beau avec du charme et de la conversation et vous n'avez plus de problèmes ». Je l'avoue, j'ai blâmé mes amis pour oser proposer de telles horreurs, et j'ai blâmé la religion, dieu, pour m'empêcher de considérer ces options. Ma femme a parfois envisagé la possibilité d'en discuter. Elle tentait des petites approches ; approches que j'ignorais. Je me sentais coupable, mais on ne peut pas tout renier au nom de la culpabilité. Moi, François de la Tour Dupin, j'allais laisser ma femme coucher avec un vulgaire prostitué et en faire mon héritier ? Impossible. Inconcevable. Mais ces considérations, loin de nous rapprocher nous éloignaient. De nous, de nos amis et même parfois, de nos familles.

Nouvelles noires pour se rire du désespoirWhere stories live. Discover now