Une petite histoire de pénis

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Alex tenait son sujet : les micropénis. Son idée de nouvelle l'enthousiasmait : une de ces histoires drôles et pathétiques qu'il affectionnait tant. Plus les jours passaient, plus ils se convainquaient de son intérêt. Il s'installa devant son PC, commença à écrire. Situations, personnages, dialogues, tout s'enchainait, se mettait en place naturellement. Avec l'expérience, il avait constaté que ses meilleurs récits coulaient d'un jet. Lorsqu'il devait trop les retravailler, y réfléchir, plonger dans le laborieux ou s'interrompre sans arrêt pendant la phase initiale, le résultat le décevait toujours.

Deux heures plus tard, il avait accouché du premier jet. Il le parcourut et rit aux larmes. Lorsque l'hilarité le gagnait à la relecture, ce qui à sa grande honte lui arrivait assez régulièrement, il savait que le texte final plairait aux lecteurs. Il ne restait qu'à laisser reposer quelques jours, ou quelques semaines, le reprendre pour modifier quelques formulations malheureuses, utiliser un vocabulaire plus choisi et il tiendrait une très bonne nouvelle.

Il sortit boire une bière pour fêter ce qu'il imaginait déjà comme un succès. Enfin, il se coucha, satisfait.

Dans la nuit, il se réveilla en panique, transpirant. Il n'était pas de ces écrivains qui trouvaient des idées de romans en dormant, mais la pensée qui lui avait traversé l'esprit lui glaça le sang :

Cette histoire de mec au micropénis, sans tomber dans le naturalisme, respirait le vécu tant elle était plausible. Et si ses lecteurs en déduisaient qu'Alex maitrisait le sujet car il était affublé d'une petite bite ?

Comment faire pour dissocier l'auteur de l'humain ? D'autant que souvent, ses proches notaient « Non, mais là, c'est toi ». Alors que la plupart du temps, il inventait, recréait des situations pour obtenir un résultat très éloigné de lui. C'est ce que font les écrivains.

L'idée qu'on puisse croire une seule seconde qu'il était affublé d'un petit pénis le laissait saisi d'effroi. Il concevait le ridicule de son angoisse, mais ne pouvait s'en défaire.

Il alla chercher une règle et se demanda si, à son âge, mesurer son sexe pour se convaincre qu'il n'avait pas un micropénis était bien sérieux. Il s'esclaffa et retourna se coucher.

Le lendemain, au réveil, il n'avait plus envie de rire. Il ne pouvait tout simplement pas sortir cette nouvelle. Mais l'idée d'abandonner son travail, ce texte si drôle le désolait.

Toute la journée, il considéra la situation, la ressassa et finit par identifier une solution : Aurélie. Son amie Aurélie, écrivaine, pourrait publier le récit sous son nom. Personne n'irait questionner la taille de la bite d'Aurélie, et son histoire aurait une chance de trouver son public. Aurélie recueillerait les louanges éventuelles, mais cela ne ferait pas de mal à l'égo d'Alex.

Il appela Aurélie dans la foulée pour fixer un rendez-vous.

– Tu te rends compte que c'est totalement ridicule ?

Aurélie avait raison et Alex en convenait.

– Complètement con même, mais j'y peux rien. Et puis tu sais, nous...

– Oui, vous les hommes avec votre zizi. On dirait vraiment que vous êtes deux et que c'est le plus petit qui commande le plus gros.

– Petit, pourquoi petit ? rigola Alex. Bon alors, c'est d'accord ?

Aurélie aimait beaucoup Alex. Depuis cinq ans qu'ils se connaissaient suite à une rencontre sur le Salon du livre « Inclassables mais bien quand même », ils avaient développé une solide amitié. Leurs styles différaient, mais ils avaient cosigné une série de récits brefs qui avaient bien fonctionné. Aurélie pourrait s'approprier le texte d'Alex. Et puis, qui verrait dans la nouvelle d'une auteure presque clandestine, la patte d'un autre écrivain tout aussi obscur ?

Nouvelles noires pour se rire du désespoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant