Une deuxième chance

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Hidalgo allait changer de vie. Au sens propre. Et il n'en revenait pas. Du haut de ses 48 ans, ou plutôt du bas de ses 48 ans si l'on considérait son état mental, il n'avait jamais espéré pouvoir remodeler sa vie. Il en avait rêvé, il l'avait fantasmé oui, mais il était douloureusement conscient de l'impossibilité d'atteindre ce rêve. D'atteindre tous ses rêves. Alors il rêvait, mais sans agir. Il espérait. Il priait.

L'espoir et la prière n'ont jamais changé l'eau en vin, et la vie d'Hidalgo s'écoulait, tristement immuable. Sa vie n'était pas plus mauvaise qu'une autre, pour peu que l'on puisse comparer des vies. Mais la souffrance qu'il ressentait ne cessait de grandir. Avec le temps, l'espoir d'une nouvelle vie, un jour, peut-être, restait le seul bâton sur lequel il pouvait s'appuyer. L'espoir, ridicule, impensable, inaccessible d'un nouveau départ, le retenait de commettre l'irréparable. Il trainait sa carcasse, de jour en jour, d'année en année.

Il avait cherché le moment où sa vie avait commencé à se dégrader. Quel instant fatal avait-il traversé qui avait brisé son élan ? Car Hidalgo croyait fermement que la vie était une succession de choix et de non-choix et qu'à certains croisements, certaines décisions influaient sur le reste de la vie, sans espoir de retour. Comme si l'on perdait prise sur sa vie, passée cette étape critique.

Enfermé dans cette vision, Hidalgo espérait trouver LE moment qui avait détruit sa vie.

Techniquement, Hidalgo avait détruit sa vie à tenter d'identifier cet instant. Jour après jour, il avait fait le choix de continuer à éclairer son passé plutôt que son avenir. Un psychiatre en stage de première année aurait pu l'instuire sur son dilemme, sur l'insanité de sa position. Un pilier de bar en milieu de cuite l'aurait dessalé avec quelques mots durs, mais lucides. Sa femme, ses enfants n'avaient cessé de lui ouvrir les yeux. Hidalogo écoutait, essayait pendant quelques jours de se tourner vers le lendemain, de préparer un avenir et retombait sempiternellement dans ses vieux travers.

Jusqu'à ce qu'il se rende compte, enfin, qu'identifier ce moment ne changerait rien. À quoi bon identifier ce moment s'il ne pouvait influer dessus. Alors la tristesse avait laissé place à la dépression, et le suicide était devenu son compagnon journalier. Le chien noir lui susurrait « A quoi bon ? À quoi bon ? Le moment a existé, tu ne peux plus rien y faire. Tu as raté le coche. Tu as raté ta vie ». La bête lui parlait, il écoutait et il entendait. Le seul fil qui le retenait à la vie était cette idée, aussi absurde que stupide, qu'avec les progrès de la science, il pourrait peut-être, un jour, revenir au moment crucial. Et alors, rien ne serait trop tard. Tout redeviendrait possible.

Comment la science aurait-elle pu l'aider, il ne se le figurait pas précisément, mais il voyait bien le monde évoluer. Évoluer à vitesse grand V.

Le monde se transformait, sur ce point Hidalgo était dans le vrai. La science offrait des possibilités vertigineuses et chaque jour apportait une nouvelle utopie, abattait un nouvel impossible.

Pourtant, rien ne changeait, jusqu'à ce jour d'octobre où il rencontra Sémaphore. Un nom surprenant pour une femme qui ne l'était pas moins. Hidalgo n'aurait su dire si elle était belle, mais il avait instantanément ressenti la chaleur, l'intelligence qu'elle dégageait.

– Bonjour.

Il n'y avait aucune raison pour qu'une femme vienne parler à cet homme vouté, collé au comptoir de ce bar quelconque.

Hidalgo buvait trop, toujours trop, mais il n'était jamais saoul. Il ne s'ivrognait pas, mais buvait tant que son corps le supportait. Comme il buvait lentement, il perdait rarement le contrôle. Mais son physique, sa tenue, s'en ressentait.

Nouvelles noires pour se rire du désespoirWhere stories live. Discover now