Un week-end familial

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- Papa, écoute, je n'ai plus douze ans.

- Tu n'as plus douze ans, mais tu restes ma petite fille chérie.

- Oui, mais je pars juste en voyage trois jours.

- Trois jours sans ma fille, ce n'est pas rien.

- Je prends le train, pas une fusée. Je serai à Bordeaux dans trois heures et je t'appellerai en arrivant. Que veux-tu qu'il se passe ?

- Mais je ne veux rien qu'il se passe, moi.

- Bon, alors arrête de t'inquiéter.

- D'accord.

- Promis ?

- Promis Léa, promis.

- Bien. Et toi tu vas faire quoi pendant ces trois jours sans femme ni enfant ?

- Je n'y ai pas réfléchi, mais je crois que je vais me reposer. Grasse matinée, exposition, théâtre et promenade.

- Houla ! un programme sain. Même pas un verre avec les potes ?

- Pas trop envie en ce moment. Non, du sain. Je veux du sain. Badoit, salade et marche.

- Bon, repose-toi bien alors.

- C'est prévu. Et passe le bonjour à ta tante pour moi.

- D'accord. Merci de m'avoir déposée et à mardi papa.

Il faut être parent pour comprendre ce qu'on ressent lorsque votre fille vous embrasse. Il faut être père pour saisir ce sentiment, cet instant magique, cette bise et ce "à mardi papa". Si je suis heureux de me retrouver un peu seul, la séparation d'avec ma fille est toujours aussi douloureuse. On pourrait croire qu'avec le temps, avec l'habitude, ce moment devienne un non-évènement, mais je ne sais pas faire sans ma fille. Je ne suis qu'inquiétude. Où est-elle, avec qui est-elle, que fait-elle ? Est-elle en danger ? Il y a tellement de gens bizarres. Et puis ma fille est belle. Non, elle n'est pas belle, c'est la plus belle. Avec tous ces prédateurs, ces jaloux, ces dragueurs de bas étage qui rôdent dans les rues, comment être détendu ? Même, même si je sais qu'elle n'a, a priori, rien à craindre, je ne peux lutter contre ce sentiment que chaque fois que ma petite fille s'en va, c'est pour la dernière fois.

Je sais aussi que je ne peux pas l'étouffer, la paterner indéfiniment. C'est une enfant qui est devenue une femme. Je n'ai jamais voulu que son bonheur et une jeune fille de vingt ans ne peut pas trouver le bonheur dans les bras de son père. Elle doit découvrir le monde. Enfin un petit bout du monde. Bordeaux pour commencer c'est bien, on verra pour Katmandu ou Brasilia plus tard, il faut que je m'habitue.

Je n'ai pas envie de voir mes potes pendant ces trois jours. Ils vont encore se moquer de moi, plus ou moins gentiment. Papa poule, papa gâteau, papa gâteux. Et j'ai envie de me détendre, de ne penser qu'à moi. D'abord cette exposition à la Pinacothèque, ensuite je passerai chez le traiteur italien. Mais avant toute chose j'appelle Coloredworld. Trois jours de détente avec pour seul souci de m'inquiéter pour ma fille. Pour moins m'inquiéter, à part les expos, la bouffe et la détente, je ne vois rien de mieux.

***

Exposition sympathique. Surtout que c'était la dernière de la pinacothèque. Dommage, mais il y a assez de lieux à Paris pour se cultiver.

- Bonjour Alessandro

- Bonjour monsieur Pierre, ça va. La familia ?

- Ah ! la familia oui, ça va. Sylvia est chez une amie à Toulouse.

- Et mademoiselle Léa ?

Je soupire, mi-amusé, mi-inquiet :

- Toujours en vadrouille. Elle est à Bordeaux là.

Nouvelles noires pour se rire du désespoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant