Supernova

Act. 19

Avec un début de semaine pareil, j'étais persuadée que le reste allait être insupportable. Je me voyais déjà haïr Sacha de toute mon âme, et lui faire la guerre, mais je reste sur mon idée de le faire succomber pour mieux le déstabiliser par la suite. Selon moi, c'est une stratégie un peu plus intelligente... même si je risque de m'y perdre. Mais si je dois me détruire moi-même pour réaliser mon rêve, alors j'imagine que je me détruirai.

Mes parents sont partis dans l'après-midi pour leur week-end. Malgré l'ambiance glaciale à la maison, mon père a tout de même réussi à se calmer. Visiblement, il a choisi de ne plus en parler et d'accepter la chose. Il comprenait que j'allais voir Jonah le soir à chaque fois que je sortais. Et pour Déborah, elle a décidé de ne pas le contacter. Cependant, elle sait qu'il est là ce soir, et je sais qu'elle découche uniquement demain soir. Ma mère ne m'a pas précisé qu'elle irait passer le week-end chez une ''copine'' à partir du vendredi soir, j'en déduis donc qu'elle sera là.

En sortant de la salle de répétitions avec Adeline, je me sens épuisée. Aujourd'hui, nous avons bossé sur les chorégraphies. Il n'y en aura pas énormément pour mon personnage, mais quelques-unes. J'ai envoyé un message à Jonah pour lui dire qu'il pouvait venir me chercher. Mon père n'étant pas dans les parages, ça ne pose pas de problème qu'il vienne directement au théâtre. Le temps qu'il arrive, je me glisse dans la salle de spectacle. Je descends les escaliers jusqu'à la scène. Une fois dessus, je dépose mon sac et je tourne doucement ma nuque pour me dégourdir. Je renvoie un message à mon frère pour lui dire que je suis dans la salle de spectacle et que je ne vais pas tarder.

Depuis que j'ai été prise dans False Contempt et que mon quotidien a changé, je ne me rappelle plus la dernière que j'ai chanté pour moi. Sans pression, juste par pure passion et envie. Et ce soir, je ne pourrais même pas m'évader en jouant de la harpe. Jonah, Loris et Yann sont conviés à passer la soirée à la maison, il ne me reste donc plus que ce que j'ai toujours eu... le chant.

Pour la musique que je m'apprête à chanter, j'aurais préféré être habillée autrement. People est une chanson tirée de Funny Girl - sans surprise. Parfois, je m'imagine la chanter en portant une belle robe et coiffée d'un chignon élégant. Aujourd'hui, quand je retire mon sweat, il ne me reste plus qu'un jogging gris et un top assez court qui dévoile mon ventre. Pour danser et bouger, c'était l'idéal.

Alors après avoir lancé l'instrumental sur mon téléphone, je ferme les yeux pour m'imaginer en train d'interpréter People, cette musique qui se glisse sous ma peau.

Je me place au milieu de la scène, oubliant les événements de la semaine, évinçant Sacha de mon esprit, et ma voix se glisse entre mes lèvres.

— We travel single, oh... Maybe we're lucky, But I don't know.

Je ne pourrais jamais atteindre le niveau de Barbra Streisand, mais je crois que People est une des chansons que je chante le mieux. Mike m'a toujours dit que quand je la chantais, ma voix se rapprochait beaucoup de l'originale.

Les paroles de cette musique me transpercent, et Funny Girl n'est pas ma comédie musicale pour rien. La carrière de Fanny, l'enjeu, son époux, sa vie... sa force de caractère et les jugements auxquels elle fait face. Comment savoir si un rêve vaut mieux qu'une vie entourée ? Comment être une personne qui a besoin d'une personne ?

Finalement, ce n'est pas ça le secret du bonheur ? Elle le dit bien, les personnes qui ont besoin d'autres personnes sont les personnes les plus chanceuses dans le monde entier.

Je pousse sur ma voix avec toute l'aisance du monde et au fur et à mesure, je sens des larmes brûlantes me mouiller les joues. À chaque inspiration que je prends, je me sens plus forte, un peu plus moi-même. Comment aurais-je besoin d'une personne, ou de qui que ce soit, quand le chant et la scène m'apportent autant ? Comment aurais-je besoin d'autre chose ?