Incapable de regarder Lauranne dans les yeux ou même de lui adresser la parole, j'étais rentrée chez moi directement ce soir-là. Non seulement je ne supportais pas l'idée de lui avoir fait de la peine, mais j'avais aussi le sentiment de l'avoir trahie. J'étais persuadée qu'elle m'en voudrait au point de ne plus jamais vouloir entendre parler de moi, mais à ma grande surprise, elle m'envoya un message le lendemain pour m'inviter chez elle.
Je me tenais devant sa porte depuis plusieurs minutes, le cœur battant. Je n'osais pas appuyer sur la sonnette. J'ignorais ce qui m'attendait de l'autre côté. Au lieu d'agir, je n'arrêtais pas de réfléchir à ce que j'allais pouvoir lui dire pour me faire pardonner. La situation dans laquelle je me trouvais me faisait étrangement penser au chat de Schrödinger. Tant que la porte restait fermée, mon amitié avec Lauranne était tout aussi bien morte et enterrée qu'en vie et en bonne santé. Même si je puisais un maigre réconfort dans cette idée, je devais néanmoins affronter la réalité.
Mon cœur s'affola au moment où mon doigt pressa la sonnette. Je l'entendis approcher et tourner la clé dans la serrure. Le moment tant redouté était arrivé.
Lorsque mon amie ouvrit, son expression était à l'opposé de ce à quoi je m'attendais. Elle m'accueillit chaleureusement en affichant un sourire bienveillant, comme à son habitude. Elle ne semblait pas fâchée et pour le moment, c'était tout ce qui m'importait. Elle m'invita à m'asseoir sur son canapé et à mon grand soulagement, entra directement dans le vif du sujet.
— Je voulais te voir pour te demander pardon pour ma réaction hier soir. J'imagine que ça a dû t'inquiéter.
J'étais abasourdie, osant à peine croire ce que je venais d'entendre.
— Me demander pardon ? C'est moi qui devrais te présenter des excuses. Je pensais que tu étais partie, parce que tu étais fâchée.
— Je n'étais pas fâchée, me rassura-t-elle. Tu étais bouleversée et je n'étais pas sûre d'être la bonne personne pour te consoler. Je m'en veux de t'avoir tourné le dos au moment où tu avais besoin d'une amie.
Rien n'aurait pu autant me réchauffer le cœur que les mots qu'elle venait de prononcer. J'étais touchée, mais je ne m'en sentais pas pour autant apaisée. J'avais essayé d'embrasser Josh, son ex-fiancé. Je me sentais coupable à l'idée que ça ait pu l'affecter.
— Je suis désolée d'avoir voulu l'embrasser. Je ne sais pas ce qui m'a pris, fis-je sans parvenir à faire disparaître complètement l'inquiétude qui faisait trembler ma voix.
— Si je ne vous avais pas vus hier soir, je n'aurais sans doute jamais remarqué que tu tenais à lui à ce point. Josh et moi, ça n'a pas fonctionné. Nous n'étions pas faits l'un pour l'autre et comme je te l'ai déjà dit, j'ai tourné la page depuis longtemps à son sujet. J'imagine que ça n'a pas dû être facile pour toi, entre tes sentiments pour Josh et ton amitié pour moi, mais si tu tiens à lui, tu devrais le lui dire clairement avant qu'il s'en aille.
— À quoi bon, boudai-je. Il a quelqu'un dans sa vie à présent.
— Tu veux parler d'Aya ?
— Tu les as vus flirter aussi bien que moi.
— Peut-être qu'elle minaudait un peu en face de lui, mais je n'ai pas eu l'impression que Josh se montrait particulièrement réceptif.
— Il l'a raccompagnée chez elle.
— Il voulait juste être poli.
— Il aurait pu tout simplement me dire qu'il ne s'intéressait pas à elle.
— Et tu l'aurais cru ?
— Probablement pas, admis-je.
— Écoute Émilie, Josh retourne à Seattle la semaine prochaine. Je suis sûre qu'il suffirait que tu lui demandes de rester pour le faire changer d'avis.
— Tu penses sincèrement que j'aurais mes chances ?
Aussitôt la question posée, j'en réalisai l'audace. Bien que Lauranne m'ait expliqué qu'elle avait tourné la page à son sujet, j'avais l'impression d'avoir franchi une limite. Je n'étais pas sûre d'avoir le droit me permettre d'aborder ce genre de sujet.
— Je suis désolée, déclarai-je aussitôt. Mon propos était inapproprié.
— Ne sois pas désolée. Notre amitié est importante pour moi et je ne veux pas que notre relation change à cause de mon passé avec Josh. Quoi qu'il arrive, il ne va pas rester célibataire jusqu'à la fin de ses jours, et pour être franche, s'il doit sortir avec une autre fille, j'aime autant que ce soit avec toi.
Moi non plus, je ne voulais pas la perdre et j'étais rassurée en entendant sa réponse.
— Qu'est-ce que je devrais faire d'après toi ? osai-je finalement lui demander.
— Tu devrais l'appeler et lui dire ce que tu ressens vraiment.
À cette seule idée, mes mains se mirent à trembler.
— Maintenant, insista-t-elle en me voyant hésiter.
— Maintenant ? Mais je ne sais pas quoi lui dire. Je devrais peut-être prendre le temps de réfléchir avant de me lancer.
— Je te connais, si tu ne le fais pas maintenant, tu ne le feras sans doute jamais. Prends ton téléphone et propose-lui simplement d'aller boire un café.
À l'entendre, il n'y avait rien de plus simple, mais j'avais l'impression qu'elle me demandait de gravir l'Everest. J'angoissais alors que mille scénarios se bousculaient dans mon esprit. J'avais peur qu'il m'en veuille pour mon comportement d'hier, j'avais peur qu'il soit amoureux de cette fille et qu'il soit déjà trop tard, j'avais peur qu'il me rejette, mais plus que tout, j'avais peur de le laisser partir sans rien dire. Lauranne avait raison, je devais me lancer. Je n'arrêtais pas de résister et de me trouver des excuses au lieu d'essayer de vaincre mes craintes et d'aller de l'avant.
Il était temps de passer à l'action sans autre forme de réflexion. Je pris mon téléphone pour appeler Josh en faisant de mon mieux pour ignorer le stress qui me gagnait.
— Mets le haut-parleur, me chuchota Lauranne.
Je m'exécutai.
— Allô ? fit la voix à l'autre bout du fil.
— Salut Josh. Ça va ? demandai-je comme si de rien n'était.
Lauranne me murmura de ne pas perdre de temps et d'aller droit au but. À en juger par l'excitation dans sa voix, je la sentais tout aussi impatiente que moi de connaître le dénouement de toute cette histoire. Après qu'il m'ait répondu qu'il allait bien, j'obéis au commandement de mon amie sans tergiverser.
— Je t'appelais pour savoir si tu avais quelque chose de prévu demain soir.
— Demain soir, je retrouve mes anciens collègues au lac. On a prévu de se poser et de faire un pique-nique.
Rien dans sa voix ne m'indiquait qu'il m'en voulait encore. Il m'avait répondu naturellement comme il l'aurait fait d'habitude. Cependant, lorsqu'il mentionna ses anciens collègues, mon esprit fit immédiatement le lien avec LA collègue. J'étais sûre qu'elle serait là et je me demandais même si l'idée ne venait pas d'elle. Il n'en fallut pas plus à mon sentiment de jalousie pour refaire surface, mais je fermai les yeux un bref instant pour retrouver mon calme.
— Il y aura Aya ? demandai-je dans le seul but d'assouvir ma curiosité.
— Oui, pourquoi ?
— Pour rien.
Lauranne prit son téléphone et pianota rapidement une note à mon intention.
« Demande-lui si on peut passer. »
— Est-ce que ça t'embête si on passe avec Lauranne et Olivia ?
— Non, pas de soucis. Vous pouvez passer quand vous voulez.
Un éclair de génie me traversa soudain l'esprit et j'improvisai un plan de dernière minute pour ne pas laisser à ma rivale la moindre occasion de se rapprocher de Josh
— En fait, je viens d'avoir une idée. Puisque tu pars dans quelques jours, on pourrait en profiter pour te faire une soirée de départ. On invite tout le monde, on amène de quoi boire et de quoi manger et on te fait passer une soirée qui te fera regretter de nous quitter.
Lauranne, qui ne perdait pas une miette de la discussion, leva ses deux pouces en l'air pour manifester son approbation.
— Très bonne idée, me répondit-il finalement.
— J'en parle aux autres et je te rappelle.
— Super. Dans ce cas, j'attends ton appel. À demain.
— À demain, fis-je avant de raccrocher.
Je regardais ma complice en souriant, satisfaite.
— Je ne sais pas comment t'es venue cette idée, mais je n'aurais pas trouvé mieux, me félicita-t-elle avant de prendre à son tour son téléphone et d'en ouvrir le répertoire.
— Qu'est-ce que tu fais ? lui demandai-je intriguée.
— J'appelle Olivia, car on va avoir besoin de réunir le trio. Il faut qu'on organise cette fameuse soirée, sans oublier d'élaborer un plan pour tenir Aya la plus éloignée possible de Josh.
Mon cœur se gonflait de joie en prenant conscience de la force de notre amitié. J'aimais la façon dont nous affrontions la vie ensemble, sans que les récents événements n'aient en rien bouleversé l'équilibre de notre relation. Je me sentais heureuse et chanceuse d'avoir deux amies fabuleuses, comme Lauranne et Olivia, sur qui compter.