Josh était parti aux États-Unis depuis un an. Plus le temps passait, plus je pensais à lui et aux années que j'avais passées à ses côtés depuis notre rencontre au lycée jusqu'à la confession qu'il m'avait faite avant de s'en aller. La colère que j'avais éprouvée sur le moment s'était estompée. J'avais pris le temps de me replonger dans les souvenirs que nous avions partagés pour comprendre ce qui nous était arrivé. Cette démarche m'avait aidée à dépasser la douleur, l'amertume et le ressentiment que j'avais connus encore un an auparavant.
Le brouillard épais de la rancœur se dissipait et je réalisais à quel point mon meilleur ami me manquait. Il me manquait déjà bien avant qu'il décide d'aller vivre sur un autre continent. Il me manquait depuis qu'il avait commencé à faire de ma vie un enfer pour m'éloigner et pouvoir m'oublier. Pendant son absence, je lui avais écrit pour prendre des nouvelles, mais notre relation n'avait plus rien à voir avec ce qu'elle était et mon cœur se serrait à chaque fois que j'y pensais. Notre complicité était de l'histoire ancienne. Nous étions devenus de simples connaissances, deux personnes qui s'étaient côtoyées par le passé, mais qui n'avaient plus grand-chose à partager. Pourtant, j'avais envie de m'accrocher et de retrouver notre relation telle qu'elle était. Le mariage d'Isaac et de David approchait, et grâce à lui, j'aurais peut-être une chance de tout corriger, puisque Josh y était invité et qu'il était revenu en France pour célébrer l'événement à leurs côtés.
L'angoisse d'Olivia était telle qu'on aurait pu croire qu'elle était celle qui était sur le point de se marier. Elle avait tout préparé pour faire de cette journée un moment inoubliable pour son frère et son bien-aimé. Elle n'avait jamais imaginé qu'Isaac se marierait un jour, et elle voulait que tout soit parfait, de la cérémonie jusqu'au dîner. À la mairie, l'adjoint qui avait officié avait fait un très beau discours et mon amie, habituellement inébranlable, avait fondu en larmes lorsqu'il avait enfin prononcé leur union. Charles, qui se tenait à ses côtés, l'avait prise dans ses bras pour la réconforter, mais il lui avait bien fallu vingt minutes avant de pouvoir complètement s'en remettre. De son côté, Lauranne était venue en compagnie de Vincent. Après avoir décrété qu'il ne se passerait rien de sérieux avec le chanteur, elle avait accepté de le revoir pour un café. Leur attraction était telle que leur relation avait très vite pris une tournure un peu plus intime. Elle nous disait qu'elle voulait seulement s'amuser et qu'elle ne voulait pas s'engager, mais après quelques mois, elle avait tout de même fini par s'avouer qu'elle ressentait plus pour lui qu'une simple alchimie au lit. Le couple ne semblait pas troublé outre mesure par la présence de Josh durant l'événement. Lauranne et lui avaient brillamment réussi à rester en bons termes. Pendant qu'il était à l'autre bout du monde, ils avaient continué à échanger et j'enviais la simplicité de leur relation qui n'était teintée ni de rancœur ni d'ambiguïté. En les regardant discuter, il était difficile de s'imaginer qu'il y avait eu entre eux dix ans d'une relation mouvementée qui s'était soldée par des fiançailles avortées.
Le vin d'honneur et la fête se déroulaient dans le jardin des parents d'Olivia. Nous étions en juillet, et il faisait beau sans faire excessivement chaud. Une tente de réception avait été montée en cas d'intempéries, et des tables rondes y étaient alignées autour du parquet qui marquait l'espace dédié à la danse. Les mariés s'avancèrent pour ouvrir le bal sur All of Me de John Legend. La chanson au rythme lent et à la mélodie envoûtante créait une sorte d'aura de plénitude et de félicité autour d'eux. On se serait cru dans un film avec le décor blanc, les beaux costumes et les amoureux transis qui ne se quittaient pas des yeux. On pouvait lire tout l'amour et la bienveillance qu'ils ressentaient l'un pour l'autre dans leur regard. Ils étaient dans leur bulle et plus rien ne semblait exister autour d'eux.
Malgré le beau spectacle qu'ils offraient, je ne pouvais pas m'empêcher de penser à Josh qui était assis à seulement quelques mètres de là où je me trouvais, à la table d'à côté. Aaron ne faisait pas partie des invités, mais s'il avait été là, sa présence m'aurait certainement beaucoup moins dérangée que celle de son frère. L'eau avait coulé sous les ponts depuis notre rupture et nous étions tous les deux passés à autre chose. À défaut d'être pleinement amicale, notre relation était cordiale et nous arrivions à nous entendre. Avec mon ex-meilleur ami, l'ambiance était différente. Je lui avais dit bonjour lorsque nous nous étions vus à la mairie, mais j'avais pris le soin de ne pas lui adresser la parole depuis, et je faisais également très attention à ne jamais croiser son regard. À cause de la confession qu'il m'avait faite un an plus tôt, je ne savais pas comment me comporter avec lui. Était-il passé à autre chose ? Devais-je faire comme si de rien n'était ? Pouvions-nous redevenir les amis que nous étions avant ? Autant de questions qui se bousculaient dans ma tête et qui me rendaient particulièrement nerveuse.
À force de penser à Josh, je finis par tourner machinalement la tête dans sa direction. Au moment où nos regards se croisèrent, je me détournai brusquement en me maudissant pour cette réaction autant exagérée que suspecte. Les invités se levèrent pour rejoindre les mariés sur la piste de danse et de mon côté, j'en profitais pour prendre la fuite.
J'allais me réfugier sur les marches du perron devant la maison, loin des rumeurs de la fête. J'étais incapable de faire face à Josh. J'avais peur que mon regard soit le reflet de ce que j'éprouvais et qu'il puisse y lire mon trouble comme dans un livre ouvert.
Malheureusement, le jeune homme m'avait suivi dans ma retraite et je le vis approcher de l'endroit où je me trouvais. Mon instinct me suggérait de prendre à nouveau la fuite, mais je fis un effort surhumain pour l'ignorer, consciente que m'échapper une nouvelle fois aurait été complètement ridicule.
— Tu m'as manqué, me dit-il avec douceur avant de s'asseoir à mes côtés.
Sa remarque me foudroya et mon cœur se mit à palpiter sous le choc.
— Quoi ? répliquai-je estomaquée.
— Tu m'as manqué. Je viens de réaliser à quel point en te voyant aujourd'hui. Tu m'as manqué et ça me fait vraiment plaisir de te revoir.
Il l'avait répété trois fois comme s'il voulait faire en sorte que l'information s'imprime correctement dans mon esprit, mais mon cerveau avait beau faire de son mieux pour traiter ces données, il ne savait pas trop quoi en penser et était déconcerté par une telle franchise.
— Je te mets mal à l'aise ? s'inquiéta-t-il, ne m'entendant pas répliquer.
C'était le cas de le dire et je pouvais difficilement le cacher. J'avais subitement envie de me miniaturiser afin de disparaître dans le trou de souris le plus proche pour ne plus avoir à affronter son regard insistant posé sur moi.
— Je suis désolé d'être aussi direct. Je sais que tu me détestes. Je suis venu te dire que tu m'avais manqué parce que ce sentiment m'obsède depuis que je suis rentré. J'étais parti pour faire le point sur ma vie et pour t'oublier, mais au final, je n'ai fait que penser à toi. Il aurait mieux valu que je me taise. De toute façon, dans quelques semaines, je retourne à Seattle et tu n'entendras plus jamais parler de moi. Je te le promets.
Il faisait erreur en pensant que je le détestais. En son absence, j'avais beaucoup pensé à lui moi aussi et j'avais fini par réaliser à quel point son amitié me manquait.
— Il nous reste trois semaines avant ton départ. Ce serait chouette de pouvoir se retrouver comme au bon vieux temps en mettant nos différends de côté. Qu'en dis-tu ? Penses-tu que l'on puisse redevenir les amis que nous étions auparavant ?
Je gardais les yeux fixés sur lui, déglutissant avec peine en attendant sa réponse, quand soudain, j'entendis soudain des cris joyeux d'enfants. Je tournai la tête et vis un groupe de jeunes qui riaient en se tirant dessus avec des pistolets à eau, en se rapprochant de nous. Un tir perdu m'atteignit en plein visage. Ma coiffure était officiellement fichue, quant à mon maquillage, je me félicitais pour avoir choisi de porter un mascara waterproof. Mon expression devait être hilarante, car Josh pointa un doigt moqueur dans ma direction et se mit à rire à gorge déployée.
— Tu aurais vu ta tête, lâcha-t-il entre deux fous rires.
Je me renfrognai jusqu'à ce qu'un jet d'eau l'atteigne à son tour. Je ne me privais pas pour le railler tout comme il l'avait fait avec moi. Toutefois, connaissant Josh et son esprit combatif, je savais qu'il ne resterait pas les bras croisés. Comme je m'y attendais, il se leva et défia les enfants du regard. Je pouvais clairement voir briller une étincelle de malice dans ses yeux. L'heure de la revanche avait sonné.
— Vous ne savez pas à qui vous avez affaire, les prévint-il avant d'aller se mêler à la bataille.
Ayant également quelques comptes à régler et étant d'humeur joueuse, je lui emboîtai le pas.
Le groupe d'enfants se composait de cinq garçons et de trois filles qui s'égayèrent davantage en constatant que nous nous prêtions au jeu. Josh s'avança en direction d'un jeune garçon de sept ans et le mit sur ses épaules tout en lui donnant des instructions pour viser. La cible qu'il désignait n'était autre que moi, et son jeune complice semblait ravi de coopérer. Une demoiselle d'environ douze ans s'avança vers moi et me donna l'un des deux pistolets qu'elle tenait. L'assemblée se divisa rapidement en deux groupes, les filles, dont je faisais partie, d'un côté et les garçons menés par Josh. Ces derniers avaient l'avantage du nombre et ils parvinrent sans difficulté à nous encercler, infligeant des dégâts considérables à notre unité. Les pistolets finirent par se vider et l'offensive se termina presque aussi rapidement qu'elle avait commencée. Nous étions mouillés de la tête aux pieds, mais nous avions combattu avec honneur et fierté.
Les enfants nous quittèrent pour aller remplir leur jouet, en me laissant à nouveau seule avec Josh. Nous nous étions dépensés au point d'en être essoufflés, mais nous avions le sourire aux lèvres, toujours plongés dans l'euphorie de la bataille.
— J'ai l'impression que le bon vieux temps ne sera pas aussi difficile que ça à retrouver, reprit-il en réponse à la question que j'avais posée plus tôt.
Il avaitraison. Il nous suffisait de quelques gouttes d'eau pour retrouver notre complicité.Le bon vieux temps n'était pas aussi loin que ce que je pensais et j'en étaisréconfortée.