— Votre envie d'aventure est morte à cause de Githrandiar. Mais il ignore qu'il représente la cause de la destruction de tous vos rêves. Vous lui en voulez énormément. Le temps est venu qu'il apprenne que sous son influence, Ness Hornblowers est devenu Ness.
Le petit l'entendit se lever et sa main d'ange s'envola tel un oiseau. Le froid lui traversa les os. Il se sentait de nouveau seul et abandonné comme dans son enfance, mais surtout, il ne savait plus qui il était et ce qu'il voulait.
— Savez-vous ce que Githrandiar m'a dit après que j'ai découvert sa véritable identité ? Il m'a lancé que je n'étais qu'un aïdem. Que les Hornblowers étaient extravagants de partir de Blimane. Que nous sommes inaptes et que nous ne pourrions survivre deux jours loin de notre petite vie paisible. Que l'illusion de vivre continuellement en-dehors d'Entre-Monde nous berce dans une folie inconsciente. Que si le Magicien de Lumière ne nous protégeait pas, nous aurions été rayés de ce monde !
La vampire le regardait en attendant la suite. Ness se lança.
— Il vient souvent chez moi après avoir fini une de ses missions. La plupart du temps, il n'est pas en très bonne forme. Je le nourris et le soigne pendant qu'il me raconte son excursion. Il ne fait que parler de lui. Je sais que ma vie est anodine, mais demander comment je vais serait le minimum dans une amitié. Mais non, car c'est toujours « moi je », « moi je ». Quelques fois, je me permets une petite réflexion sur la façon dont il a effectué sa mission. Il me répond qu'il est un Magicien d'Undĕwial et l'opinion d'un simple aïdem ignorant tout sur son travail lui ait indifférent. Réalisez-vous à quel point c'est pénible un ami aussi... égoïste ?
— Pourquoi êtes-vous tellement gentil dans ce cas ? Il vous fait du mal.
— Il me fait rêver. Cela fait bien longtemps que mes livres ne me suffisent plus. J'ai faim d'entendre de vraies histoires, dont leur véracité s'est sérieusement produite. C'est grâce à Githrandiar que j'arrive à tenir à Blimane et à ressembler à tout le monde. J'accorde que jouer une personne que je ne suis pas depuis d'années s'avère de plus en plus facile. Enfin de compte, mon talent d'acteur me rend fier, car je réussis à me tromper moi-même.
— Donc, Githrandiar vous fait du mal, mais en même temps du bien ? grimaça-t-elle. C'est un peu paradoxal tout ça.
Ness hocha la tête et étira ses lèvres sur un petit sourire triste.
— Le pire c'est que souvent, quand il toque à ma porte, je me dis « Ne le laisse pas rentrer cette fois-ci. Tes amis ne l'apprécient pas. Il est ton mal ». Mais je n'y arrive pas, car j'ai besoin qu'il me raconte sa mission.
L'aïdem se mit à rire.
— J'aime me faire souffrir, conclut-il.
— Que voulez-vous ? lui demanda la vampire, avec ses iris ensorceleurs.
Ness regarda autour de lui. Le feu brûlait toujours avec ardeur. Par moment, les flammes s'espaçaient pour laisser deviner pendant quelques secondes les silhouettes de Githrandiar et Rowan. Il ferma les yeux afin d'apprécier davantage la douce chaleur émanant de l'âtre, mélangeait à la brise de la nuit fraîche.
— Quand Githrandiar part de chez moi, j'espère chaque fois que le malheur le foudroiera dans sa prochaine mission pour que les rêves ne viennent plus me hanter.
— Vous êtes plus qu'un simple aïdem. Comme moi, je suis plus qu'une Nouvelle Vampire. À nous deux, nous pourrions accomplir de grandes choses. Githrandiar n'aura pas son mot à dire et devra vous écouter. Souhaitez-vous vous venger du Magicien Sans-Visage ?
— Je ne veux pas qu'il meure ! s'écria l'aïdem.
Il porta sa main devant sa bouche et regarda derrière le feu pour vérifier s'il n'avait pas attiré l'attention du duo.
— Je ne désire pas la mort de Githrandiar, confirma Ness, plus doucement.
— Vous souhaitez lui faire mal, au moins autant qu'il vous en créer ? Ne serait-ce pas raisonnable ? Depuis combien d'années souffrez-vous ? Githrandiar mériterait les mêmes tourments qui vous incombent. Chaque soir, vous espérez qu'il échouera à sa mission.
Ness regarda la femme. Le feu derrière elle l'illuminait, telle une de ces déesses décrites dans les livres. Un sourire étrange défigura son visage enfantin.
— Je vous aiderai, déclara-t-elle.
— Vraiment ?
— Bien sûr, répliqua-t-elle avec un rictus carnassier.
— Comment ? demanda Ness, en plissant son front.
La vampire sortit le poignard.
— Rien de plus simple. Il est peut-être un puissant Magicien, mais il reste un fragile humain.
Elle passa son index sur la lame fine comme une aiguille.
— Et être un homme veut dire que la mort peut frapper à tout moment.