— Oui, c'est pour ça que je sais que ma dernière heure est venue. Tu es la vampire qu'Undĕwial a sortie des Terres des Anciens Vampires depuis la transformation de la fille du Roi Swamehtar. Tu nous traques et tu nous tues. Et si tu es de bonne humeur, la mort est rapide. Tu te fais appeler Lady Drana. Mais qu'est-ce que les grands dirigeants de notre monde t-on ils promis ?
— Les nouvelles se rependent vite, surtout quand la peur est le fil conducteur. Mais où se trouve l'origine de ce bruit ? Sa véracité me semble incertaine. Les rumeurs colportées ont souvent une part de fidélité, mais le reste est à prendre au second degré. Tu vas mourir aujourd'hui, demain ou dans les jours à venir, donc je peux me permettre de restituer la vérité. Je ne viens pas de Mor-kzar, mais d'un peu partout. Je suis la bâtarde d'une mère qui m'a donné le goût de la torture. Ses cours ont toujours été très complets. Et d'un père qui m'a tout simplement abandonné.
"Je n'appartiens pas à Undĕwial, d'ailleurs, je ne suis la propriété de personne. Ta question porte plutôt sur mon activité intensive durant ces dernières années, je suppose. Je suis, candidement, à la recherche de certaines réponses et seul vous, les vampires, pouvaient la détenir. La gentillesse ne fonctionne pas, donc vous m'obligez à employer la manière forte. Si tu y réfléchis, cette souffrance est uniquement ta faute. Ne m'en tiens pas rigueur.
"Une autre rumeur se révèle fausse sur mon nom. C'est vous, les suceurs de sang, qui m'avaient baptisé Lady Drana. Au début, je n'étais personne, mais votre peur a choisi un sobriquet, dans l'espoir de pouvoir m'éradiquer. Visiblement, votre aspiration a échoué, car j'adore mon titre en plus. Et maintenant, tu es enfermé ici, mais aussi dans ton esprit où toutes les issues te sont à présent fermées. Tu es coincé, ricana la femme."
— Je ne suis plus un humain. Je suis un Vampire et non un individuel. Je suis Un. En totale communion avec l'armée. Être un Vampire, c'est la déshumanisation garantie.
— Et si quelqu'un pouvait vous sauver de cette torture ? Vous redonner espoir ?
— Personne ne voudra nous offrir un si beau cadeau, car l'Entre-Monde nous considère comme des monstres. Comme des démons. Toutes ces idées reçues par les différents peuples ont été créées par Undĕwial, puis insufflé dans tout Entre-Monde.
— Étonnant venant de leur part, riposta la femme sur un air sarcastique avec une légère pointe de haine.
— La symbiose ne vous connaît pas, mais a communiqué votre identité au chef suprême. Il prendra contact avec vous très vite, car vos performances le surprenne et l'intéresse beaucoup pour ses plans, déclara-t-il d'une voix qui en contenait plusieurs.
— Car tu crois que ton maître pourra prendre possession de mon esprit et faire de moi un esclave ? Comme tu l'as dit, ignorant du monde, il ne me connaît pas et ne sait qu'une petite partie de mes exploits que j'ai octroyée. Je suis une vampire assez spéciale et qui ne risque pas de tomber dans ses filets, répliqua-t-elle, sûre d'elle.
— Tu es mignonne, mais tu finiras sous ses ordres. Comme moi, marmonna-t-il en levant les yeux au ciel.
— Tu ne lui obéis pas, car si c'était le cas, tu serais hypnotisé et tu ne m'en aurais pas appris autant sur les plans de ton créateur.
— Effectivement, il m'a coupé de lui. Il a compris, comme moi, que j'étais perdu. Il a décidé de protéger ses informations.
— Comme c'est touchant, railla-t-elle.
— Lui seul juge quand la fin est venue. Et bien vite, aux yeux de tout Entre-Monde, il demeurera le maître absolu.
La vampire secoua la tête doucement en signe d'ennuis tout en soupirant.
— Beaucoup d'histoires se créent à partir de rien en devenant une légende immortelle. Mais les vrais mythes ont souvent commencé sous une montagne de mensonges pour, ensuite, sortir à l'air libre comme un second souffle.
— Lady Drana ? Vous ne saurez jamais ce qui se prépare au tréfonds de l'Entre-Monde. Et si vous y arrivez, il sera trop tard.
Ces derniers mots dits, le vampire explosa. Son sang vint s'écraser contre les murs et ses organes recouvrèrent la créature rousse. Ses cheveux étaient trempés de gouttes rouges. Ses habits dégoulinaient de caillots et de morceaux sanglants qui glissaient le long de son armure pour atterrir sur le sol.
La porte s'ouvrit brusquement et de la brume pénétra. Puis, un pied, et enfin, un corps.
— Rudilis ? Quelle surprise, s'exclama-t-elle sans trop de conviction tout en essayant de retirer les restes du vampire explosé.
— Que s'est-il passé ici, Ange ? demanda-t-il.
Vêtu de sa fameuse robe beige, les nuages blancs l'entouraient.
— Rien, démentit-elle, l'air innocente.
— Et tout ce sang ? Et cette machine de torture ? répliqua-t-il en désignant le trou béant.
— Ça ne te concerne pas, répondit-elle en sortant du cabanon comme une furie.
— Explique, ordonna-t-il. Depuis ta disparition, je te cherche sans relâche. Deux ans à essayer de te trouver. Et voilà que je te récupère dans un abri en bois pourri, en train de tourmenter je ne sais quoi.
Des pics de glace lui barrèrent le chemin. S'il avait continué à marcher, il aurait pu être empalé sur l'un d'eux. Il frissonna.
Il ne reconnaissait plus l'enfant qu'il avait vu grandir. Elle semblait avoir pris de l'assurance dans ses faits et gestes, et surtout au niveau de la magie. Elle était aussi irréfléchie et n'avait plus peur de rien, ce qui la rendait en outre plus dangereuse. Il savait, de même, la haine profonde qu'elle avait envers Undĕwial dont il faisait partie. Il allait devoir montrer une certaine adresse.
— Je n'ai pas besoin des conseils médiocres d'une vulgaire cellule blanche, cracha-t-elle. Et puis, d'abord, comment m'as-tu retrouvé ? demanda la vampire en se retournant vers le Magicien de Lumière.
— Je ne vais pas te le cacher, mais ça était extrêmement difficile. Personne n'aurait pu croire que nous allions mettre autant de temps d'ailleurs.
La femme sourit, pleine de fierté.
— La première personne qui réussit à échapper à Undĕwial. Une véritable prouesse, exulta-t-elle. Comment avez-vous fait, alors ?
— Nous avons suivi les traces d'une bande de vampires qui ont détruit, je ne sais combien de villages. L'un d'eux doit faire de la magie, car des créatures que nous n'avions jamais vues ont commencé à apparaître. Des bêtes mélangées avec plusieurs espèces d'animaux. Ils s'en prenaient à tout le monde. Et quand on réussissait à mettre la main dessus, ils se tuaient mutuellement.
— Qui te dit que c'était un groupe de vampires ? demanda-t-elle, avec un petit sourire narquois.
Rudilis la regarda effrayer.
— C'était toi ? souffla-t-il.
— Bien sûr que non. J'explique juste qu'on a déjà vu un vampire produire de tels carnages.
Rudilis était peu convaincu, mais elle était trop jeune pour perpétuer des massacres d'une telle ampleur. Et il avait trouvé des indices qui lui avaient clairement appris la présence de plusieurs personnes. La magie ne pouvait le tromper.
— Écoute-moi..., tenta-t-il gentiment pour calmer le jeu.
Rudilis ne put finir sa phrase, car, sous ses yeux, l'armure noire et dégoulinante de sang de la Vampire se changea en une robe grandiose qui réunissait tous les éléments qu'elle dictait.
De ses épaules, tombait une traîne en dentelle garance et aile de corbeau, d'où s'échappaient des braises rougeoyantes et ardentes qui garenne tout autour d'elle. Certaines venaient s'échouer dans sa jupe, faite d'une eau houleuse, en créant des nuages de fumée.
Cette brume grise remontait vers ses poignets parés de rubans transparents où semblaient vivre des tourbillons de vent. Ils flottaient autour d'Ange en déposant des flocons.
Un voile de fleurs gelées recouvrait sa peau, laissant entrevoir par endroits son enveloppe charnelle. Sur ses cheveux roux, une fine poudre blanche dissimulait le haut des pétales roses qui constituaient une tiare. Les pistils libéraient des éclats argentés et dorés.
Les brindilles qui assemblaient le diadème se mouvaient dans l'air comme une danse sinistre.
Le Magicien de Lumière recula, en comprenant trop tard qu'il ne pouvait plus rien faire.
— Je suis une vampire dorénavant. Vous croyez pouvoir contrôler mon destin comme un vulgaire pantin de bois. Mais j'ai goûté à la liberté, désormais. Vous avez peut-être oublié, mais je suis comme vous. Je pense et je respire. Je ne serais plus l'esclave de l'Entre-Monde. J'ai le droit de vivre. Et je tuerais chaque personne qui essaiera de me faire tourner vers l'avenir que vous avez voulu choisir à ma place. Un vampire ne ressent aucun sentiment. Il n'a pas de cœur. Et c'est mon cas littéralement. Je n'ai pas eu de famille, seulement des géniteurs. Et eux aussi périront de mes mains sans que j'en éprouve l'ombre d'un remords, gronda-t-elle.
— Tu te crois vraiment intelligente ? Courageuse ? Tu t'imagines si crucial ? Tu n'es qu'une vulgaire bâtarde, réfuta-t-il avec mépris. Le monde te déteste déjà et ceux qui prennent la peine de t'aimer le font purement par pitié. J'ignore ce que tu as construit pendant tout ce temps, mais sache que ce vaste monde est le mien. Je détruirai tout ce qui se dresse devant moi. Pour le moment, tu es un élément perturbateur, mais très vite, je t'obligerais à te ranger et tu suivras le pas. Ta liberté n'a guère d'intérêt, me tenir en laisse, par contre, me permettrait de réaliser de grandes choses. Tu dois exécuter ta mission que tu le veuilles ou non. Je t'y contraindrais. En tant qu'être vivant, tu ne sers à rien. Accomplis la prophétie, puis tu mourras dans l'oubli, sans reconnaissance.
— Pourquoi perdez-vous votre temps à exiger que je mène à bien votre projet alors que je ne suis pas l'enfant ?
— Cela ne te concerne pas.
La vampire observa attentivement le magicien, couché sur le sol.
— Les ténèbres approchent et il n'est toujours pas arrivé ? Je suis donc votre unique solution alors que vous savez que ça ne fonctionnera pas, mais votre espoir, lui, y compte.
Un râle s'échappa de sa gorge et il tomba en arrière. Ses vêtements avaient été déchirés sauvagement. Les nuages autour de lui étaient devenus noirs.
Un bruit sec lui fit comprendre que ses deux jambes venaient de se briser.
— Tu bavardes comme une pie, mais tu essaies de convaincre qui ? Toi ou moi ? siffla la vampire, entre ses dents.
Et elle s'éloigna du Magicien de Lumière.
— Je ne veux persuader personne. Mais en m'attaquant, tu montres que tu n'aimes pas entendre la vérité, cria-t-il en haletant de douleur.
Elle se retourna à vive allure et empoigna le cou fragile du vieillard en le soulevant de terre. Avec une force surhumaine, elle jeta le corps dans les fourrés. Un second son répondit.
Quand elle s'approcha, du sang coulait de la tête de Rudilis. Il riait à gorge déployée.
— Pauvre idiote. Sers-toi de ton esprit, rétorqua-t-il dans un ricanement plein de souffrance.
La femme sourit et tourna le dos à l'homme devenu fou par l'intensité du mal.
— Tu penses que ton père n'a pas conspiré avec tout le monde ? C'est vrai que c'est un ange, je l'avais oublié. Il t'a libéré, donc, c'est le héros du jour. Qu'on s'agenouille devant le sauveur de la prophétie acclama Rudilis dans un râle.
— Le sauveur ? Il a plutôt laminé vos espoirs. Et je trouve cela hilarant. De plus, j'adore voir votre colère dès que Githrandiar entreprend quelque chose qui met en échec vos plans. En réalité, vous êtes juste jaloux de votre frère. Et vous auriez aimé être mon protecteur, mon libérateur. Sauf que Githrandiar, le Magicien Sans-Visage, est le bienfaiteur de tout Entre-Monde. Vous, tout le monde vous déteste, glissa avec victoire, Ange.
— S'il t'a sauvé, c'est pour lui et non pour toi. Il sait qui tu es, donc, profites-en au maximum jusqu'au moment où tu t'en rendras compte, misérable gamine.
Un sourire aux dents blanches apparut sur le visage cristallin de cette femme. Deux canines touchaient le bord de ses lèvres écarlate, qu'elle mordit avec délectation et un jet de sang jaillit pour couler sur son menton. Le regard de Rudilis se perla d'effroi.
— Pauvre exorciste, naïf d'Entre-Monde. Mes paroles ne sont pas vaines. Je viens de te donner la preuve de ce que je prévois pour ton bien-aimé frère. Il croit que je ne suis qu'une petite humaine, juste capable d'être une vampire. Entre nous, seule cette forêt pourra nous dénoncer. Qu'en dis-tu ? Tu me laisses libre et je me sers de Githrandiar à ma guise comme il est persuadé qu'il m'utilise. Tandis que ta chère nièce fait disparaître ton cadet afin qu'il cesse de te faire de l'ombre. Marché conclu ?
Une pointe d'envie passa dans le regard de Rudilis. C'était une proposition très alléchante. Ange le comprit clairement et un sourire carnassier se peignit sur son visage.
Ses vêtements prestigieux commençaient à s'évanouir pour laisser place à la légère armure qu'elle arborait avant.
— Je suis une individuelle, sans doute plus dangereuse qu'une légion entière de vampires, car j'ai un esprit qui fonctionne en solitaire.
Là-dessus, la femme quitta les fourrés. Seul le bruit des branches qui grinçaient sous le vent venait troubler le silence de cette forêt.
Rudilis se coucha sur le parterre de mousse et d'herbe. Ses yeux se fermèrent doucement. La brume qui l'entourait se colorait progressivement de vert et de violet. Ses épaules se soulevèrent, puis il disparut.