Loana ne parla pas durant plusieurs minutes. Je croyais que c'était parce qu'elle était pensive, mais quand elle se retourna vers moi, je lus sans problème l'inquiétude et l'angoisse dans ses yeux. Il y avait quelque chose d'anormal. Quelque chose de grave.
Je l'attrapai par le poignet, soucieux.
- Tu ne m'as pas amené ici pour me faire une écharpe, n'est-ce pas ?
Elle essaya de cacher son angoisse derrière un masque d'agressivité, sans chercher pour autant à dégager son bras.
- Très perspicace, Lumineux.
Je posai une main sur son menton et la forçai à me regarder dans les yeux. Ils étaient extraordinaires. Tempétueux et sombres, mais avec une part de vulnérabilité. Je me rendis compte que j'aurais pu faire n'importe quoi pour ces yeux-là.
- Bon, et maintenant si tu m'expliquais ce qu'il se passe ?
Elle ne put soutenir mon regard plus longtemps et détourna les yeux. Elle se dégagea doucement et fit quelques pas nerveux.
- Tenuka est en danger. Héli-Anor vient de me dire qu'en me prenant comme Symbiote, elle l'a condamné. Elle m'assure qu'elle ne savait pas que j'avais un jumeau et donc que ça allait arriver, mais ça n'empêche pas le fait que, maintenant, mon frère est sur le fil du rasoir.
J'écartai les bras et le regrettai aussitôt. Mon épaule n'avait pas apprécié le geste.
- Qu'est-ce qu'on peut faire pour remédier à ça ?
Loana avait des larmes dans les yeux et c'était insupportable à regarder. Je n'aimais pas la voir si désœuvrée.
- Rien, dit-elle d'une petite voix, une voix si faible que j'eus du mal à l'entendre. Il n'y a rien à faire. Pour le sauver, il faudrait qu'Héli-Anor ait un frère et que ce frère accepte de prendre Tenu comme Symbiote. Mais elle m'a avoué qu'elle n'avait que deux sœurs.
Elle avait un mal fou à se retenir d'éclater en sanglots. Et moi ça me rendait malade de la voir dans cet état.
Je m'avançai et la pris dans mes bras. A mon grand étonnement elle se laissa faire et me rendit même mon étreinte. Elle s'agrippa à mon T-shirt comme à la vie et enfoui son visage contre mon torse. Je réfléchis à toute vitesse à ce que je pourrais faire pour l'aider. Mais les mots comme les solutions me manquaient cruellement.
- Mon père, qui est une personne plutôt influente dans mon monde, avait l'habitude de me dire ça quand je pensais que je n'arriverais pas à faire telle ou telle chose : la frontière entre le possible et l'impossible n'existe que lorsque tu lui en donnes l'autorisation. Il n'y a jamais de problème insoluble, Loana. On va trouver un moyen de le sauver. D'accord ?
Je la sentis acquiescer, mais elle ne fit pas de mouvement pour s'écarter de moi. Et ça ne me dérangeait pas le moins du monde. J'aimais la sentir blottie contre moi. J'aimais la serrer dans mes bras. Et depuis que j'avais décidé de ne pas remettre un pied sur les Terres de lumière, j'avais comme un poids qui s'était libéré de mes épaules. Je pouvais enfin aimer qui je voulais. Plus de contrainte, plus de devoir.
- Soren ?
C'est fou comme j'aimais quand elle prononçait mon prénom.
- Hmm ?
Elle s'écarta et me regarda dans les yeux.
- Je crois qu'Héli-Anor me cache des choses.
Je fronçai les sourcils.
- Comment ça ?
Elle se mordilla la lèvre supérieur en réfléchissant et j'eus la soudaine et stupide envie de la remplacer.
- Elle n'a pas arrêté de dire qu'elle était là, lors de la bataille avec les Rokars. Mais elle me dit aussi qu'elle ne peut pas survivre sans Symbiote. Ce qui veut forcément signifier qu'elle en avait une avant moi... je ne comprends pas pourquoi elle ne m'en parle pas. Et puis, si toutes les Dolgaroks femelles sont mortes, pourquoi pas elle ?
Je secouai la tête.
- Pourquoi tu ne lui poses pas ces questions ?
Elle fit la grimace.
- Elle ne me répondra pas, je le sais. Je crois qu'elle est vraiment blessée au fond d'elle-même. Et je n'arrive pas à savoir pourquoi. Sa Chevaucheuse a dû mourir, mais dans ce cas qu'est ce qui l'a maintenue en vie, à elle ?
Je lui pris la main.
- Je pense que ça ne sert à rien de te donner la migraine pour le moment. Tu auras toutes ces réponses en temps voulu. Laisse-lui le temps.
Soudain, un cri retentit dans la clairière, suivit par un rugissement tonitruant. Des oiseaux s'envolèrent et Loana et moi sursautâmes en même temps, saisis par le vacarme.
La jeune femme se tourna vers moi, les traits crispés par la peur.
- C'est Héli-Anor ! Soren, ils sont attaqués !
Et avant que j'ai eu le temps de la retenir, elle s'élança vers la clairière en bondissant comme un félin. Je la suivis et dégainai mon épée. Heureusement, mon épaule luxée n'était pas celle dont je me servais habituellement pour combattre.
Nous mîmes moins de deux minutes pour arriver sur les lieux. Au moment où nous débouchions sur le terrain dégagé, un énorme tronc voltigea dans notre direction et je sautai sur Loana pour la plaquer au sol. L'écorce frôla mes cheveux et l'arbre s'écrasa à quelques mètres derrière nous.
Quand je relevai la tête, je ne compris pas tout de suite ce qu'il se passait.
Héli-Anor était campée sur ses quatre pattes, dents découvertes et crachant des jets de flammes ardentes. Yola et Tenuka étaient allongés sous son énorme corps et, si le frère de Loana essayait de s'extirper de son abri, mon amie, elle, ne faisait pas le moindre geste. Elle avait les mains sur les oreilles, les yeux fermés.
Je crus d'abord que la Dolgarok était devenue folle et qu'elle essayait de les tuer. Mais je vis tout à coup quelque chose émerger dans mon champ de vision.
J'écarquillai les yeux de surprise et d'horreur.
Une dizaine de silhouettes humaines étaient en train de s'avancer dans la clairière. Mais d'humain ils n'avaient que la forme. Il y avait deux ailes translucides qui dépassaient de leur dos et ils avaient une tête d'insecte. Ils marchaient sur deux pattes, comme nous, mais avaient quatre bras se terminant par des mains griffues. Deux antennes dorées dépassaient de leur crâne aux yeux globuleux. Ils avaient des mandibules et des crochets en guise de mâchoire.
Je n'avais jamais vu être plus écœurant.
C'est là que je compris qu'Héli-Anor n'était pas devenue folle. Elle essayait de protéger Tenuka et Yola ! Et cet imbécile de Ténébreux ne voulait pas rester à l'abri, certainement pour se battre, lui aussi.
La Dolgarok cracha un nouveau jet de flamme et les créatures horrifiques se replièrent presque aussitôt derrière la protection des arbres.
Loana, qui était toujours sous moi, se releva précipitamment et dégaina son poignard.
Elle se précipita sur Héli-Anor en criant son nom. La Dolgarok ne lui adressa qu'un vague regard enragé. Toute son attention était dirigée sur l'obscurité des bois. Loana se plaça à la gauche de son amie pour combattre à ses côtés, mais cette dernière la poussa d'un geste brusque et l'humaine partit rejoindre sans ambages son frère et ma meilleure amie.
Je restai quant à moi à bonne distance d'elle. Je n'avais pas envie de finir sous son ventre. Si je pouvais me battre, je n'allais pas m'en priver.
La Dolgarok secouait sa queue triple avec fureur. Il n'était pas difficile de comprendre qu'elle éprouvait une haine farouche à l'égard de ses attaquants.
Elle mordit avec sauvagerie dans un arbre à proximité, le déracina sans aucune difficulté et le jeta avec une violence inouïe vers les assaillants qui n'eurent d'autre choix que de s'envoler. Mais Héli-Anor n'en avait pas terminé. Elle faucha une des créatures avec son aile gauche et bondit avec dextérité, faisant claquer ses énormes mâchoires. L'instant d'après, un corps ailé était coupé en deux, retombant sur le sol dans un ploc dégoutant.
Je tirai profit de la surprise parmi les assaillants pour attaquer à mon tour. Loana et Tenuka, qui avaient profité du bond de leur protectrice pour se libérer, me rejoignirent et nous bondîmes chacun sur un adversaire différent.
Malheureusement, je compris très rapidement que nous serions très vite dépassés. Les bestioles se déplaçaient à une vitesse fulgurante, bondissait, voletait et évitait mes coups avec une dextérité incroyable. Pis, ils avaient l'air de s'en amuser. Ils ne portaient pas d'armes, pourtant je sus qu'ils étaient plus dangereux que n'importe quel jarg.
La créature qui me faisait face bougea tout à coup ses mandibules qui cliquetèrent dans un bruit épouvantable.
- Longtemps... murmura-t-il d'une voix sifflante, à vous glacer le sang. Longtemps que je n'ai pas goûté à de l'humain. Tu ssssssseras mon buffet royal.
Et il se jeta sur moi dans un hurlement inhumain. Je n'eus pas le temps de l'éviter. Je tombai à la renverse et eu à peine le temps de l'attraper par le cou pour l'empêcher de me décapiter. Ses crochets se refermèrent à quelques centimètres de ma gorge. Ses yeux étaient fous, animaux. Et il avait une force surhumaine, bien plus puissante que la mienne. Il se rapprochait toujours plus de ma peau et je savais que je n'en avais plus pour long.
Je fermai les yeux quand tout à coup la créature s'arracha à mon corps et retomba à côté de moi, coupée en deux.
Le sol trembla et je vis deux énorme pattes griffue se positionner de part et d'autre de ma tête.
Héli-Anor venait de me sauver la vie. Ses dents dégoulinaient de sang et ses yeux flamboyaient d'une rage et d'un plaisir de tuer que je ne lui avais jamais vu.
Elle dut crier quelque chose à Loana, parce que la Ténébreuse fit un bond en arrière, évitant de justesse de se faire éventrer par son adversaire. Héli-Anor cracha des flammes et rôti la créature sur place.
Il ne restait que quatre bestioles.
Et elle semblaient de plus en plus hésitantes à nous attaquer. La Dolgarok se redressa fièrement et cette fois-ci, elle ne leur laissa aucune chance. Vive comme un éclair, elle donna un coup de patte dans un des insectes et l'envoya s'écraser contre un arbre. Sa queue régla simultanément son compte à un second et elle ne fit qu'une bouchée des deux derniers.
C'est à ce moment précis que je me rendis compte que la Dolgarok n'était pas qu'un gros animal grognon possédant un sale caractère. C'était une machine à tuer sacrément efficace. Et j'avais la chance de l'avoir de mon côté. Plus ou moins.
Je m'aperçus aussi que j'étais recouvert d'une substance dorée et gluante. Quelque chose me disait que je n'avais pas envie de savoir de quoi il s'agissait.
Je me tournai vers Loana, qui regardait avec horreur les corps massacrés à nos pieds.
- C'était quoi, ces trucs ?! aboyai-je, encore sous le choc.
Elle me lança une œillade qui en disait long sur ses sentiments :
- Héli-Anor vient de me dire que ce sont les envahisseurs. Les Rokars.
Hé hé hé. Voilà qui met nos amis dans une sale situation. Alors qu'est-ce que ces Rokars faisaient là? Quel rôle jouaient-ils dans la colonie? RDV au prochain chapitre (qui sera publié je-ne-sais-quand) pour le savoir!
Et sinon, vous avez pu regarder la carte, au chapitre 36?
Bisouuuuuss!