AVERTISSEMENT !
Ce chapitre contient une scène de violence qui pourrait heurter la sensibilité de certains.
Erryn se précipita à l'intérieur.
L'entrée était plongée dans l'obscurité, rendant ses déplacements difficiles, mais elle n'osa pas prendre le temps d'allumer de chandelle. Ne discernant aucun mouvement dans la première pièce, elle glissa à pas de loup vers la suivante.
Un second cri s'éleva, suivit d'un bruit de lutte et le sang de la jeune femme se figea quand elle découvrit enfin ce qu'il se passait.
Sur le grand lit à baldaquin éclairé par les faibles lueurs extérieures, une silhouette mince se débattait, prisonnière de l'homme qui se tenait à califourchon sur elle. Impuissante et suffocante, Kayla tentait désespérément de se libérer du coussin qui l'asphyxiait petit à petit. Elle se débattait comme une diablesse, griffant, frappant, mais son agresseur ne faiblissait pas.
Vive comme l'éclair, Erryn bondit et vint percuter le flan de l'assassin de toutes ses forces. Ils tombèrent tous les deux au sol dans un grand bruit sourd. Plus légère et portée par sa rage, Erryn se releva la première et reparti à l'attaque. Elle le renversa d'un coup de pied au thorax pendant qu'il tentait de se redresser.
L'homme retomba sur le dos et elle ne perdit pas de temps pour l'enfourcher et lui asséner son poing dans le visage. Elle le frappa de nouveau. Au troisième coup, elle entendit un craquement mou qui arracha un cri de douleur à son adversaire. Au cinquième, elle sentit la peau de ses phalanges se déchirer, mélangeant son sang à celui qui coulait du nez brisé de l'homme.
Mais elle était plus légère et lui, apparemment peu désireux de se faire passer à tabac. Il réussit à se dégager, envoyant la jeune femme percuter l'un des montants massifs du lit. Sonnée, elle le manqua de peu quand il se jeta de nouveau sur Kayla qui peinait à reprendre son souffle, la renversant sur le matelas.
Un chuintement se fit entendre et la longue lame du poignard qu'il tenait à présent scintilla au clair de lune.
Kayla hurla à pleins poumons et Erryn se remit péniblement sur ses pieds. Elle agrippa à deux mains le bras de l'homme avant qu'il n'ait eu le temps de frapper et, nouant ses jambes autours de sa taille, elle se laissa basculer en arrière de tout son poids, l'entrainant avec elle.
Des bruits de pas rapides lui parvinrent du couloir et elle pria pour que ce soit un garde. Elle n'était pas assez forte pour rivaliser beaucoup plus longtemps avec son adversaire et savait que, si elle ne parvenait pas à lui arracher l'arme maintenant, personne ne serait là assez rapidement pour éviter le drame.
Retrouvant ses esprits, Kayla tenta de lui venir en aide et de faire lâcher l'arme à son agresseur, mais il lui asséna un coup de pied dans le ventre qui lui coupa le souffle. Erryn se cramponna de toutes ses forces, plantant ses ongles dans la peau de l'homme.
Soudain, la pièce s'éclaira d'une lumière éclatante, si vive qu'elle lui brûla les yeux et faillit lui faire lâcher prise. Néanmoins, cela eut le mérite de déconcentrer leur adversaire et elle sentit sa poigne se desserrer du manche. Lui imprimant une violente torsion au poignet, elle parvint enfin à lui arracher la lame des mains.
Aveuglée par la colère, elle la ramassa à tâtons et lui trancha la carotide d'un mouvement net. Le râle de l'homme se termina en borborygme étouffé quand son sang gicla à grand flot, éclaboussant les couvertures couleur ivoire d'un rouge profond.
Revenant brusquement à la réalité, Erryn senti ses forces l'abandonner et elle s'effondra sous le poids du corps déjà sans vie de l'individu qu'elle venait de tuer.
Son regard croisa celui choqué de Kayla qui la regardait, tétanisée, du sang qui n'était pas le sien, gouttant de son menton pour se perdre en traînées écarlates dans le vallon de sa poitrine.
Les larmes qui brillaient dans les yeux de son amie se mirent à dévaler le long de ses joues, diluant le sang et créant de longs sillons pâles. Sa respiration se faisait de plus en plus heurtée et ses yeux s'écarquillèrent dans une supplique silencieuse.
Erryn tenta de se dégager du poids mort qui l'écrasait et tendit une main vers son amie.
« Kayla, regarde-moi ! ordonna-t-elle. Tu vas bien, tu n'as rien ».
Elle allait lui dire de sortir de la pièce, de ne pas rester ici et d'aller se mettre en sécurité quand le poids qui l'oppressait s'allégea soudain. Resserrant sa prise sur l'arme qu'elle tenait toujours en main, elle rampa vers Kayla dans un dernier effort et la prit dans ses bras, lui offrant son propre corps en rempart. Elle eut l'impression d'enlacer une colonne de marbre tant, sa peau était froide et son corps tendu.
D'une main, le prince lui saisit le poignet, et de l'autre lui arracha le poignard avant de le jeter à l'autre bout de la pièce. Ils se toisèrent un instant et, sans qu'elle ne sache trop pourquoi, Erryn décida qu'il n'était pas une menace. Sans un mot, elle retourna son attention sur son amie et lui nettoya tant bien que mal le visage, mais ne réussit qu'à étaler le liquide chaud et poisseux sur ses joues. Ses mains aussi étaient couvertes de sang, constata-t-elle en réprimant les frissons qui commençaient à envahir son corps.
« Kayla, je t'en prie. Il faut que tu respires. Kayla ! »
Damen arracha sans vergogne Kayla à l'étreinte de la jeune femme qui protesta hargneusement.
« Est-ce que vous êtes blessée ? demanda-t-il à Erryn. Est-ce que vous êtes blessée ? répéta-t-il agacé qu'elle ne lui réponde pas.
– Non.
– Alors allez chercher de l'aide ».
Erryn n'hésita qu'une fraction de seconde avant de hocher la tête et de sortir en trombe de la chambre. Elle faillit s'arrêter quand elle découvrit, éberluée, la source de la puissante lumière qui irradiait la pièce comme si elle seule bénéficiait de la lumière du jour pendant que le reste du monde était plongé dans la nuit.
Un orbe de feu brûlait à quelques mètres du sol, semblable à un soleil miniature. Sur un geste du prince, il explosa en dizaines de petites flammèches qui allèrent allumer chacune des chandelles du grand lustre.
Mais Erryn ne s'arrêta pas pour observer le spectacle et traversa à toutes jambes l'étage à la recherche de la patrouille la plus proche. Deux couloirs plus loin, elle croisa un duo de gardes en train d'effectuer leur ronde.
« Mademoiselle ! s'alarmèrent-ils quand il découvrit son état. Êtes-vous blessée ? Que s'est-il passé ?
– Kayla... La Princesse, se reprit-elle. Elle a été agressée. Le Prince demande des secours ».
Aussitôt, l'un des gardes sortit un petit sifflet de sa poche et siffla en se penchant au-dessus de la balustrade surplombant les jardins adjacents.
« Vous savez où sont les quartiers de Lady Ethel ? demanda le second garde et Erryn acquiesça. Courez-y, le médecin s'y trouve. Dites-lui qu'il doit vous accompagner sur ordre du Prince ».
Erryn ne se le fit pas dire deux fois et sprinta vers l'étage inférieur. Elle pénétra sans frapper dans "le nid à vipères" comme elle aimait l'appeler quand elle s'y rendait pour raccompagner Letti.
Lady Ethel, vêtue de ses habits de nuit se redressa avec un cri du fauteuil dans lequel elle était installée, le médecin à ses côtés.
« Qu'est-ce que... Sortez d'ici, jeune fille ! s'offusqua-t-elle. Par le Téjas ! » croassa-t-elle en apercevant les vêtements maculés de sang de la jeune femme.
Le médecin était déjà devant elle, la détaillant à la recherche de la source de tout ce sang.
« Ce n'est pas le mien, le rassura-t-elle. Mais il faut que vous me suiviez immédiatement. La Princesse Kayla a été agressée. Le Prince Damen m'envoie vous chercher ».
Le médecin remballa prestement ses affaires et demanda :
« Où est-elle ?
– Dans sa chambre monsieur.
– Par le Téjas ! les interrompit Letti en sortant de la pièce voisine, suivie de Brylee. Erryn, est-ce que tu vas bien ? Et la Princesse ? Est-ce que c'est grave ?
– Plus tard Letti ».
De retour dans la chambre de Kayla, accompagnée du médecin, Erryn y trouva deux soldats occupés à garder la porte d'entrée et deux autres – ceux qu'elle avait rencontrés en premier – en train de fouiller les quatre pièces de la suite dans leurs moindres recoins.
Kayla était allongée sur son lit et semblait endormie. Le prince, assis à son côté, l'observait attentivement de ses yeux d'onyx. Une veine battait sous sa tempe.
Le corps de l'aspirant assassin gisait toujours au pied du lit, mais avait été recouvert d'un drap sur lequel une large fleur de sang s'étendait déjà.
On avait éteint un certain nombre de chandelles et la lumière diffuse des quelques lanternes illuminèrent les yeux de Damen quand il releva la tête à l'approche de la jeune femme, dissipant les ombres de ses iris sombres. Son regard glissa sur Erryn sans s'arrêter et il s'adressa au médecin qui était entré derrière elle.
« La Princesse souffre de tétanie causée par de violentes émotions. Je suis parvenu à l'apaiser, mais son esprit est trop agité, je préfère m'en remettre à vous pour la suite.
– Je peux lui administrer de quoi l'endormir profondément. Cependant, il faut qu'elle change de quartiers, elle ne pourra être sereine tant qu'elle se trouvera sur les lieux de son agression.
– J'ai déjà ordonné que l'on prépare la seconde chambre à mon étage. C'est le lieu le plus sûr après les quartiers de mes parents.
– Excellente décision, Votre Altesse, acquiesça le vieil homme. Je pense qu'il n'y a pas de risque à la déplacer maintenant. Mieux vaut que le changement se fasse pendant qu'elle est inconsciente.
– Rassemblez ses affaires essentielles, vous récupérerez le reste demain », ordonna Damen à l'intention d'Erryn.
Ne trouvant rien à redire, elle obtempéra et s'en alla ramasser quelques tenues ainsi que les effets personnels de son amie. Quand elle se revint, elle vit le jeune homme charger Kayla dans ses bras et se diriger vers la sortie.
« Soldats ! dit-il. Assurez-vous que le chemin soit dégagé et pas un mot à qui que ce soit au sujet de ce qu'il s'est passé ce soir ».
Sur ces paroles, il sortit de la pièce, précédé de deux gardes. Erryn leur emboîta le pas et les suivit jusqu'aux étages supérieurs.
Qualifier l'étage qu'ils venaient d'atteindre de "luxueux" était un euphémisme. Le couloir menant aux quartiers du prince était éblouissant, somptueux de richesses et de raffinement. Ils passèrent une première porte avant des s'arrêter devant une seconde, quelques mètres plus loin.
Un des soldats déverrouilla la porte et Damen pénétra dans l'anti-chambre – toujours suivit du médecin et d'Erryn – puis se dirigea droit vers une des pièces adjacentes et déposa Kayla sur la méridienne qui se trouvait au pied du lit mastodontesque, plus confortable que tous les matelas qu'Erryn avait connue dans sa vie.
Quatre femmes de chambre apparurent sans un bruit.
« Occupez-vous de nettoyer la Princesse, puis sortez. Docteur, décida Damen, vous vous occuperez des soins ensuite ».
Il se tourna enfin vers Erryn.
« Suivez-moi.
– Je souhaite rester aux côtés de la Princesse, objecta celle-ci.
– Ce n'était pas une requête. Nous avons des choses à nous dire ».
Erryn obéit à contrecœur et jeta un dernier regard vers son amie, toujours inerte. Elle suivit le prince jusqu'à la première porte du couloir, qu'il déverrouilla avant de la guider jusqu'à une pièce qui était visiblement son bureau.
Il ouvrit un secrétaire et en sortit une carafe de cristal à moitié remplie d'un liquide ambré dont il se servit un verre, puis il s'assit dans le fauteuil qui se trouvait derrière le grand bureau de chêne. Il ne proposa pas de boisson à Erryn qui l'observait sans un mot d'un regard torve. Malgré l'odeur métallique du sang qui lui imprégnait les narines, la jeune femme perçut celle boisée d'un alcool de qualité.
Il porta le verre à ses lèvres et but une gorgée sans cesser de la fixer. Finalement, il déclara :
« Je vous ai vu tuer cet homme d'un geste parfait. Sans aucune hésitation ».
Erryn haussa les épaules.
« Il était en train d'attenter à la vie de ma Dame. J'ai fait ce que j'avais à faire.
– Est-ce que vous êtes une tueuse ?
– Non. Du moins, ce n'était pas le cas jusqu'à présent.
– Est-ce que vous êtes un soldat ?
– Non.
– Est-ce que vous regrettez votre geste ?
– J'ai fait ce que j'avais à faire, répéta-t-elle. Est-ce que cela vous dérange ? Peut-être qu'il s'agissait de l'un de vos hommes... »
Damen ignora l'accusation.
« Aviez-vous déjà vu cet homme ?
– Non. J'ignore qui il est et pourquoi il s'en est pris à ma Dame.
– Qui vous a appris à tuer ?
– Personne », mentit-elle sans broncher.
Le prince vida son verre d'un trait.
« Je pense, dit-il, que cet homme était ici suite à l'altercation de cet après-midi à l'hôpital. L'enquête devra confirmer cette hypothèse ».
Il dévisagea Erryn, guettant la moindre expression de son visage. Leurs regards s'accrochèrent.
« Savez-vous ce qui a provoqué l'agressivité de la foule et la tentative d'assassinat à l'encontre de la Princesse ?
– Non, je l'ignore.
– Très bien. Vous pouvez disposer.
– Vous n'allez pas m'expliquer de quoi il s'agit ? s'offusqua la jeune femme.
– Non. J'ai les informations dont j'ai besoin. Je vous contacterai si j'ai des questions supplémentaires. Vous pouvez disposer », répéta-t-il.
Furieuse, Erryn serra les poids. Il se fichait d'elle ! Mais le regard noir qu'il lui adressa la dissuada d'insister.
Par le Téjas, elle détestait cet homme !
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Si vous avez aimé, si vous savez quoi faire ;)