Pulling a Bradbury

By somebaudy

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“Écrire un roman, c’est compliqué: vous pouvez passer un an, peut-être plus, sur quelque chose qui au final... More

Et Tchèque et mat
Le canard se fait un sang d'encre
L'évêque qui reniflait des emballage de hamburgers encore tièdes
La descente aux affaires
La Sylverfield
Une île privée dans les Caraïbes
Le centre du monde
Le Yacht du Sultan du Brunei
Dix kilomètres à la ronde
Je crois bien que je suis un peu embêté
La sauce pickles se mangeait en famille
Cousu de fil noir
L'averse de 13 h 37
Jeunes MR, menottes et poney
Baron Chlorhydrique
nodipuC
Demain est une drôle d'idée
Il a pas un peu grossi, Bruce Willis ?
Dans la vie, on a toujours le choix
Noces d'Uranium
Floraline et le raton laveur

Borsalino à Barcelone

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By somebaudy

Nue devant le triple miroir de son dressing, elle étire son mètre cinquante-neuf et s'examine sous toutes les coutures. Lorraine Moristel se trouve presque parfaite, sous toutes les coutures. Son tailleur bleu marine est vautré sur le lit derrière elle. Un seul des deux oreillers de ce lit a encore des traces de sommeil au creux des plis. La table de nuit supporte des dossiers. La papeterie porte le logo d'un cabinet de consultance bien connu.


À côté d'un adaptateur qui permet de se brancher à une prise électrique n'importe où dans le monde, son smartphone émet des notifications à intervalles soutenus. Il s'agit presque exclusivement de notifications provenant de son adresse mail professionnel. Pas de copain d'université redécouvrant son existence sur un réseau social. Pas de photo d'organe envoyée par un flirt en ligne.


Elle remet son macbook pro dans sa housse et sort d'un placard un vieux toshiba couvert d'autocollants. Des festivals de musique alternative. Un cyber café/laverie automatique/discothèque de Berlin. Une limonade très appréciée au Chili. Elle l'allume. Rien ne se passe. Elle branche le câble d'alimentation. Le vieux portable consent enfin à s'allumer et la batterie à se recharger.


Elle sort un moleskine de la table de nuit et s'arrête en plein geste. Toujours nue, elle ferme le rideau d'un grand geste. De l'autre côté de la rue, quelqu'un déserte sa terrasse et retourne regarder le journal de France 3. Elle ouvre le moleskine à une page cornée, prend un cadenas, un étrange outil métallique, ferme les yeux et ouvre le cadenas presque du premier coup.

*

Habillée devant les miroirs de son dressing, elle s'examine sous toutes les coutures. Elle ajuste soigneusement le borsalino à larges bords qui pendant cinq jours ne la quittera qu'au lit et à l'intérieur des églises. Elle porte des chaussures plates dont le cuir crie cirage, un jeans usé et déchiré au genou droit et un t-shirt à motifs marinière.


Elle compare avec la photo de son passeport. Elle ressemble suffisamment à la Lorrainne Moristel qu'elle laisse derrière elle pour passer la douane.

*

Charles s'est soigneusement négligé la barbe. Il ne compte pas emporter son rasoir électrique pour ce week-end d'enterrement de vie de garçon. Son frère jumeau se marie dans deux semaines.


Charles enfile des nikes tout juste sorties de leur emballage. Il examine le contenu des poches de la veste de chasse sans manches qu'il compte ne pas quitter du week-end : smartphone, batteries pour le smartphone, décapsuleur, tire-bouchons, préservatifs, briquet, cigarillos et flasque à whisky. La perche à selfie, la crème solaire et les pilules pour purifier l'eau sont dans un petit sac à dos.


Dans une valise il entasse des confettis, de la mousse à raser, une perruque bleue électrique, une robe à fleurs et un panneau proclamant en anglais, en espagnol et en catalan. "Venez embrasser un futur marié. Je donne un euro pour un baiser.". L'espace restant est entièrement occupé par des rouleaux de papier toilette.


Charles regarde sa banlieue de Luxembourg par la fenêtre de son appartement. Il voit des courts de tennis, des SUVs, quelques piscines et un terrain de pétanque. Une mère de famille passe en bas de chez lui à la poursuite d'un délinquant juvénile de trois ans qui fait de la trottinette sans casque.


Charles ouvre le petit coffre dans le mur de sa chambre et en sort des billets de cent euros. Il en remet quelques-uns dans le coffre. Oh, et puis zut, c'est pas tous les jours qu'on enterre la vie de garçon de son jumeau. Il reprend dans le coffre ce qu'il y avait remis. Il glisse son portefeuille dans une poche intérieure munie d'une fermeture éclair.


Un grand clic résonne et la clé magnétique verrouille la porte de son appartement. L'application Uber indique que la voiture est au pied de l'immeuble dans deux minutes. L'ascenseur l'attend à son étage. Charles chantonne : "Du rhum, des femmes et d'la bière nom de Dieu."

*

Susannah Pumpkin farfouille dans sa valise. Elle cherche le foulard qui convient à son humeur du jour pour sa calvitie. Ses sourcils ont commencé à repousser, mais les photos où elle arbore des tresses à la Pocahontas et pour soutenir la tribu voisine appartiennent au passé. Elle secoue son pilulier électronique pour la troisième fois en quinze minutes. Des collisions en chœur la rassurent pour la troisième fois en quinze minutes.


Elle relit la feuille d'instruction qu'elle laisse à Stanley. Le fils des voisins a promis de veiller sur Théodore comme sur la prunelle de ses yeux. Il n'a pas arrêté de poser des questions. Susannah a répondu à presque toutes. Elle a botté en touche quand il a demandé "Ca vit combien de temps, un iguane, Susannah ?"


Depuis sa cuisine, Susannah peut voir ses deux jardins. Celui devant sa maison est un potager. À son retour, il faudra qu'elle surveille les tomates. Elles auront peut-être besoin d'engrais naturel. Elle a dit à Stanley que les grandes plantes qui poussent dans le jardin de derrière sont "des fougères sauvages qui aident à chasser les pucerons". Elle espère que même en Oregon, les petits garçons de neuf ans ne s'y connaissent pas encore en botanique récréative ou médicinale. Elle parcourt sa cuisine du regard en se demandant quel un endroit un petit gourmand n'aura pas envie de fouiller en son absence. Elle range la boîte métallique étanche et le briquet dans le placard étiqueté "Légumes".


Susannah retourne à sa valise en toile. Les t-shirts en coton équitable ne vont pas s'y empiler tout seuls. Le téléphone sonne. Le répondeur décroche. La voix de son ex-mari grésille dans le haut-parleur.


"Susannah ? Susannah, tu es là ? Bon, d'accord, ne décroche pas si tu veux. J'aurai dix minutes de retard. Samantha voulait que je lui taille son rosier. On sera à PDX à temps pour ton avion. Est-ce que je t'ai déjà déçu une seule fois ? D'ailleurs, ça me rappelle que tu dois toujours me - ». Le message a atteint la longueur maximale autorisée par la machine. Le silence se refait dans la maison en sapin.

*

Susannah serre un peu plus fort son sac contre elle en entendant un fermier du Kansas assis à côté d'elle expliquer à sa femme que le métro de Barcelone grouille de pickpockets. Les trams de Barcelone sont des nids à pickpockets. Toute la ville de Barcelone est entièrement peuplée de pickpockets qui ne rêvent que d'une chose : mettre la main sur les dollars durement gagnés par les honnêtes fermiers de Olathe, Kansas.


"- Là où ils sont, ils peuvent toujours essayer de prendre mes travellers cheque !"


Le fermier dit quelques mots à l'oreille de sa femme. Elle prend une mine embarrassée. Son mari à l'air satisfait de lui.


"- Oh, Chuck... Mais si tu...» Chuck met un doigt sur les lèvres de sa femme. Elle ne finit pas phrase. Elle embrasse l'index de son mari.


Susannah jette un œil sur son panier en osier. Son contenu y est toujours. Elle se palpe discrètement la poche arrière du bermuda. Son portefeuille y est toujours. Il y a toujours une dragonne d'appareil photo numérique rose autour de son poignet et un appareil photo numérique rose au bout de la dragonne.


Le paysage lui redevient vaguement familier. Son arrêt approche, elle descend et sort aussitôt de son sac un éventail qui se révèle modérément efficace. On jurerait que le soleil est en train de redoubler d'efforts, qu'il jette tous ses rayons uniquement sur Barcelone et que le reste de la planète est dans le noir.

*

Charles boude. Charles tape du pied. Charles hausse le ton. Derrière son guichet, son interlocutrice reste calme et professionnelle : les festivités d'enterrement de vie de garçon risquent de faire peur aux animaux. Pour une visite calme, elle veut bien leur vendre tous les tickets qu'ils veulent. Pour le selfie de groupe avec son jumeau travesti avec une robe à fleurs et une perruque électrique à l'avant-plan et les chimpanzés, de préférence en train de se reproduire à l'arrière-plan, c'est non dans toutes les langues.


Le groupe a tout essayé. Dire "s'il vous plaît" dans toutes les langues parlées par au moins un de ses membres. Chanter "bon anniversaire" pour la guichetière qui a souri, mais qui n'a pas changé sa position. C'est quand elle a pris un talkie-walkie en main et demandé si elle devait appeler la sécurité que Thomas, le jumeau de Charles et sa bande ont abandonné définitivement.


Ils font escale autour du kiosque d'un marchand de boissons. Tout le stock de bière du détaillant s'évapore en quelques secondes. La carlsberg est au prix du champagne, mais qu'importe. Charles propose un jeu : lancer les canettes vides depuis le plus loin possible dans la poubelle du kiosque. Celui qui ne réussit pas un panier à trois points doit vider une nouvelle canette d'un seul trait. Peu à peu la poubelle de canettes déborde de canette vide et le jeu prend fin de lui-même. Thomas retient un rot et prend la parole.


"- Bon, c'est pas tout ça, on n'irait pas voir des danseuses nues ou quelque chose ? Charles ?"


Charles consulte une application sur son smartphone. Toute la bande chante "Alors ? Alors ? Alors ?" en crescendo.


"- Pas avant minuit. On a le temps d'aller acheter des bisous dans le quartier chaud près des Ramblas.

- Encore ?

- Quelqu'un a une meilleure idée ?"


Le groupe se regarde. Jonathan amplifie au maximum un rot majestueux qui amuse tout le monde à dix mètres à la ronde.


"- On a pris ce-que-tu-sais, Charles ?"


On dirait que Jonathan vient d'avoir une idée.


Charles tourne le dos au groupe et fouille son sac. Tout y est. Il sort un rouleau de papier-toilettes.


"- Messieurs... le jeu de la momie !"


Charles pose son sac à dos au sol et tout le groupe sauf Thomas se sert largement en papier absorbant.


"- Qu'est-ce que je dois faire ?

- Tu vas voir, ça ne fait pas mal..."


Jean-Sait-Tout elle le premier à entrer en action. Très vite un attroupement se forme autour de la joyeuse bande. Charles distribue même des rouleaux à des touristes qui ont très vite compris ce qu'il faut faire avec. La cohue et les cris finissent par attirer la police.

*

La mélodie aigrelette de l'alarme du smartphone tire Charles de son réveil. Il s'est endormi tout habillé. Le rouge à lèvres sur ses joues a taché les draps. Il se lève comme si sa tête pesait cent kilos. Il a à moitié enlevé son pantalon quand il s'aperçoit qu'il n'a pas enlevé ses chaussures.


Machinalement, il met la main à la poche. Il en retire un sachet de thé bio à la place de sa pince à billets. C'est un sachet de thé d'une marque dont il n'a jamais entendu parler. Un examen plus approfondi lui apprend que c'est même pas du thé en fait, c'est une tisane. Récoltée à la main, cultivée avec des engrais naturels, une partie des bénéfices reversés à un centre d'accueil de sans-abri. La totale. Charles sort son smartphone et appelle son assurance. Il rentre la tête dans les épaules dès qu'il entend la première sonnerie.

*

Dans sa chambre d'hôtel, Susannah est perplexe. Elle a vidé son sac en osier. Elle en a retiré sa crème solaire, son éventail, quelques papiers d'emballage, son plan de la ville, froissé et bien usé. Ses doigts sont entrés en contact avec un objet qu'elle n'a jamais touché, jamais vu, jamais possédé.


Susannah contemple une pince à billets. Elle n'a vu que des coupures de cinq, dix, vingt et cinquante euros pendant son séjour. Elle se mord les doigts de ne pas avoir emporté d'ordinateur. Elle ne peut pas demander à Google si ces billets existent vraiment.


Elle prend l'ascenseur.


Le concierge est en train de mettre à jour la fiche d'un client.


"- Excuse me, are these real ?

- Absolutely.

- How much are they worth ?

- One euro is worth about one dollar.

- Really ? Amazing !"

*

Nue devant le triple miroir de son dressing, elle étire son mètre cinquante-neuf et s'examine sous toutes les coutures. Son corps porte ça et là des traces de bronzage, mais le reste est indétectable. Elle enfile ses sous-vêtements de femme d'affaires et sort le macbook pro de son étui. Lorrainne Moristel s'est adonnée à son passe-temps annuel préféré. Elle peut reprendre le cours sage de son existence.

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