En 1902, au cœur du petit village portuaire de Funayako, un couple ordinaire avait mit au monde un enfant aux yeux roses. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre parmi la petite centaine d'habitants. De nombreux voisins venaient frapper à la porte des Matsuura pour confirmer la rumeur.
Certains étaient charmés, convaincus que cette couleur inhabituelle était signe de bénédiction. Mais une autre moitié pensait le contraire. Ils assurèrent que l'enfant était maudit et qu'il apporterait le malheur sur leur village.
Yazaro et Metori ne prêtaient d'attention à aucun des deux avis. C'était leur fils et ils l'aimait. Il n'était ni maudit, ni béni. Il était juste un peu différent. Ils le traitèrent comme n'importe quel parent aimant traitait son enfant.
Matsuura Yazaro était, comme la majorité des habitants, pêcheur. Son épouse, Metori, était couturière. Comme elle travaillait de chez elle, leur fils Thoki, n'était donc jamais seul. Et même si plusieurs personnes avaient proposé de le garder, ils avaient toujours refusé. Ils ne pouvaient pas être certain de qui considérait leur fils comme un monstre ou non.
A mesure que Thoki grandissait, il leur était plus facile de différencier les deux camps qui s'étaient formés. Les premiers déposaient régulièrement des offrandes, comme si leur maison avait été un temple, et semblait traiter leur fils comme s'il était une divinité. Les seconds en revanche se montraient plus agressifs. Jetant des pierres, insultant, interdisant à leurs enfants de s'approcher, accusant Thoki chaque fois que quelque chose de mal arrivait. L'un ou l'autre, ces comportements ne rendait pas la vie de Thoki très facile. Ce n'était qu'un enfant, il ne comprenait rien à ce qu'il se passait. Les voisins qui lui faisaient des cadeaux sans raison lui faisait tout aussi peur que ceux qui lui criaient des injures lorsqu'il les croisait.
À l'école aussi, les instituteurs étaient partagés entre les deux opinions. Thoki ne s'attardait jamais et courait presque hors de la maternelle lorsque l'heure arrivait, pour ne pas croiser ceux qui le détestaient. La seule chose qu'il avait compris malgré son jeune âge, était que ses yeux causait tout ces comportements étranges envers lui.
Ses parents le rassuraient toujours et les amis qu'il s'était fait le protégeaient contre ceux poussés par le parents à le haïr sans raisons. Lui était toujours poli et essayait d'aider lorsqu'il le pouvait.
Il avait six ans lorsque son père l'emmena au port avec lui. Thoki voulait absolument voir comment il travaillait et le patron était un ami proche de Yazaro depuis l'adolescence. Il faisait parti des rares à ne croire aucune des deux opinions. Pour lui, Thoki avait juste une couleur différente, il était certain qu'il y avait une explication scientifique.
« Oncle Hatase ! »
Thoki se jeta dans les bras du patron de son père qui le fit voler un peu.
« Hey, tu as sacrément grandit ! Remarqua Hatase, ça fait vraiment longtemps que je ne suis pas venu boire un verre chez vous.
—Tu n'as qu'a passer ce soir, boss, plaisanta Yazaro.
—Ma femme ne le permettra jamais. Tu sais qu'elle fait parti de ceux croyant à une sorte de malédiction.
—Malheureusement.
—J'aimerais vraiment qu'elle arrête d'écouter sa mère. Bon, Thoki-chan, tu va être bien sage, d'accord ? »
L'enfant en fit la promesse et fut installé dans la cabine principale du bateau de pêche. Il pouvait tout voir de là et Hatase veillait sur lui en conduisant le véhicule pendant que Yazaro travaillait. Il ne cessait de poser des questions et Hatase lui permit d'activer certaines choses.
À la fin de la journée, Thoki assurait vouloir devenir un pêcheur aussi et réclama une réplique de bateau de pêche pour son anniversaire. Son père le lui promis, et lui demanda de rester sagement sur le quai le temps qu'ils déchargent leur prises du jour.
Mais la journée ne se terminerais pas comme ils l'avaient espérés. Alors que Yazaro, Hatase et d'autres employés terminaient de décharger le bateau, un cri d'enfant leur parvint.
Yazaro lâcha immédiatement la caisse de poissons qu'il portait, laissant son contenu se vider, et parti en courant. Hatase venait juste de poser sa charge et suivis immédiatement derrière.
Deux employés étaient sur le point de se battre. Yazaro savait pertinemment que l'un croyait à la malédiction et l'autre à la bénédiction. Le sujet de leur querelle était le petit corps épinglé au sol par un harpon de pêche.
Le père poussa un cri déchirant qui stoppa les deux hommes, alors qu'il se jetait sur le corps de son garçon en pleurant. Il en retira l'arme qui perçait son cœur, avec un faux espoir de pouvoir le sauver, appelant son nom. Hatase n'arrivait même pas à réagir. Yazaro était comme un frère pour lui et il adorait Thoki. Pas comme une sorte de petit dieu. Juste comme un oncle pourrait adorer son neveu, même s'ils n'avaient aucun lien de sang.
L'homme responsable du crime tenta d'en profiter pour s'enfuir, mais l'autre l'en empêcha, tout en le dénonçant. Yazaro se releva alors et se jeta sur lui pour le frapper encore et encore. Hatase et l'autre homme n'osèrent même pas intervenir. Comment calmer un père en colère. Serait-ce vraiment juste de protéger l'homme qui avait assassiné son fils d'une manière aussi violente.
« Papa ? »
Le poing de Yazaro resta suspendu en l'air, couvert de sang à force d'avoir frappé. Il avait casser le nez et la mâchoire de son collègue. L'autre tomba à genoux, les mains jointes comme s'il venait de voir un dieu et Hatase était toujours paralysé, entre effroi, colère et surprise.
Yazaro se retourna. Thoki était debout, vivant. Sa main serrée sur son kimono à l'endroit de la blessure. Ses vêtements étaient couverts de sang. Il pleurait.
« Papa... souffla-t-il douloureusement, j'ai mal... »
Le collègue à genoux marmonnait des prières sans quitter l'enfant des yeux. Yazaro lâcha l'homme inconscient et se précipita de nouveau sur son fils. Il hésita un instant à le toucher, mais le prit dans ses bras désespérément, se fichant de couvrir ses propres vêtements de sang. Lorsqu'il s'écarta, il ouvrit le kimono pour voir la plaie. Celle-ci se refermait d'elle-même, lentement.
À partir de ce jour, la famille Matsuura fut plus encore connue dans le village. La nouvelle avait fait le tour rapidement. Le nombre de villageois croyant à une malédiction avait grandit et ils étaient plus agressifs. L'homme qui avait tenté de tuer Thoki avait été hospitalisé avant d'être emmené par la police. Il n'y avait bien sûr plus aucune preuve de son acte, à part les trois témoins, mais il se vantait lui même et hurlait à qui voulait l'entendre ce qu'il avait fait, tentant de convaincre les forces de l'ordre que l'enfant était maléfique. Mais les policiers, venus d'une ville voisine, étaient bien moins superstitieux et ne laissèrent pas les paroles de l'homme les atteindre.
Thoki cessa d'aller à l'école, pour éviter les nombreuses attaques qu'il subissait chaque fois qu'il sortait. Ses parents cherchaient activement un moyen de déménager, mais même s'ils vivaient confortablement, ils n'avaient pas suffisamment d'argent pour aller vivre en ville aussi soudainement.
D'autres habitants frappaient souvent à leur porte pour des offrandes, panier de nourriture, vêtements, bijoux, priant aux parents de les laissés être bénis par « Thoki-sama ». Mais Yazaro et Metori n'acceptaient jamais rien de cela. Cette vie était presque devenue terrifiante pour eux trois. Hatase était le seul qui pouvait venir les voir. Ayant vu le « miracle » par lui-même, il pensait que Thoki était peut-être effectivement béni. Mais jamais il ne le traiterait autrement que comme un simple enfant. Il venait en cachette, sur ses heures de travail, tôt le matin ou tard le soir, pour que sa femme ne s'en rende pas compte.
Ils vécurent ainsi quatre ans, parvenant à garder Thoki en sécurité. Mais le village n'était pas prêt à l'accepter.