Contre toute attente, Nanaya passa un bon moment au manoir de son père. Nakamara avait dû partir le lendemain en Amérique et avait enchaîné avec un deuxième voyage, il ne passa donc pas les fêtes avec lui. Thoki en profita pour offrir un repas royal à son jeune maître pour le réveillon. Déjà au courant des voyages prévu par Nakamara, il avait même acheter deux présents. Le jeune homme n'avait pas vraiment de passions. Il n'avait jamais vu de film ou jouer à des jeux, il était donc difficile de lui offrir quelque chose. Il n'avait d'ailleurs jamais réellement fêter Noël. Le majordome avait cependant décider qu'il en serait autrement cette année. S'étant procuré les numéros de ses amis, il avait pu savoir quel était sa friandise préférée, le yokan au thé vert, et lui en avait préparés lui-même en quantité raisonnables. Pour son anniversaire, qui tombait le vingt-cinq, il lui avait fait la surprise d'inviter Kotaro, Kenji, Mineko et Rena au manoir. La blonde était même passée chercher Hyokko au complexe et la créature se jeta dans les bras de son humain, heureux de le revoir avant la date prévu.
Rena avait apporté un jeu de société, bien décidée à le faire découvrir à son ami. Ils y avaient passé tant de temps, tout en grignotant les douceurs cuisinées par Thoki, accompagné de thé, qu'ils ne virent pas les heures défiler. Aucun d'entre eux n'avait dit où ils étaient réellement, à part Kenji puisque sa mère n'avait rien contre. Les autres parents n'auraient jamais laissé leurs enfants aller au manoir d'Experion. Ils avaient tous prétendu être chez le rouquin et Kahoru assurait leurs arrière si certains décidaient d'appeler.
Ils étaient installés sur la table de la salle à manger, le plateau au centre, chacun une tasse devant eux. Mais le comportement de Kenji sembla changer à mesure que l'heure défilait. Il était plus distrait et jetait des coup d'œil autour de lui par moment, comme attiré par quelque chose.
« Kenji-kun ? Appela Nanaya. C'est à ton tour.
—Heh ? Oh... pardon... dites... quelle heure...
—Oi, stupide requin ! Coupa Kotaro. Tout va bien ? »
Kenji était livide. Ses yeux parcouraient la pièce, comme en panique, avant de finalement se fixer sur un point un instant.
« Non, pas encore. Murmura t-il pour lui même. Arrêtes...
—Hase-kun ? S'inquiéta Mineko. »
Il s'était mit à trembler et se leva en reculant, faisant tomber la chaise au passage. Il se cogna contre Thoki qui était revenu chercher leurs tasses vides. Kotaro ne put s'empêcher de penser à la fois où Sûtra l'avait touché avec son pouvoir. C'était la seule fois où ils ne l'avaient pas vu enjoué et dragueur. Est-ce qu'il était soudainement sous l'emprise d'un pouvoir encore une fois ? C'était impossible. Personne n'avait ce genre de capacité ici et ils avaient été ensembles toute la journée.
« Hase-san ? Appela Thoki.
—Pardon... pardon... chuchotait le rouquin. Laisses-moi... laisse-moi tranquille ! »
Il n'avait toujours pas l'air de s'adresser à eux. Il pleurait et commençait à s'agiter, comme s'il était terrifié par quelque chose qu'ils ne voyaient pas. Il se mit à hurler à quelqu'un de se taire et plaqua ses mains sur ses oreilles. Hyokko prit peur et se cacha derrière Nanaya. Thoki essaya de le calmer et de savoir ce qui n'allait pas, mais Kenji le repoussa, bien que tombant à sa place. Il ne tenta pas de se relever et resta à genoux. Il pleurait et tremblait, sa respiration était saccadée. Nanaya dépassa son ami d'enfance pour se précipiter vers le rouquin. Il s'agenouilla à ses côtés en l'appelant. Kotaro était prêt à intervenir si leur aîné se montrait aussi violent qu'avec l'immortel, mais ce ne fut pas le cas.
Nanaya posa ses mains sur les siennes en l'appelant encore, doucement, l'incitant à le regarder. Kenji sanglotait toujours, mais plongea ses yeux dans celui du jeune homme en hoquetant. Il sembla se calmer. Nanaya l'attira contre lui pour l'enlacer.
« Tout va bien... souffla t-il. Tout va bien... »
Il ne savait même pas ce qu'il venait de se passer, mais son ami semblait tellement paniqué qu'il n'avait rien trouvé d'autre. Il sentit le corps de Kenji se détendre, sa respiration revenir à la normal. Thoki appela Kahoru, à la demande de son jeune maître et le temps qu'elle arrive au manoir, Kenji s'était endormi dans les bras de Nanaya, les joues trempées de larmes mais le visage apaisé.
« Vous avez réussi à le calmer. S'étonna la femme. On peut dire que c'est une évolution...
—Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Gronda Kotaro. Il s'est mit à paniquer sans raisons d'un seul coup. Il nous a hurlé dessus.
—Ce n'est pas sur vous qu'il hurlait. »
La femme s'agenouilla à côtés de Nanaya en passant sa main dans les cheveux de son fils.
« Je suis désolée. Souffla t-elle. Il aurait dû être rentré pour prendre son traitement. Vous n'auriez pas dû voir ça. Il n'aurais pas voulu que vous le voyiez dans cet état.
—Un traitement ? S'inquiéta Mineko. Hase-kun est malade ?
—Pourquoi il ne nous l'a pas dit ? Questionna Hyokko.
—...il n'est pas vraiment... marmonna la mère. »
Elle soupira et prit son sac pour en sortir son portefeuille. Elle y gardait de nombreuses photos. Elle en tendit une à Nanaya. Il y était représenté un enfant aux yeux vairons, qui était clairement Kenji. Il portait un uniforme d'école primaire, un ballon dans ses mains. Il semblait plus réservé et timide qu'actuellement. Juste à côté de lui, faisant un signe joyeux à la caméra, se trouvait son clone parfait, hormis que ses deux yeux étaient verts.
« Nao. Dit simplement Kahoru avec un sourire nostalgique. C'était son frère jumeau. Il était tellement impossible de les séparer que c'était devenu leur punition s'ils faisaient des bêtises. Nao était le plus téméraire des deux. Kenji, lui, ne faisait rien sans son frère. Ils étaient toujours ensembles. Ils s'adoraient.
—Il y un « mais ». Devina Kotaro.
—...Quand ils avaient huit ans, Nao... est mort. Un chauffard ivre a continué tout droit alors qu'il n'y avait pas de route. Juste mes deux garçons entre sa voiture et un mur... Nao... a poussé son frère pour lui sauvé la vie. Mais vous imaginez bien qu'il n'a pas survécu... ils ont fait de leur mieux, à la morgue, mais ils n'ont même pas pu le rendre présentable. Nous n'avons même pas pu le voir une dernière fois. Et Kenji... ne comprenait pas. Il a mit deux ans à s'en remettre mais... pas totalement. »
Nanaya s'était machinalement mit à caresser les cheveux roux de son ami. Kotaro était réduit au silence. Mineko sanglotait en écrivant sur son portable pour tout raconter à Rena, qui l'accompagnait dans ses pleurs.
« Un syndrome de stress post-traumatique ? Questionna Thoki.
—Chronique. Ajouta la femme. Ça ne s'est jamais vraiment calmé. Il prends des antidépresseurs, des somnifères et des calmants. Il fait toujours comme si tout allait bien parce qu'il ne veut pas qu'on s'inquiète pour lui... il se sent... responsable. Il penses que c'est sa faute. Que c'est lui qui aurait dû mourir. « C'était Noa le courageux, le héro. C'est lui qui aurait dû survivre ». C'est ce qu'il nous dit parfois, après une crise. Il veut devenir un héro... pour se faire pardonner d'une faute qu'il n'a pas commise.
—Alors... il viens d'avoir une crise, c'est ça ? Demanda Kotaro. Il se passe quoi exactement quand ça arrive ? Parce qu'il s'est mit à crier, à demander à quelqu'un de se taire... à demander pardon...
—...il a des hallucinations. Il me les as raconter une fois. Il entends la voix de Nao qui l'accuse d'être responsable. Et il le voit. Il le voit dans une apparence particulièrement... macabre. Comme le jour de l'accident. Il fait aussi des paralysies du sommeil Et il revoit l'accident dans ses cauchemars. Généralement, on le calme en l'enfermant dans une bulle d'eau, parce que rien d'autre n'a jamais fonctionné. Uchiri-san, il doit beaucoup tenir à toi si tu as réussi à l'apaiser aussi facilement. »
Nanaya resta silencieux. Kenji l'avait déjà réprimandé pour avoir prétendu qu'il allait bien... alors que lui-même ne cessait de mentir aussi. Le jeune garçon ne pouvait pas vraiment comprendre la douleur de son ami. Il était fils unique, n'avait jamais eu de frère ou de sœur et il commençait tout juste à comprendre ses propres émotions. Mais il avait au moins compris une chose, c'était que Kenji souffrait.
Kahoru s'excusa de nouveau qu'ils aient dû voir ça, et leur demanda de ne pas chercher à en parler à son fils. Il allait parfaitement se souvenir des évènements. Moins il parlait de son frère, de l'accident, de ses cauchemars, moins les crises étaient fréquentes, à condition qu'il prenne ses médicaments. Elle le ramena, déposant en passant les trois autres chez eux.