Des précisions sur le vocabulaire spécifique sont données en bas de page
***
Jong Ho avait fini par me dégotter une servante. En tout cas, c'était comme ça qu'il me l'avait présentée. Elle devait se charger de ma tenue pendant que lui allait aussi se changer pour être plus à l'aise en se débarrassant de la poussière du voyage.
Celle-ci me trouva une tenue et m'aida à l'enfiler. C'est qu'il y avait plusieurs couches de vêtements à mettre. Je les avais étudiées pour mon exposé mais j'étais bien incapable de me rappeler de tous les noms de tête. Je finis néanmoins affublée d'un hanbok similaire à celui de la mère de Jong Ho à l'exception que celui-ci avait une chima bleu clair et un jeogori vert pomme avec un long otgoreum blanc.
« Vous avez un mari qui vous attend quelque part ? » me demanda-t-elle alors qu'elle m'avait fait assoir par terre pour me coiffer les cheveux.
J'essayai de passer outre l'étrangeté de la question. De toute façon, tout ce que je vivais depuis que je m'étais réveillée en pleine forêt n'avait aucun sens.
« Non. J'ai même jamais eu de petit copain alors un mari... » m'amusai je.
« Votre père est un peu trop protecteur ou vous rencontrez d'autres difficultés ? » me demanda-t-elle tout en me faisant une longue tresse derrière la tête.
J'avais les cheveux qui descendaient jusqu'au bas du dos mais j'étais loin d'avoir l'épaisseur des cheveux asiatiques alors je ne savais pas trop si elle arrivait à faire quelque chose de correct.
« Euh... Ni l'un ni l'autre. La question ne s'est juste pas posée, c'est tout. » répondis je un peu évasivement.
J'étais presque sûre que si je lui disais que je n'avais pas l'âge, elle me dirait le contraire.
« Ah... Les hommes hésitent surement à cause de vos différences... » supputa-t-elle. « Mais ils ont tort. On dirait que vos cheveux sont faits d'or pur et que vos yeux reflètent le ciel. Y a-t-il beaucoup de personnes comme vous de là où vous venez ? »
« Euh... Oui, il y a pas mal de personnes blondes. » confirmai-je, entrant dans le jeu.
Si c'en était bien un.
« Blondes ? »
« Avec des cheveux d'or. » explicitai je en reprenant ses mots.
« Oh, j'aimerai voir ça. » exprima-t-elle. « Mais ça doit être très loin... »
Je hochai la tête. En fait, je n'en savais rien.
« Je ne vais pas pouvoir vous mettre de baetssi. » regretta-t-elle. « Les attaches noires ressortiront beaucoup trop... Mais si vous restez j'essaierais d'en trouver de moins voyantes. »
Comme elle avait fini, je me relevai et vis qu'elle m'avait attaché un daenggi vert pomme, brodé de fleurs bleues et blanches à la base de la natte qu'elle m'avait faite. Je le caressais du pouce. J'avais l'air étrange dans cet accoutrement.
« Avec un peu de chance, vous ne le porterez pas longtemps. » me dit la servante en me désignant le daenggi. « Le jeune maître est ouvert d'esprit et il vous a amené ici. Peut être qu'il consentira à vous épouser ou à vous prendre comme concubine. »
Je lui jetai un regard choqué. Ah bah oui, clairement, j'avais bien envie de faire partie du harem d'un parfait inconnu. Pitié, faites que cela ne soit qu'un rêve et que je me réveille avant qu'un truc comme ça n'arrive.
Et puis... Quand est ce qu'on mangeait ?
Comme en réponse à cette question, j'entendis trois petits coups derrière la porte.
« Est elle présentable ? » demanda Jong Ho, visiblement à l'intention de la servante.
« Oui, jeune maître. » répondit cette dernière.
Fort de cette information, il poussa le panneau qui servait de porte pour nous rejoindre.
Comme il s'était changé, il ne portait plus qu'un baji et un jokki, dans deux teintes de verts différentes, duquel dépassait un jeogori simple blanc cassé. Il avait également troqué son gat pour un sangtu simple en argent.
Il me contempla quelques secondes.
« Un choix de couleur pertinent. » félicita-t-il la servante.
Celle-ci sembla heureuse du compliment et s'effaça sans rien dire.
Jong Ho, quant à lui, s'avança vers moi et tendit un bras qu'il avait dans le dos pour me présenter un livre.
« C'est étrange de vouloir un livre dans ces circonstances. » me fit il remarquer. « Mais il s'agit peut-être d'une coutume de chez toi. Je ne savais pas ce qui était approprié alors j'ai pris un classique. »
Je saisis vivement le livre pour en regarder le titre. Je grimaçai. Évidemment, il était écrit en coréen. Comment savoir si c'était n'importe quoi ? Sauf que... Même si je pouvais bien voir qu'il s'agissait de signes coréens, j'avais l'impression de tout à fait comprendre ce qu'ils voulaient dire.
« La Grande Etude. » lus je.
« Tu connais ? » me demanda Jong Ho. « Chez nous, c'est un livre de base chez les nobles. Même chez les rares jeunes filles qui apprennent à lire. Il a été écrit par Confucius et ses disciples. »
Je l'ouvris pour constater que je pouvais parfaitement en lire le contenu. Et pourtant, il s'agissait bien d'une écriture faite de signe, écrite de haut en bas et de droite à gauche. Mais c'était comme si ça ne me posait aucun problème de compréhension, comme si j'avais maîtrisé cette langue toute ma vie.
« Je... Non... » répondis je un peu évasivement, de plus en plus confuse.
Les mots qui sortaient de ma bouche ne me semblaient pas non plus familiers même s'ils coulaient sans aucune difficulté. Est-ce que je parlais une autre langue aussi ? Et si c'était le cas, pouvais-je encore parler français ?
Je décidai de chanter une chanson pour m'en assurer et entamai l'air d'« Au clair de la Lune ».
Jong Ho leva un sourcil surpris, probablement étonné que je me mette à chanter sans raison apparente.
« C'est ta langue maternelle ? » demanda-t-il.
Donc j'avais bien chanté en français.
« Oui. »
Mais je répondais en coréen.
Je me laissai tomber à terre dès que j'acceptai la révélation. Même si l'hypothèse m'avait parue de moins en moins probable, me faire sortir de chez moi, créer un décor, une histoire, tout ça pour me faire une blague, ça restait possible. Mais me faire parler une autre langue ? Non. Et je l'entendais clairement. J'avais essayé de l'éluder mais si je me concentrais dessus, le langage dans lequel tout le monde s'exprimait n'était absolument pas du français et je le comprenais quand même.
Puisque je comprenais tout et que les phrases que j'avais lues étaient cohérentes, sans compter que j'avais mal quand je me pinçais, je pouvais aussi exclure le rêve.
La communauté autonome ? Je n'aurais pas non plus pu apprendre la langue en une nuit.
J'avais lu beaucoup de romans donc... Ce qui y ressemblait le plus dans mon expérience, c'était un voyage dans le temps. Sauf que dans les romans, la magie existait. Elle n'était pas censée exister pour de vrai. Mais c'était aussi vrai que ces romans décrivaient souvent une magie cachée à la vue du plus grand nombre. Et si au final, ils étaient inspirés d'histoires vraies ?
Je n'étais pas stupide. Même si tout cela était impossible, je ne pouvais nier que c'était en train de m'arriver. Et il y avait cette histoire de puits aux souhaits...
« Tu vas bien ? » me demanda Jong Ho en s'agenouillant près de moi.
Il posa sa main sur mon front pour vérifier ma température. Mais je n'étais pas malade. Juste en état de choc.
« Tu as dis que tu m'avais trouvé près d'un puits aux souhaits. » lui dis je alors qu'il retirait sa main.
Je n'avais probablement pas de température.
« C'est le cas. Tu ne l'as pas vu ? Tu en venais. » confirma-t-il.
« Je veux y retourner. » énonçai je.
Je m'étais retrouvée dans un autre univers parce que j'avais prononcé un vœu sans savoir qu'il allait se réaliser. Peut être qu'en formulant le souhait d'annuler ce changement, je pouvais rétablir la situation.
Jong Ho haussa un sourcil.
« Pour quoi faire ? » demanda-t-il.
Il y avait un véritable intérêt dans sa voix. Et en même temps, il avait l'air de bien s'amuser. Comme si toute l'intrigue de la situation lui plaisait. Il fallait dire qu'il n'était pas vraiment celui qui se retrouvait dans une situation délicate. Il était toujours dans son époque, lui. Et en plus, c'était un noble. Il n'avait probablement pas beaucoup à s'en faire. Néanmoins, je passais outre son amusement. Il fallait que je trouve une excuse.
Mais il reprit la parole avant moi.
« Le puits n'a aucune propriété en dehors des lunes de jade et de toute façon, s'aventurer dans la forêt hantée la nuit est trop dangereux. Tu pourrais finir maudite. »
« Les lunes de jade ? » relevais je.
Jamais entendu parler.
Le sourcil de Jong Ho monta encore plus haut, dénotant un étonnement de plus en plus prononcé.
« C'est un phénomène céleste qui n'a lieu qu'une fois tous les cent ans. » m'expliqua-t-il. « On dit que pendant cette nuit là, l'Empereur de Jade bénit le monde et la pleine lune prend une teinte verte en son honneur. On dit aussi que cette nuit là, on peut rencontrer des esprits et qu'elle est propice à la magie. »
Je hochai la tête sans savoir trop quoi en penser. Il y avait encore dix minutes, je pensais que la magie n'existait pas. Mais maintenant... Enfin, au point où j'en étais, je pouvais toujours essayer de m'adapter aux nouvelles règles de mon existence. Si je ne faisais pas fausse route.
« Quand a lieu la prochaine ? »
Une fois tous les cent ans... On pouvait toujours rêver mais je n'avais pas d'autre idée.
Jong Ho pencha la tête, l'air intrigué et amusé à la fois.
« Dans cent ans. » s'amusa-t-il. « Je me demande comment celle de cette nuit a pu t'échapper, d'autant plus que tu étais sur la route. »
Il marqua une pause, semblant réfléchir.
« Hum... Si tu as passé la nuit dans la forêt hantée, peut être que tu es bien maudite, au final. »
Je hochai la tête sans vraiment m'en rendre compte. Ah oui, ça y ressemblait fortement. Et en plus, il y avait de grandes chances que je me sois maudite toute seule. Ou alors c'était parce que j'avais formulé un vœu sans jeter de pièce dans le puits en retour ?
« Bon alors, quel vœu tu as fait pour te retrouver dans cette situation ? » demanda Jong Ho, avec un air entendu.
Le truc, c'est que je ne pensais pas pouvoir tout lui raconter. Peut être qu'il était assez superstitieux pour croire à la magie -et peut être à raison, d'ailleurs- mais tout le délire de la fille qui vient du futur... Et puis, même si je n'avais jamais pensé me retrouver confrontée à une situation pareille, j'avais lu pleins de romans et, s'il y avait une chose qu'il fallait éviter, c'était bien de mettre le bazar dans le passé. Surtout si je comptais retourner dans mon époque sans que rien n'ait changé.
« Je n'ai pas fait de vœu. » finis je par affirmer. « On dirait que j'ai manqué l'occasion de le faire. »
Il me regarda avec un air suspicieux, se demandant surement si ce que je racontait était la vérité.
« Bon. C'est sans doute mieux comme ça. » finit il par dire, sans pour autant perdre son air peu convaincu. « Ce n'est jamais une bonne idée de faire affaire avec les esprits. Il y a plus de risques que de bénéfices et on peut finir maudit à jamais. »
Ah ah. Super rassurant.
« C'est courant ? » demandai je. « De faire affaire avec les esprits. » précisai je en reprenant ses termes.
« Oh non. Seuls certains chamanes sont capables d'entrer en contact avec eux et on dit que celui qui veut quelque chose d'eux a intérêt d'avoir une offrande suffisante. Sans compter qu'il faut respecter les rituels à la lettre pour ne pas les offenser. Même les rituels de chance sont risqués. Même ma famille n'en a jamais fait. »
Il fixa son regard sur moi.
« Mais ce sont des croyances populaires. Je suis étonné que tu n'en saches rien alors que tu parles si bien la langue. »
Je ne répondis pas tout de suite car j'avais besoin de me concentrer sur ma réflexion. Je ne savais pas à quel point je pouvais me fier à ce qu'il me disait mais je n'avais pas d'autre solution que d'explorer cette piste. Je n'avais pas non plus trente six mille options. Dans la situation délicate dans laquelle je me trouvais, soit je me résolvais à mon sort et j'essayais de vivre comme ça, ce qui me semblait un peu compliqué, soit je cherchais à retrouver ma vie d'avant. D'après ce que Jong Ho venait de me dire, il fallait alors que je trouve un chamane. Ou que je retourne quand même à ce foutu puits aux souhaits. Après tout, quand j'avais fait le mien, il faisait encore jour et à ma connaissance, il n'y avait pas de lune de n'importe quelle couleur que ce soit prévue ce soir là.
Tout ça m'amenait à penser qu'il y avait bien une sorte de magie à l'œuvre mais que les informations que me donnaient Jong Ho étaient soit parcellaires, soit incorrectes. Il fallait donc que je trouve un spécialiste.
« Je ne me suis jamais intéressée à l'occultisme jusqu'à présent. » inventai je à moitié. « Mais j'adorerai trouver un chamane pour en parler. »
Il me regarda avec des yeux ronds.
« ça coute cher. » me prévint il en pouffant. « Et même en admettant que tu viennes d'une famille noble ou riche qui pourrait se permettre de s'acheter ce genre de services, on dirait que tu l'as perdue pour le moment. »
Je dus grimacer. Les dernières paroles de Jong Ho me faisait réaliser qu'en effet, j'avais perdu ma famille dans l'opération. Si je ne trouvais pas un moyen de revenir en arrière, je ne les verrais sans doute plus jamais. Les relations avec mes parents avaient beau être tendues, ils restaient mes parents et je les aimais quand même. Comment cela se passait il de leur côté ? Avaient ils déjà remarqué que j'avais disparu ? Est-ce qu'ils me cherchaient ?
« Désolé, je ne voulais pas te peiner. » essaya de se rattraper Jong Ho en voyant mon expression. « Je comptais t'aider à les retrouver. » révéla-t-il. « ça ne devrait pas être si compliqué s'ils sont dans la région. »
« Ce serait étonnant que tu arrives à les retrouver... » soufflai je, un peu pour moi-même.
Si ma théorie était la bonne, ils n'étaient pas encore nés !
Jong Ho fronça les sourcils.
« Tu serais orpheline ? »
Bonne question. Dans ce monde, oui, certainement.
Il hocha la tête comme s'il venait d'avoir une révélation.
« On ferait mieux de s'en occuper plus tard et d'aller remplir nos estomacs en attendant. » dit il en se relevant, comme il était toujours à genoux près de moi.
Il me tendit la main pour m'aider à me redresser à mon tour et j'acceptai son aide sans rechigner. J'avais de la chance d'être tombé sur quelqu'un qui avait l'intention de m'apporter son aide dans tout ce bazar et je ne pouvais pas me permettre le luxe de refuser.
Et puis j'avais faim.
***
Vocabulaire
Baetssi : Ornement le plus souvent en coton et perles porté sur le haut de la tête par les femmes non mariées. Il est censé leur porter chance.
Daenggi : Ruban noué à la fin de la tresse, uniquement porté par les femmes non mariées (celles étant mariées portant des chignons).
Jeogeori : Partie haute du hanbok. Les manches sont longues et il est porté autant pas les femmes que par les hommes bien que celui des femmes soit plus court.
Chima : Jupe du hanbok féminin.
Seokchima : Sous jupes de la chima, il y en a plusieurs et elles sont là pour faire bouffer la chima.
Sangtu : Accessoire pour attacher le chignon des hommes.
Manggeon : Sorte de bandeau porté par les hommes.
Jokki : Veste à manche courte.
Baji : Pantalon ample.
Confucius : Philosophe chinois dont l'enseignement à donné naissance au confucianisme (religion d'état dominante en Corée pendant la période Joseon)
Empereur de jade : Dieu chinois d'origine taoïste (autre religion). Il régit les autres dieux et il est associé au ciel et à la souveraineté.
Lune de jade : Non, là j'avoue, c'est moi qui l'aie inventé x)
Note : La Corée est très influencée par la Chine et est régie comme elle par un système de pensée formé du confucianisme, du taoïsme et du bouddhisme. L'influence du confucianisme est néanmoins la plus grande. Pourtant, il s'agit plus d'une école de pensée que d'une religion même s'il propose un système rituel et une doctrine morale et sociale.