Chapitre 10

523 73 42
                                    

— Et voilà, tu sais tout.

Séverine me regarde, les yeux sortant presque de leurs orbites, la bouche entrouverte, ses doigts contractés sur le stylo qu'elle tient. Elle a écouté avec attention le récit de ma soirée avec Stéphane. Je lui ai tout raconté, sans rien oublier, même pas les ratés de mon cerveau embrouillé et les questionnements qui en ont découlé.

— Fais gaffe, tu vas le casser, lu dis-je en désignant l'objet.

Elle semble s'extirper d'un profond sommeil et se redresse d'un coup, balance le crayon et fait rouler sa chaise jusqu'à la mienne.

— Bon sang, Thierry, s'exclame-t-elle. Tu es dans une merde noire.

— Charmant, ronchonné-je.

— Écoute, je ne me suis jamais retrouvée dans ce genre de situation et d'après mes souvenirs, je n'ai écrit aucune histoire parlant de triangle amoureux, mais...

Elle s'arrête et fronce les sourcils et le nez. Quelques secondes de réflexions plus tard, elle lève l'index en l'air et reprend :

— Mais, mes personnages doivent souvent faire face à des choix difficiles.

Je ne sais quoi répondre à ça et j'ignore si je suis flatté d'être comparé aux héros de ses romances ou si je dois grimacer.

— Par exemple, continue-t-elle. Camille doit choisir entre un amour tout frais et la sécurité d'un boulot, Sacha entre son envie de réussir à New York et ce qu'il ressent pour Calvin. Quant à Colin, il découvre carrément une nouvelle sexualité.

Elle regarde soudain en l'air, rêveuse. Attendri, je la laisse divaguer et décide que c'est une bonne chose, qu'elle me considère un peu comme l'un de ses personnages. Elle trouvera sans doute une solution. Lorsque ses prunelles se reposent enfin sur moi, elles sont chargées d'une lumière que je ne distingue que quand elle me parle de ces livres.

— Tu es dans ce genre de situation, déclare-t-elle. Tu as un choix à faire, mais pas avec ta tête. Avec ton cœur. Tu auras beau rationaliser tout ça autant que tu le veux, c'est ton cœur qui aura le dernier mot.

La vache ! Elle a raison. Une relation ne se construit pas sur ce que nous pensons être bon pour nous, mais sur la manière dont notre corps s'exprime. Il va falloir que je m'écoute et que je me laisse guider par mes tripes. Depuis cette soirée parfaite, je n'ai pas revu Stéphane, en revanche nous avons échangé quelques messages très agréables. En ce qui concerne Philippe, c'est le silence. Je n'ai pas répondu à ses excuses et il n'a pas cherché à me joindre. Le lien est définitivement rompu, et ça me bousille.

Séverine se lève de son fauteuil et se dirige vers une des fenêtres de la bibliothèque afin d'ouvrir les volets.

— On ouvre, chantonne-t-elle. Qui sait ? Peut-être que cette permanence t'apportera des solutions.

*

Quelques heures plus tard, je referme les volets, fatigué, mais pas plus avancé. J'avais espéré que Stéphane passerait, mais il n'en a rien fait.

— Oh oh ! s'exclame alors Séverine depuis l'autre côté de la bibliothèque.

— Quelque chose ne va pas ? m'inquiété-je.

— Tu as de la visite.

J'ouvre de grands yeux et me précipite vers la porte pendant que ma collègue éclate de rire. Stéphane se trouve dans la rue, appuyé contre le mur face à moi et m'adresse un sourire resplendissant. Vêtu d'un jean sombre un peu large et d'un pull fin de couleur rose, il est à tomber.

Tourner la pageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant