Chapitre 14

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La soirée est douce en cette fin septembre. Le restaurant est bondé et Stéphane déguste son entrecôte en face de moi avec appétit. Pour ma part je triture mon steak tartare sans grand enthousiasme. Malgré la perfection de cette soirée, me trouver ici, en compagnie de Stéphane me tord les tripes. Je sais, à présent, ce qui me bloquait en dehors des sentiments que j'éprouve pour Philippe.

Je ne recherche pas la perfection.

Je veux du désordre, de la folie, des repas pris sur le pouce installés sur le canapé en écoutant de la musique, des fous rires partagés pour un rien, des engueulades et des réconciliations, des projets, un avenir plein de surprises.

Je ne pense pas que Stéphane fonctionne ainsi.

Et de toute façon, mon cœur est pris, ce serait incorrect de ma part de continuer sur cette route. Je n'ai pas eu besoin de leur parler pour m'en rendre compte. C'est en moi, dans mes tripes, ça m'appartient et personne ne pourra me faire changer, même avec de belles paroles.

— Tu m'as l'air ailleurs, demande Stéphane.

Je quitte mon plat des yeux pour les poser sur lui. Son regard vairon me sonde, m'interroge. Je lui adresse un sourire doux, un sourire qui signifie que je l'apprécie plus que de raison, mais que ce n'est pas suffisant. Un sourire qu'il comprend, car ses iris se voilent.

— Tu as des choses à me dire, constate-t-il en délaissant ses couverts dans son assiette.

Il appuie ses coudes sur la table, lie ses mains et y pose son menton, attentif à ce que je m'apprête à lui révéler. Hélas, les mots ne trouvent pas leur chemin. Comment pourrais-je lui annoncer ce que je pense, ce que je ressens ? Lui faire de la peine m'est insupportable.

— Thierry, murmure-t-il. Qu'est-ce qui ne va pas ?

Je prends une longue inspiration.

— Je t'aime beaucoup, Stéphane...

Il s'adosse à sa chaise en croisant les bras sur son torse et soupire, me coupant dans mon élan.

— Quand quelqu'un commence une phrase de cette manière, la suite n'est jamais bonne.

Je grimace, conscient de ma maladresse, mais ignorant comment annoncer les choses autrement. Parce que c'est vrai, je l'aime énormément. Il est un homme incroyable, d'une immense gentillesse, intelligent, beau, tout ce que tout un chacun recherche, sauf moi. Je m'en suis rendu compte trop tard, à mon grand désarroi.

— C'est pourtant la stricte vérité, continué-je, mal à l'aise. Mais, j'ai bien peur que ça ne suffise pas.

Il hoche la tête et fronce les sourcils quelques instants.

— Est-ce qu'il y a quelque chose que je puisse faire ? demande-t-il.

— Non, répliqué-je en lui souriant. Je ne me sens juste pas en phase avec tout ça ou plutôt... je ne suis pas la personne à qui tu devrais destiner tes attentions. J'y suis sensible, mais ce n'est pas ce que j'attends.

— Et qu'attends-tu ?

Je n'ai pas le temps de lui répondre, car une silhouette se poste à côté de notre table, me faisant relever la tête et écarquiller les yeux. Olivier se tient bien droit, le regard frondeur, le port de tête altier. Sa chemise noire cintrée met en valeur ses larges épaules, son pantalon tout aussi sombre serré accentue ses hanches fines et sa tignasse mal coiffée lui donne l'air de sortir du lit, cependant je sais que son apparence est calculée et pensée dans les moindres détails. Malgré sa beauté frappante, tout en lui transpire l'animosité. Ses prunelles sont rivées sur moi et il me jauge de toute sa hauteur. Je ne sais même pas s'il se rend compte que je ne suis pas seul.

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