Chapitre 6

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Attablé à la terrasse du café, une bière bien fraîche devant moi, je suis un peu gauche, et très intimidé. Stéphane semble plutôt à l'aise. Il a salué deux ou trois personnes, est allé commander à l'intérieur pour nous deux, puis m'a rejoint, le sourire aux lèvres. Ses yeux si particuliers à présent posés sur moi me clouent sur place tant et si bien que je ne trouve rien à dire pour débuter la conversation.

— Vous n'êtes pas très bavard, déclare-t-il enfin en portant sa mousse à sa bouche.

— Je suis désolé, murmuré-je en grimaçant. Je n'ai plus l'habitude de...

J'interromps ma phrase n'étant pas certain de la manière de la terminer.

— Si on commençait par abandonner le vouvoiement ? propose-t-il. Ça pourrait détendre l'atmosphère.

— Pourquoi pas ?

— Parfait, alors, Thierry, je sais déjà que tu es bibliothécaire et que ta collègue est plus ou moins spéciale.

Ces mots et la mine amusée de Stéphane ont le don de m'apaiser instantanément. J'avale une gorgée de ma boisson avant de répondre.

— Elle est un peu originale, répliqué-je. Mais c'est une belle personne, toujours prête à aider.

— J'en suis sûr. Et toi ? Que peux-tu me dire de plus sur toi ?

— Eh bien, je viens de fêter mes cinquante-cinq ans, je suis originaire de Tours et je vis en centre-ville. Il n'y a pas grand-chose d'autre à raconter.

— C'est déjà bien, répond-il, les yeux pétillants.

— Et toi ?

— J'ai cinquante-huit ans, j'habite dans le quartier et je fréquente la bibliothèque depuis quelques mois, mais tu ne m'as jamais remarqué jusqu'à l'autre jour, à la boulangerie.

— Oh, pardon.

Il balaie mes excuses d'un revers de main.

— Aucun souci. Je suis divorcé, j'ai deux enfants, un gars et une fille. Je suis aussi grand-père. J'ai travaillé à Michelin, à Joué-lès-Tours, toute ma vie et j'ai pris ma retraite il y a un an. Depuis je lis beaucoup et je m'occupe comme je peux.

— Tu es encore jeune, tu peux profiter de ta retraite.

— Oui. J'ai commencé à travailler très tôt, ça a de bons côtés.

— Et donc... des enfants.

— Et un divorce. Mais je m'entends bien avec mon ex. Disons que, nous avons été assez intelligents pour que tout se passe bien. J'ai eu de la chance, elle est très ouverte d'esprit et a accepté mon désir de changer de vie, de m'affirmer. Ça n'a pourtant pas été facile pour elle.

Il s'arrête de parler quelques secondes, mais devant mon silence, il reprend :

— Quand j'ai compris que j'étais attiré par les hommes, c'était compliqué. J'étais fiancé, engagé dans cette relation et je l'avoue, pas très courageux. Je pense avoir aimé ma femme, mais à un moment, j'ai eu envie de vivre pour moi.

— Et tes enfants, comment ont-ils réagi ?

— Ils m'ont fait la gueule quelque temps puis avec leur mère, nous leur avons parlé, assuré que ça ne changeait rien à notre lien, nos sentiments les uns pour les autres. J'ai mis un point d'orgue à toujours les faire passer en priorité et peu à peu, ils m'ont pardonné d'avoir détruit notre famille.

Sa voix est monotone lorsqu'il termine sa phrase.

— Je ne crois pas que tu as détruit quoi que ce soit, dis-je pour ne pas permettre au silence de s'installer. Et c'est important de penser à soi. Quand on est en accord avec soi-même, on est plus disponible pour les autres.

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