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Héloïse

L'avantage d'être Elliot, c'était que je passais presque inaperçue dans le sillage de Tristan. Personne ne s'interrogeait sur la présence de son valet sur ses talons tandis que celle d'Héloïse aurait aisément fait s'élever les voix dans les couloirs.

Je n'arrivais toujours pas à réaliser que quelqu'un avait voulu me tuer en mettant le feu à ma chambre. Et voir tous ces gens présenter leurs condoléances en sachant qu'au moins un d'entre eux en avait après moi me donnait la nausée. Nous assistions à une vraie parade de l'hypocrisie depuis que Tristan avait quitté le couloir de ses appartements.

- Je vais rentrer chez moi, annonça-t-il au Comte du Maine.

- Je comprends Messire, après un tel drame il ne doit pas être aisé de demeurer plus longtemps ici.

Sa voix suintait la comédie. Il n'était pas sincère pour un sou. Je rêvais du moment où nous allions enfin quitter cet endroit de malheur et commençais à m'impatienter. Tristan prit congé du Comte, non sans réprimer difficilement une grimace dès qu'il lui tourna le dos. Il était aussi à l'aise que moi avec le comportement des nobles qui papillonnaient autour de lui depuis quelques heures. Les drames semblaient attirer les membres de la cour tout comme les carcasses attiraient les charognards.

- Nous partons avant la tombée de la nuit, souffla Tristan, on dormira dans une auberge en bordure de ville mais je ne peux plus rester ici. Leur comportement m'insupporte.

- Vous n'êtes pas le seul Messire, répondis-je sur le même ton.

J'étais prête à frapper le prochain qui présenterait ses condoléances à mon fiancé. Tristan fit subitement demi-tour dans le couloir et manqua de me rentrer dedans.

- Finalement, nous partons immédiatement.

À peine avions-nous fait quelques pas dans la direction des appartements de Tristan qu'une voix féminine résonna dans le couloir et je compris son empressement à vouloir quitter les lieux.

- Tristan d'Armagnac, attendez-moi je vous prie !

Je n'eus aucune difficulté à reconnaître la femme qui nous suivait simplement en l'entendant. Constance de Nemours était particulièrement tenace. Et ici, dans ce couloir désert à cet instant, Tristan était la victime de sa ténacité déplacée.

- J'ai ouïe dire, commença Constance, que votre fiancée avait péri dans l'incendie de cette nuit. J'en suis navrée, elle avait l'air d'être une femme formidable.

Voulait-elle que je lui rappelasse le différend que nous avions eu chez son père suite à des prétentions erronées qu'elle m'avait attribuées ? Formidable était sûrement le dernier adjectif qu'elle avait à l'esprit en pensant à moi. Tristan devait s'en douter parce qu'il ne fit même pas l'effort de lui répondre et de se montrer touché par son attention. Quant à la fille du Duc de Nemours, elle poursuivit.

- Je sais que cela vient juste de se produire et que vous n'envisagez sûrement pas de trouver une autre fiancée dans l'immédiat mais je souhaitais vous informer que ma proposition est toujours valable. Je suis disposée à vous épouser.

Je serrai violemment les poings pour ne pas sauter à la gorge de Constance de Nemours. J'avais sous les yeux l'illustration de ce qui se serait sans aucun doute produit si j'étais décédée la nuit précédente au milieu des flammes. Sans laisser le temps à Tristan de faire son deuil, elle aurait cherché à récupérer ma place auprès du fils du Comte d'Armagnac. Constance de Nemours n'était qu'une opportuniste au cœur de pierre et à la compassion inexistante.

- Arrêtez tout de suite ma Demoiselle, l'interrompit Tristan alors qu'elle s'avançait vers lui la bouche ouverte. Vous ne pouvez pas remplacer Héloïse, elle vous surpasse de loin avec ses qualités que vous n'avez pas. Je ne pourrais jamais vous porter ne serait-ce qu'une fraction de l'amour que j'ai pour elle, et votre attitude dans ce couloir ne fait que me conforter dans cette idée.

- Mais elle est morte Tristan !

Je retins un hoquet de stupeur devant la virulence que mit Constance de Nemours dans ses propos.

- J'ai le regret de vous informer que tout ce qui est mort, ce sont vos chances que nous puissions ne serait-ce qu'être amis un jour Constance de Nemours. Ne vous montrez plus jamais insistante avec moi alors que ma réponse à votre proposition est et restera un refus catégorique. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, je vais quitter cet endroit.

Et il tourna les talons pour reprendre sa progression vers sa chambre et je lui emboitai le pas encore perturbée de l'avoir vu me défendre et vanter mes qualités devant Constance de Nemours. Nous pénétrâmes en silence dans la pièce et il la verrouilla avant de soupirer.

- Je ne pensais pas que sortir dans les couloirs serait aussi éprouvant, déplora-t-il.

- Merci d'avoir fait mon éloge devant Constance, tu n'étais pas obligé alors qu'elle me croit morte.

- Je voulais lui faire comprendre que mon cœur est déjà pris et que même si nous ne sommes pas encore officiellement liés devant un prêtre, mon âme est déjà enchaînée à la tienne.

Je le regardai, émue par ses propos. Avec cet incendie, tous étaient plus démonstratifs de leur affection. D'abord mon père cette nuit qui était allé jusqu'à me prendre dans ses bras, puis Frédéric qui, paniqué après avoir entendu que ma chambre avait brûlé, était passé au réveil avant de me rappeler à quel point il tenait à moi, et à présent Tristan qui ne retenait pas ses mots.

Je tendis simplement ma main vers lui et il lia nos doigts ensembles avant de déposer un baiser sur le dessus, en gardant ses yeux fixés dans les miens. Les mots étaient inutiles maintenant qu'il avait mis son âme à nu devant moi. Je posai ma main libre sur sa joue, les poils courts de sa barbe me chatouillant la peau, avant de lier nos lèvres sûrement le plus tendrement depuis que nous nous connaissions. Je le sentis se détendre contre moi et lorsque qu'il mit fin au baiser, il garda son front contre le mien et ferma les yeux pour savourer la quiétude de l'instant et j'en fis de même.

- Je n'aurais pas supporté de te perdre, chuchota-t-il. J'aurais cherché le coupable et n'aurais eu de repos qu'une fois mon épée plantée au travers de son corps pour te venger.

Tristan recula après avoir déposé un baiser sur mon front.

- Rassemblons nos affaires et partons immédiatement.

J'acquiesçai et lâchai la main de Tristan le temps de ranger nos affaires et de faire place nette dans la pièce. Plusieurs minutes après, nous quittâmes la chambre pour rejoindre Frédéric et l'informer de notre départ.  Tristan lui glissa discrètement à l'oreille le nom de l'auberge en bordure de ville où il pourrait nous rejoindre le lendemain matin pour rentrer ensemble à Lectoure.

Quand nous franchîmes enfin les portes de la cour du château, un soupir de soulagement m'échappa. J'étais un peu triste de ne pas avoir revu mon père mais j'avais bien compris qu'il avait essayé de me faire ses adieux dans la nuit. Mais il avait raison, toute ma vie était à Lectoure, j'y avais aussi une famille d'adoption et c'était le fief de mon fiancé. Ma place n'était pas à la Cour du Roi de France mais bien dans le sud du Royaume, dans le Comté d'Armagnac, auprès de l'homme que j'aimais.

Héloïse ou Le double jeuWhere stories live. Discover now