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Héloïse

J'étais capable d'être patiente mais Tristan me soumettait sans le savoir à la pire des impatiences. La veille, après trois semaines de séparation, un coursier de mon père était arrivé à Lectoure pour annoncer au Comte le retour de son fils sous quelques jours. Depuis, je trépignais encore plus à l'idée d'enfin pouvoir le retrouver, sain et sauf. J'avais pris l'habitude de vivre avec lui durant notre voyage à travers la France, bien avant qu'il ne découvrît mon déguisement. Il était là quand je me levais, quand je mangeais, quand je me couchais. Et après la chute du masque, c'était encore plus intense. Il ne me considérait plus comme son écuyer, même si déjà avant il faisait preuve de familiarité avec moi. Quoi qu'il en soit, cette proximité avait renforcée notre relation qui ne rendait le manque que plus difficile à supporter.

Ma mère ne comprenait évidemment pas l'état étrange dans lequel j'étais plongée. Je n'avais jamais effectué mes tâches matinales aussi rapidement. Elle m'observa par dessus la table tandis que j'effectuais de la couture. Habituellement, je ne le faisais que l'après-midi parce que le nettoyage du linge m'occupait jusqu'au déjeuner.

- Que t'arrive-t-il Héloïse ?

Je me mordis la lèvre pour ne pas vendre la mèche avant le retour de Tristan.

- Mon travail a pris du retard avec mon absence. Il faut que je rattrape cela le plus rapidement possible.

L'expression sceptique de ma mère m'indiquait qu'elle n'était pas dupe. Mais si tout se passait bien, elle aurait vite son explication à mon comportement sortant de l'ordinaire. Frédéric savait ce qui devait se passer dans ma tête étant donné le petit sourire qu'il arbora quand je répondis à notre mère. Mais il ne fit aucune remarque sur Tristan.

Dans l'après-midi, un domestique du Comte vint réclamer notre présence, à Frédéric et moi, au château. Ce fut avec une certaine hâte que j'abandonnai mon travail pour suivre le domestique, mon frère sur mes talons.

La dernière fois que j'avais parcouru les couloirs du château avec mon frère, le Vicomte de Marsan exigeait de m'épouser mais fort heureusement cette période était révolue. Et mieux encore, il me pensait certainement morte comme tous les nobles présents à la Cour lorsque ma chambre avait brûlé.

Le Comte d'Armagnac se trouvait dans la salle principale, en train de discuter avec un homme en habits de voyage. Lorsque nous pénétrâmes dans la pièce, il se leva pour nous accueillir.

- Le messager du Duc d'Orléans a un message pour vous.

L'homme aux côtés du Comte savança avant de s'incliner légèrement.

- Le Duc souhaitait vous informer qu'il avait découvert avec l'aide de Messire Tristan qui avait mis le feu à votre chambre. La Comtesse de Nevers a été déchue de ses titres et le Duc propose de vous anoblir pour vous confier son comté afin de réparer les torts qu'elle vous a causé.

Hébétée, je regardai mon frère. Il y avait trop d'information pour un seul message.

- Tu dois prendre le temps de réfléchir, m'indiqua-t-il en voyant mon trouble. C'est une lourde responsabilité qui peut t'attirer les foudres d'autres nobles.

- Le Comté de Nevers est surtout bien loin d'ici. Et y faire régulièrement des allers-retours me prendrait beaucoup de temps.

Je me tournai vers le messager du Duc.

- Vous faut-il une réponse immédiatement ?

- Vous pouvez prendre un temps de réflexion, j'ai pour ordre de ne pas quitter Lectoure tant que Messire Tristan n'est pas arrivé.

Je remerciai le messager et nous prîmes congé du Comte. Mon frère était silencieux à mes côtés tandis que nous remontions les couloirs vers la sortie mais je savais qu'il brûlait d'envie de me demander ce que j'allais faire de cette proposition.

- Ne me pose pas la question Frédéric, je ne sais pas encore ce que je vais répondre à mon père. Je crains que refuser ne le froisse mais accepter représente une lourde responsabilité. Il me faut réellement du temps pour réfléchir et alors que j'espérais un retour rapide de Tristan ce matin, quelques jours de plus ne seraient pas de refus à présent.

- Je comprends Héloïse. Mais pour prendre ta décision, il ne faut pas que tu tiennes compte de notre mère et moi. Un jour notre mère quittera ce monde alors ne sacrifie pas cette proposition pour rester à nos côtés. Et moi, si tu pars, je viendrais te rendre visite.

- Donc à ma place tu accepterais ?

Frédéric soupira.

- Je ne suis pas à ta place, je ne suis pas fiancé, je suis plus libre que toi d'aller où bon me semble. J'ai passé plusieurs années aux côtés de Tristan quand son père lui apprenait plus jeune à gérer le Comté. Mais c'est à toi de prendre une décision, avec les compétences que tu as, sachant qu'un jour tu seras mariée à Tristan. Parce que je doute que tu renonces à ce mariage. Tu te vois dans cinq ans aller et venir, avec peut-être des enfants, entre le Comté de ton mari et le tien ? Réfléchis en prenant en compte tous les éléments, et parle-en avec Tristan quand il sera de retour. Je ne suis pas sûr que faire ton choix sans lui parler de la proposition de ton père soit une bonne idée.

Nous nous étions arrêtés depuis un instant dans une alcôve du couloir pour parler à l'abri des oreilles indiscrètes. Je pris mon frère dans mes bras, comme je ne l'avais pas fait depuis bien longtemps, et le remerciai. Il m'avait bien plus aidé à y voir clair qu'il ne le pensait. Mais tout d'abord, il me fallait attendre le retour de Tristan car Frédéric avait bien raison, je devais impérativement parler à mon fiancé de la proposition de mon père.

- Au fait, qui est la Comtesse de Nevers ? Demanda Frédéric quand nous quittâmes le château.

- Je ne sais pas trop, je n'ai pas vraiment prêté attention aux rumeurs de la Cour. Il me semble seulement qu'elle est veuve. Je ne comprends pas pourquoi elle a souhaité me faire disparaître en brûlant ma chambre.

- N'y pensons plus, ici tu ne risques plus rien.

Héloïse ou Le double jeuWhere stories live. Discover now