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Héloïse

Nous avions failli arriver trop tard. La nuit nous avait forcé à faire une halte dans une auberge alors que nous gagnions Amboise où la cour du Roi était installée et ces heures de pause imposées auraient pu avoir raison de mon mariage. Fort heureusement, nous étions arrivés dans la salle d'audience avant que le Roi n'ait définitivement tranché.

Charles VIII était bien plus jeune que mon père, il n'avait même pas trente ans alors que le Duc d'Orléans les avait déjà bien passés. En revanche, tous deux portaient les cheveux jusqu'aux épaules, d'un châtain semblable. Mon père avait les yeux clairs, qu'ils m'avaient d'ailleurs laissés en héritage, tandis que les iris du Roi étaient de la couleur de l'écorce. Malgré ces différences, les deux hommes se ressemblaient et on pouvait trouver un air de famille entre eux. Mais c'était Charles VIII qui avait le pouvoir sur mon sort.

Nous attendions à présent sa réponse à la sollicitation de mon père et je m'efforçais de ne pas trop regarder Tristan pour que personne ne se doutât qu'il risquait l'honneur de sa famille pour plus qu'une simple histoire de domestique. Cela pourrait jouer en sa défaveur face aux accusations du Vicomte de Marsan et pourrait donner raison à celui-ci qui prétendait que la famille d'Armagnac me dissimulait sciemment au regard du Vicomte de Marsan. Autour de nous, les nobles ne se faisaient même plus discrets pour lâcher leur petit commentaire sur la situation. Certains me prenaient pour une jouvencelle que le Duc D'Orléans voulait en maîtresse et avait mis au couvent dans le but d'être le seul à me toucher. Certaines rêvaient d'être à ma place pour pouvoir épouser le Vicomte de Marsan. Il était peut-être séduisant en apparence mais en s'intéressant à lui au-delà de son enveloppe charnelle, il était tout ce qu'il y avait de plus repoussant à mon goût. Mais cela, évidemment, les nobles qui piaillaient autour de nous n'en savaient rien.

- Bien mon cher cousin, je vais vous laisser gérer cette affaire à votre guise.

Mon père s'avança vers le trône et monta les marches jusqu'à la dernière avant de se tourner vers nous.

- Je libère Héloïse du couvent et elle prendra pour époux l'homme que j'approuverai. Pour l'instant, je n'approuve pas le Vicomte de Marsan. Je ne changerai pas d'avis alors ne venez pas protester. Il me semble que le problème qui impliquait le Vicomte de Marsan et la famille d'Armagnac est ainsi réglé.

Le Vicomte voulut protester mais un regard de la part du Duc d'Orléans et du Roi suffit à l'empêcher de prononcer le moindre mot qui aurait pu se révéler dégradant. Concernant la cour qui nous entourait, les murmures s'élevaient toujours plus nombreux. Les dames me fixaient avec dédain en se demandant ce qui pouvait bien pousser le Duc à prendre ma défense, allant jusqu'à spéculer sur une possible liaison qui nous lierait. Les nobles, pour leur part, regrettaient de ne finalement pas pouvoir assister à un duel entre le Comte d'Armagnac et le Vicomte de Marsan. La distraction ne serait pas pour ce jour.

À présent que le Duc s'entretenait par messes basses avec le Roi, j'en profitai pour regarder avec plus d'attention l'endroit où nous nous trouvions. La salle était suffisamment grande pour accueillir une cinquantaine de nobles qui étaient rassemblés de chaque côté de l'allée qui menait jusqu'à l'estrade sur laquelle se tenait le Roi. Des chandeliers décorés avec de savants entrelacs de dorures descendaient du plafond haut et il y avait de nombreuses tapisseries sur les murs. Les voutes étaient soutenues par des piliers de pierre formant une longue rangée dans la longueur de la salle du conseil. C'était bien loin de ce que j'avais l'habitude de voir comme décor au château des d'Armagnac à Lectoure.

Frédéric me rejoignit et me serra dans ses bras.

- Je suis soulagé que vous soyez arrivés à temps. Le Roi voulait faire s'affronter le Vicomte et le père de Tristan, la situation ne nous était pas très profitable. Mais cela est à présent arrangé, fort heureusement.

- Je ne suis pas pour autant rassurée, il semblerait qu'il ait bien l'intention de me marier sans me laisser de choix. Je pourrais me retrouver fiancée à un homme pire que le Vicomte de Marsan et tout cela n'aura alors servi à rien.

Frédéric grimaça en entendant ma réflexion, il était vrai que je n'étais pas très sereine. Le Duc acheva sa conversation avec le Roi à ce moment-là et descendit les marches pour nous rejoindre.

- Je vais vous guider jusqu'à vos chambres le temps de notre séjour à la cour du Roi.

- Nous restons ? Demandai-je.

- J'ai une autre affaire à régler à la cour et je n'en ai pas encore fini avec votre situation. Nous allons donc rester ici quelques jours, bien sûr le Comte d'Armagnac peut retourner sur ses terres et son fils n'est pas obligé de rester, j'ai une unité de gardes ici.

- Je reste votre Altesse Royale, le contra Tristan.

Son regard se glissa jusqu'à moi et le coin de ses lèvres remonta légèrement.

- Bien. Alors suivez-moi jusqu'à vos chambres.

Le Duc d'Orléans gagna la sortie de la salle, Frédéric et moi sur ses talons. Il nous guida à travers les couloirs que nous avions traversés dans l'autre sens et dans la précipitation moins d'une heure plus tôt. Voir les domestiques et les nobles que nous croisions se fendre d'une courbette devant mon père était une sensation assez étrange. J'avais du mal à réaliser qu'il était l'héritier du trône tant que le Roi n'avait pas d'enfant, ce qui lui conférait un statut assez particulier.

Nous nous aventurâmes ensuite dans une aile différente du château, que nous n'avions pas encore traversée.

- Frédéric, vous dormirez ici, à côté de la chambre de Tristan. Je me doute que ce n'est pas la chambre qui vous a été attribuée pour la nuit que vous venez de passer ici, mais j'insiste pour que vous ayez celle-ci.

Le ton de mon père ne souffrait aucune réplique. Nous laissâmes donc mon frère devant la porte de sa nouvelle chambre pour poursuivre notre périple. Le Duc s'immobilisa devant une grande double porte en bois, décorée de gravures de feuilles.

-  Ce sera votre chambre.

Il ouvrit les deux battants de la porte pour me laisser découvrir une vaste pièce largement pourvue de mobilier. Je pourrais y vivre avec Frédéric et ma mère d'adoption sans aucun soucis. D'épais tapis couvraient le sol, un grand lit à baldaquin était collé à un des murs, d'épaisses et lourdes étoffes encadraient les fenêtres, quelques tableaux de paysages ornaient les murs et un lustre magnifiquement travaillé descendait du plafond. Il devait être là plus pour l'aspect esthétique qu'autre chose parce que l'allumer devait prendre un temps considérable pour une simple chambre.

- Cette chambre vous plaît-elle ?

Je me tournai vers mon père, étonnée de sa sollicitude.

- Oui merci. Elle est presque trop bien pour moi.

- Je vais faire venir une couturière pour vous ajuster quelques robes, dont celle que vous porterez ce soir pour m'accompagner au banquet.

Je me sentis un peu gênée. Accompagner le Duc allait semer encore un peu plus le trouble sur la nature de la relation qui nous liait.

- Vous ne craignez pas que certains membres de la cour se méprennent sur notre relation ?

- Ils se méprennent déjà alors cela ne changerait rien. Les rumeurs se tasseront dès qu'ils auront un nouveau sujet de distraction, ne vous en faîtes pas pour cela.

Le Duc d'Orléans m'abandonna ensuite en m'indiquant qu'il viendrait me chercher pour me conduire à la salle de réception en début de soirée. Pas une seule fois il ne m'avait adressé un sourire et j'en étais assez décontenancée. Il était un tout autre homme depuis que nous étions à la cour du Roi et je craignais que cela jouât en ma défaveur pour la suite. Une fois seule, je ne sus que faire. La couturière venait dans l'après-midi mais il était encore tôt et l'inactivité n'était guère mon fort. Je m'approchai des fenêtres qui me faisaient bénéficier d'une vue sur un des jardins du château. Quelques femmes s'y promenaient avec leurs ombrelles, échangeant sûrement les dernières rumeurs entendues entre les murs du château. Alors c'était cette tranquillité et cette insouciance la vie à la cour du Roi ?

Je ne savais pas combien de temps je serais capable de supporter un séjour ici si toutes les journées devaient se résumer à se promener et manger.

D'autant plus que le problème du mariage avec le Vicomte de Marsan était déjà réglé et qu'il fallait que je regagnasse Lectoure pour reprendre mes tâches de domestique au château du Comte d'Armagnac.

Héloïse ou Le double jeuWhere stories live. Discover now