dernier cours

126 14 7
                                    

J'attrape nonchalamment une chips au paprika dans le paquet de mon père, la grignote avec avidité pendant qu'il râle, plus pour la forme qu'autre chose. De toute manière, il a beau dire ce qu'il veut, ça se saurait si j'avais peur de lui. Il a le charisme d'une huître, aussi intimidant qu'un ver de terre.

Un peu comme moi, en fait.

Plantée au milieu du salon, je lorgne vers la télévision, sourcils froncés. Le jour où tout a basculé. Pourquoi pas. On s'est fait une session avec Faustine, une fois, c'était à mourir de rire — jusqu'à ce qu'elle en ait marre, en tout cas.

Je reste scotchée devant l'écran, la bouche entrouverte, une chips à moitié mangée abandonnée sur ma langue. Incroyable à quel point c'est addictif ce genre d'émission. En plus, je suis sûre que le voisin est louche ! Y a pas idée de faire confiance à un type qui porte des polos.

Quand la sonnette retentit, le charme se rompt avec une brutalité qui me fait sursauter. Un coup d'œil vers mon père me révèle qu'il n'a pas l'intention de bouger de son fauteuil, alors je me charge de traîner les pieds jusqu'à la porte d'entrée. C'est toujours la même chose, de toute manière, c'est moi qui fais tout dans cette maison ! Enfin, cet appartement. Bref, c'est la même chose.

Je jette un regard à travers le judas, me fige en voyant Louise de l'autre côté. Elle est là. Elle est vraiment là. J'étais persuadée qu'elle ne viendrait pas, même si on avait rendez-vous. Parce qu'on en a pas reparlé depuis et qu'entre-temps, il y a eu... beaucoup trop de choses.

Je ricane en me rendant compte que ça fait plusieurs secondes que je suis là, plantée devant la porte désespéramment fermée. Un peu plus et elle va finir par se lasser et déguerpir. Hors de question que ça arrive ! D'un geste théâtral, je me force à ouvrir, invitant au passage la plus jolie fille du monde à pénétrer dans ma modeste demeure.

– Salut ! J'étais pas sûre que tu viennes.

– Pourquoi ? J'aurais pas dû ?

Sa voix, si douce, m'électrocute, me fais perdre tous mes repères. Sans m'attarder sur sa réponse, je m'entends, comme dans un rêve, crier à mon père qu'on va dans ma chambre. La tête dans le brouillard, j'avance, un pas après l'autre, jusqu'à ladite chambre, ignorant sans bien en avoir conscience Louise, qui me demande comment je vais.

C'est au moment de refermer la porte derrière moi, que la réalité me heurte avec la puissance d'un boulet de canon. Louise est chez moi. Pour la deuxième fois. Dans ma chambre. Pour la deuxième fois.

Et je l'ai accueillie comme une malpropre. Les joues aussi rouge que la plus rouge des tomates du supermarché, je me mets à marmonner.

– Je... merde, t'as envie de boire un truc ? Ou de manger ? J'ai... pas grand chose qui traîne, mais... mon père a des chips au pire et...

– Ça va, t'inquiète pas.

Elle sourit, ça fait scintiller ses yeux. Et ça me donne comme un coup à l'estomac, aussi. Encore un. Est-ce que je peux toujours respirer ? Mince. Comment on fait déjà ?

– Euh... je... enfin... on...

Apprends à parler aussi, Louve, ce serait déjà un bon début.

– On travaille ? je finis par demander.

Deux petits mots, ça passe. Plus, ça devient dangereux. Restons sur un terrain neutre.

– Je suis pas là pour ça ?

– Merde. Si. Pardon.

Je me laisse tomber sur mon lit, à deux doigts de me fracasser le crâne contre le mur. Vraiment, à part me ridiculiser, je sais pas faire grand chose.

EquilibreWhere stories live. Discover now