malaise-matin

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Je mets très exactement cinquante-et-une minutes avant d'émerger des draps ; j'le sais, parce que pendant tout ce temps, j'ai pas arrêté de jeter des coups d'œil aux lettres rouges sur mon plafond. Et à la place libre sur le lit à mes côtés.

En tendant l'oreille, je capte des voix dans l'appartement, reconnais celle de ma mère, celle un peu plus discrète de Louise, aussi.

Merde, malgré tous mes efforts, ma crush a rencontré mes parents.

Rien d'étonnant, aussi. Vu qu'elle restait dormir, c'était évident ; pour tout le monde sauf pour moi, bien sûr. Pourquoi je l'ai laissé faire, d'ailleurs ? Je sais qu'elle aurait pu rentrer avec Lætitia et sa sœur, je crois qu'elles habitent à côté.

Sauf que voilà, je suis une idiote. Une idiote faible. Incapable de dire non à une si jolie pair d'yeux. Même si y a pas que ses yeux qui sont beaux, d'ailleurs.

Je me redresse sur le lit avec un grognement, avant de me laisser retomber sur l'oreiller. J'ai aucune énergie, aucune force. Ça tambourine dans ma tête, pulse derrière mes yeux ; et, pour parfaire le tableau, les événements d'hier tournent en boucle. J'ai vraiment dit tout ça ? J'ai vraiment fait tout ça ? Moi ?

Je me touche les lèvres du bout des doigts, me remémorant le baiser alcoolisé et baveux de Prisca. Elle fait toujours ça quand elle a trop bu, je le sais. D'habitude, j'arrive à fuir. Pas hier. J'étais trop bourrée, de toute manière. Et comble de l'horreur, je crois bien que j'ai apprécié.

Non, en fait y a pire que ça. Parce que Louise a assisté à tout ; et elle n'a bien évidemment pas assez bu pour oublier.

Je m'enfouis de nouveau sous les draps, la mort dans l'âme, nullement convaincue à l'idée de sortir de mon lit. Pas si je dois affronter le regard de Louise. Impossible dans mon état, j'ai beaucoup trop honte.

En plus...

Je passe une main dans mes boucles rebelles, grogne en estimant les dégâts. Je ressemble jamais à rien le matin, parce que j'ai les cheveux au menton, qui partent dans tous les sens tant que je les ai pas domptés. C'est mon excuse, en tout cas. Pour Faustine, je ressemble jamais à rien ; mais elle est juste jalouse.

Bon, ok, je troquerais volontiers mes mèches indisciplinées contre ses longs, épais et magnifiques cheveux noirs.

Dieu, si t'existes, c'est vraiment pas très cool de m'avoir joué ce vilain tour. T'aurais pu me choisir moi quand même.

– Louve ?

L'appel, à peine plus fort qu'un chuchotement, me fige sur place. C'est Louise. Qui dit mon nom. Mon nom à moi.

Panique à bord. Je fais semblant de dormir ? Ou je lui réponds ? Est-ce que je pourrais vraiment l'ignorer ? Moi ?

Non. La réponse est non, évidemment.

Je dégage le drap de mon visage, pointe le bout de mon nez et darde un regard incertain dans sa direction. Les volets sont toujours fermés, j'aperçois d'elle à peine plus qu'une silhouette dans l'encadrement de la porte.

– T'es réveillée ?

– Mh.

– Ça va ?

– Mh mh.

– Je pense que... je vais pas tarder à y aller.

– Ah.

– A moins que tu veuilles faire quelque chose ?

Elle doit probablement mal interpréter mon silence, puisque je l'entends rire nerveusement.

Merde. On peut pas rembobiner ? Évidemment que j'ai envie de faire pleins de choses avec elle ! Même juste traîner sur le canapé comme des âmes en peine devant une télé réalité pourrie. Ou un film d'auteur. Quelque chose qui lui fasse plaisir, quoi. Peu importe ce que c'est.

Mais ça, je suis incapable de le lui dire. Parce que les images de la veille continuent à défiler dans ma tête. Et que je suis terrifiée à l'idée de constater qu'elle me voit différemment, maintenant. Qu'elle me déteste, soudainement.

– Désolée, tu dois être crevée, reprend-elle, toujours incertaine.

Elle laisse planer un court silence, attend probablement que je démente. Que je dise quelque chose, au moins. Et pourtant, rien ne me vient. Moi, l'éternelle bavarde, celle dont la langue est bien trop pendue, celle qui parle constamment avant de réfléchir ; celle qui ne trouve pourtant rien à répondre dans la situation la plus critique de sa vie.

Encore une fois, Dieu, t'aurais été sympa de me donner plus de répartie.

– Je te dérange pas plus, ajoute-t-elle lentement. Merci encore pour hier soir. Et surtout repose-toi bien, aujourd'hui !

Elle s'attarde encore un peu, dans l'attente, avant de ressortir, fermant doucement la porte derrière elle. Je la reconnais bien là : patiente, mais pas trop. Juste assez pour ne pas dépasser les bornes, pour ne pas empiéter sur l'intimité des autres.

– Louise... je marmonne, d'une voix rauque.

C'est trop tard.

Et le temps que mes deux neurones restants se connectent, que j'ai l'idée de me lever pour la rattraper, elle est déjà partie.

Je reste plantée dans la cuisine, le regard fixé sur la porte d'entrée fermée. Définitivement fermée.

– Bah dis donc, on s'est levée du mauvais pied ce matin ?

Évidemment, il fallait en plus que je me coltine les remarques moqueuses de mon père. Si j'étais dans mon état normal, ça aurait probablement débouché sur la joute verbale de la décennie. A la place, je préfère ruminer ma médiocrité.

Décidément, je déteste cette journée. Et la soirée de la veille. Et toute cette année, même.

Tiens, on peut pas carrément effacer ma vie et tout recommencer de zéro ? Non ?

EquilibreWhere stories live. Discover now