deuxième cours

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Verdict de l'après-midi ? Je crois bien que j'ai jamais autant rangé de ma vie toute entière. Et sué aussi, évidemment. On est pas particulièrement bordéliques dans la famille mais... un peu quand même. Moi, surtout, j'admets.

Mon père s'est contenté de m'observer faire des allers-retours d'un œil morne ; ma mère s'est enfuie chez le coiffeur. Je pense qu'elle avait peur que je lui demande de l'aide. Et ça, c'est injuste parce que c'est totalement ce que je comptais faire.

– Papa ? je demande, en me plantant devant lui.

Il lève les yeux vers moi, pousse un soupir.

– Ma fille, tu comptes vraiment mettre ton vieux papa à la porte ?

– Ouais.

Bon d'accord, ça manque peut-être de tact. Je reprends, plus diplomatique :

– Mais non mon papa chéri d'amour, c'est juste que tu manques à grand-mère !

– Et toi, tu lui manques pas peut-être ?

– Absolument pas, la dernière fois ça remonte à... euh...

Je fronce les sourcils. Mince, ça fait combien de temps déjà ? Pas tant que ça, si ? La dernière fois, j'y étais allée seule parce que...

Bon, j'arrête de réfléchir, ça sert à rien.

– A pas longtemps, je conclue. De toute manière, maman t'a demandé de passer la chercher.

– Ah !

A la manière dont il se lève d'un coup, je sais que j'ai visé juste. Il a encore plus mauvaise mémoire que moi ; le problème c'est que maman n'a aucune patience. Et que plus le temps passe, moins elle parvient à pardonner sa médiocrité.
Ma mère, la plus grande faiblesse de mon père.

– File comme le vent, Forest !

– C'est cours, Forest, cou-

– Ça c'est parce que t'as pas vu le remake de 2017.

– Le remake de...

Il s'arrête, fronce les sourcils et capitule dans un soupir. Ça fait bien longtemps qu'il a cessé d'essayer de me comprendre. Normal. Je ne suis que mystère et boule de gomme.

Je l'observe disparaître dans sa chambre, lui adressant un au revoir des plus larmoyant.

– Adieu, mon papa, tu me manqueras, non, tu me manques déjà, la douleur de ton départ n'a rien à envier à la joie de nos retrouvailles.

Il ressort, passe à côté de moi sans même m'adresser un regard, pendant que je le suis en écrasant une larme invisible.

– C'est comme si t'étais déjà parti... tu ne me vois déjà plus...

Il ouvre la porte, ne m'apporte pas plus d'attention. Il est fort, il sait parfaitement comment m'ignorer. Mais moi, je sais comment le forcer à faire attention à moi.

Je m'agrippe à sa manche, des trémolos dans la voix, lui sortant mon meilleur jeu d'actrice.

– Par pitié, ne m'oublie pas, là où tu v- oh.

Je m'arrête net, en pleine tirade shakespearienne.

Que vois-je en face de moi ?

Louise dans toute sa splendeur, ses cheveux blonds savamment ondulés, un trait de liner sur chacun de ses yeux et une touche de gloss pour sublimer ses lèvres. Je suis sous le charme.

D'accord, je l'ai toujours été.

– Salut Louise, ça gaze ? T'es là depuis quand ?

Tout en décontraction. Enfin j'espère.

– Je viens d'arriver, t'as pas vu mon message ?

Elle sourit, ses petites dents blanches étincelants dans la lumière du soleil, alors qu'elle tourne la tête vers mon père.

– Bonjour.

Je ne lui laisse que le temps de la saluer à son tour, avant de le pousser dehors avec la délicatesse d'un bulldozer, pour ensuite faire rentrer Louise. Impossible que les deux se parlent. Hors de question. Moi vivante, je ne laisserai jamais ça se faire ! Ou alors uniquement au mariage. Et encore.

– C'était ton père ? me demande-t-elle, dans l'entrée.

– Non, mon mari.

– Quoi ?

Ses yeux s'écarquillent ; la blague était peut-être de mauvais goût.

– T'inquiète c'est bien mon père. On va travailler ? Let's go ! Les filles arrivent dans une heure. Suis-moi.

Je la précède jusqu'au salon, l'abandonne sur le canapé, pour aller chercher de quoi boire et grignoter. Le temps que je revienne, elle a déjà pris ses aises, comme si l'appartement lui appartenait. Et clairement, si je pouvais le lui donner, ainsi que ma vie et même mon âme, je le ferai. Sans hésiter le moins du monde.

– Qu'est-ce que t'as retenu de la dernière fois ? je lui demande, pressée de commencer pour penser à autre chose.

Elle fronce le nez, lève lentement les mains. Bonjour, comment ça va ?, s'il te plaît, merci. Le dernier est peu assuré, un peu raté. Je refais chaque mouvement, elle les suit d'un œil attentif. Elle ne veut pas que comprendre, elle veut pouvoir s'exprimer aussi ; et si j'admire sa volonté et sa motivation, je sais que ce ne sera pas si simple que ça.

Sauf que j'adore les défis.

Surtout quand c'est avec elle.

EquilibreWhere stories live. Discover now