gym n°2

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Aujourd'hui, pendant que Faustine est assignée aux barres asymétriques, moi je me coltine la poutre. Et s'il y a bien un truc que je déteste en gymnastique, c'est bien ça. Vraiment. Je lui voue une haine totalement gratuite et injustifiée ; mais c'est plus fort que moi.

Debout face à la poutre, les paumes enduites de magnésie en poudre, j'inspire un grand coup. Je sais ce qu'il faut que je travaille ; la coach m'a fait tout un topo y a dix minutes. Mais ça veut pas dire que j'en ai envie.

– T'as besoin d'aide ?

Je me tourne vers Louise en sursautant ; elle me renvoie son si joli sourire.

Comment je suis censée me concentrer, si elle est là ?

Je secoue la tête, les lèvres fermement closes pour ne pas prendre le risque de dire des bêtises. Je me suis suffisamment humiliée pour une décennie entière. Je fais la grève de la parole jusqu'à ce que Louise tombe amoureuse de moi.

Bon, d'accord, c'est impossible que je tienne jusque là.

Elle sourit toujours, mais baisse les yeux, cette fois.

– Désolée, c'était peut-être pas...

– Non ! T'inquiète pas ! Aucun problème ! Je veux bien de l'aide !

Au diable ma grève, qui n'aura durer finalement que trois secondes, je peux pas la laisser s'excuser. Je l'interromps, hausse la voix suffisamment fort pour attirer l'attention des filles aux alentours.

Quand je parle, je rate tout. Quand je parle pas, je rate tout. Ma vie n'est qu'un cercle vicieux qui n'aura jamais de fin. A quoi bon continuer à lutter ?

– Tu peux me montrer ? je reprends, plus calmement.

Elle hoche la tête, se décale pour poser ses mains (est-ce que j'ai déjà parlé de ses magnifiques mains ?) sur la poutre. Elle pousse sur ses bras, tend les jambes en angle droit, avant de les écarter, se retrouvant, doucement, en grand écart. J'observe la scène avec attention ; est-ce que c'est la gymnastique que je trouve aussi beau ou la gymnaste ? J'imagine que j'aurai jamais la réponse. Peu importe, les deux me vont de toute manière.

Avec la légèreté d'une plume, Louise joint de nouveau ses pieds, pour les poser sur la poutre, à quelques millimètres de ses mains. Est-ce que j'atteindrai un jour sa souplesse et sa délicatesse ? Rien n'est moins sûr. Mais c'est pas grave, je lui laisse le monopole, si elle m'autorise à regarder.

Elle se tourne vers moi, m'encourage à l'imiter d'un sourire. Je pourrai la suivre jusqu'au bout du monde ; à la place, je me contente de singer ses mouvements, essayant de me rapprocher le plus possible de sa perfection.

Autant dire que le résultat n'est pas fameux.

Mes bras tremblent au bout de quelques secondes, mon grand écart est loin d'être suffisamment travaillé et, incapable de soutenir mon poids, je finis par laisser mes pieds retomber sur le tapis. A ma décharge, j'ai au moins réussi à atterrir le dos droit. C'est sûrement la seule chose que je suis parvenue à ne pas rater, alors il faut en profiter !

Piteusement, je me tourne vers Louise.

– C'est... commence-t-elle.

– Naze.

– Mais non !

– Tu peux le dire, tu sais. Pour ma défense, la poutre me HAIT autant que je la déteste !

– Faut juste que tu gagnes confiance en toi. Tu peux peut-être commencer plus doucement, non ?

Je lève les yeux au ciel avec une grimace ; me reprend dès que je me rappelle que c'est Louise, en face de moi. Pas Faustine, pas ma mère ; mais Louise. Alors, je force un sourire sur mes lèvres.

– Nan, madame la Coach veut absolument que j'apprenne le mouvement.

– Je te remontre.

– T'es pas obligée !

– Non, mais je veux.

Quand Louise passe à côté de moi, son parfum me titille les narines ; mélange de lavande, de poudre et de transpiration. Je ferme les yeux, en profite pour inspirer à fond. Étrangement, son odeur m'apaise.

Quand je rouvre les paupières, elle est à côté de moi, à me regarder fixement. Le petit pli entre ses sourcils disparaît dès que nos regards se croisent et elle se remet à sourire presque instantanément.

– T'es prête ? me demande-t-elle.

– Toujours, quand c'est avec toi !

Pourquoi je recommence à dire n'importe quoi, moi ?

Par chance, elle se contente de sourire.

– Je te montre plus lentement, si tu veux.

– Merci, t'es vraiment la meilleure des profs.

– Non, ça c'est toi. Et j'ai hâte qu'on continue les cours !

Elle sourit de nouveau, insouciante de l'impact que ses mots ont sur moi. Mon cœur loupe un battement ; mon visage chauffe un peu trop violemment.

C'est fini, je suis incapable de me concentrer maintenant.

EquilibreWhere stories live. Discover now