gym n°3

131 12 6
                                    

C'est la boule au ventre que j'entre dans le gymnase.

J'ai si peu de dignité que j'aurais pu ne pas avoir honte. Les filles m'ont vue dans des états pas possible, les cheveux gras, un air de cadavre ; elles étaient là quand j'ai tenté de me couper moi-même les cheveux, quand je me suis teint une mèche en violet. A côté de ça, être bourrée ? Pas la mer à boire.

Oui mais voilà, c'est pas si simple que ça finalement.

Quand j'entre dans les vestiaires, tout est exactement comme d'habitude. Prisca me claque les fesses, comme elle le fait à chaque fois ; Louise me sourit, Lætitia m'adresse un signe de la main, Faustine attend dans un coin, son habituel air maussade gravé sur le visage. Rien ne sort de la routine.

Je rejoins ma meilleure amie, la salue avec effusion, avant de me changer. En quelques minutes, je suis prête et déboule sur les tapis accompagnée de Faustine.

Pendant un instant, la coach envisage de m'assigner à la poutre ; avant de changer d'avis avec un soupir. A la place, elle m'enjoint à m'entraîner au sol, ce qui me convient bien mieux. Je crois qu'elle s'en est rendue compte d'ailleurs, peut-être à cause de mon cri de victoire. Peut-être.

Je m'échauffe aux côtés de Faustine et d'Olive, avant de me lancer sur la piste, avec une impatience non dissimulée. J'enchaîne quelques roues, finis sur une rondade, les pieds joints et les bras tendus.

Personne ne m'observe, personne pour juger ou commenter ; il n'y a que les tapis et moi. Je recule, prends mon élan, effectue un salto. Ça fait quelques semaines que je m'entraîne pour la vrille, mais ça m'est encore inaccessible. Enfin, si, je peux le faire. Quand j'ai un support sur lequel m'élancer.

A côté de ça, Louise est capable de faire un triple salto. Et une double vrille. Quand je dis que cette fille est incroyable, j'exagère à peine. Voire pas du tout. Dès qu'elle débarque sur la piste, je peux pas m'empêcher de l'admirer. Pas que je veuille être elle, non, ni même l'égaler ; j'aime juste la regarder. J'ai toujours aimé la regarder.

Je secoue la tête, me force à me concentrer. Louise, ma distraction officielle ! Mais surtout celle qui me pousse à me donner à fond. J'aimerais moi aussi qu'elle me regarde un jour comme je la regarde. Avec un supplément étoiles dans les yeux, si possible. Et peut-être même une tenue de pom-pom girl. Je l'imagine bien avec des couettes, une mini jupe et des pompons aux mains. A croquer, clairement.

On a encore le droit de rêver hein !

Sourire aux lèvres, je reprends sagement mon entraînement. Je travaille sur mon enchaînement, esquisse roues, salto et pont, prends la pose, avant d'agiter les bras, en rythme. Je me chantonne la musique que j'ai sélectionné il y a quelques semaines, m'assure qu'elle s'accorde bien avec la combinaison de mes figures.

La coach m'observe quelques instants, avant de venir me rejoindre ; elle me conseille, m'explique que je devrais prendre plus de pauses, éviter les enchaînements trop audacieux.

Comme chaque début année scolaire, on organise une compétition avec un club de la ville voisine ; ça a beau être amical, la coach veut qu'on soit aussi parfaites que possible. Je la comprends, même si c'est loin d'être mon objectif. Moi, je veux juste m'amuser. Et peut-être, profiter de ce sentiment si particulier de liberté, quand le public retient son souffle, avant d'applaudir à tout rompre. C'est grisant. J'adore.

Je pensais honnêtement pas prendre autant de plaisir à faire de la gym. Au début c'était juste une manière comme une autre de m'intégrer, sous les conseils de ma mère. J'ai tenu bon uniquement parce qu'il y avait Louise ; et maintenant je suis accroc. J'ai même investi dans un tapis, pour m'entraîner à la maison. Qui l'aurait cru ? Pas moi. Certainement pas moi.

Une pression sur mon avant-bras me rappelle à l'ordre. C'est Faustine, qui m'interpelle à sa manière. D'un geste du menton, elle me désigne Louise, qui brille aux anneaux. Faudrait vraiment qu'elle m'apprenne.

Quoique. Non. Pas après ce qui s'est passé ce weekend. J'y survivrais pas.

– Tu lui as parlé depuis ? me questionne mon amie.

Je secoue la tête. Elle soupire.

– Dis-lui.

– Je peux pas.

– Pourquoi ?

– Parce que...

Pause. J'en ai aucune idée, en vérité.

– Hé, j't'en pose des questions moi ? Mêle-toi de tes affaires ma p'tite.

Elle me bouscule du bout des doigts, lève les yeux au ciel.

– Dis-lui.

– Plutôt mourir.

Je claque mes mains contre mon cœur, titube pour parfaire le tableau, de la manière la plus exagérée possible. Sauf qu'évidemment, elle ne se laisse pas avoir.

– J'vais lui dire.

– Tu peux pas.

– Quand elle comprendra la langue des signes.

– J'annule tous nos cours.

Le sourire qui suit ne me dit absolument rien qui vaille. Je sais qu'elle est capable de mettre ses menaces à exécution. Je la connais beaucoup trop bien, maintenant.

Un coup d'œil par-dessus mon épaule m'apprend que Louise se prend une petite pause, elle aussi. Elle me sourit quand nos regards se croisent ; je détourne instinctivement les yeux, paniquée. C'est ce qu'on appelle être prise sur le fait. Merde. Est-ce qu'elle se doute de quelque chose ?

Vite, réagir.

Je plante Faustine sans plus de cérémonie, cours vers Olive, tranquillement assise dans un coin. Aucune réflexion, juste de l'action.

– Hé, tu voulais pas la marque de mon casque ?

– Tu te rappelles de ça, toi ?

– Ouais grave. Viens, j'peux même te faire tester.

Elle tique quelques instants, finit par hausser les épaules. C'est ce que j'adore chez Olive, elle se pose souvent des questions, mais jamais trop longtemps ; je crois qu'elle ne cherche même plus à comprendre. C'est c'qu'elle m'a dit une fois, en tout cas.

J'étais en train de m'agiter sur le tapis comme un poisson hors de l'eau, me calquant sur le rythme d'une musique imaginaire. Elle s'est arrêtée au-dessus de moi, m'a regardée en fronçant les sourcils. Puis elle a balancé un j'abandonne bien senti, avant de s'éloigner en haussant les épaules.

Depuis, je l'aime bien. Enfin je l'ai toujours bien aimé.

Je trottine en direction des vestiaires, elle me suit sans se presser. Un nouveau regard en direction de Louise m'apprend qu'elle nous observe, en pleine discussion avec Lætitia. Je me demande ce qu'elle peut bien penser. J'aimerais tellement pouvoir m'infiltrer dans sa petite tête pour découvrir tout ce qui se passe là-dedans.

Et pour pouvoir enfin être fixée sur ce qu'elle pense de moi.

EquilibreWaar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu