soirée gym

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tw alcool

Je me perche en équilibre précaire sur le plan de travail, les yeux fixés sur les lèvres d'Olive. Elle parle, elle parle, elle parle, mais je suis incapable de comprendre un traître mot de ce qu'elle me dit. Je crois que c'est à propos de nourriture. Ou de sa mère ? Aucune idée.

– Tu me conseilles quoi ?

Sa question me sort temporairement de ma torpeur. Je fronce les sourcils, dans l'incompréhension.

– Hein ?

– Louise m'a dit que t'avais un casque du tonnerre, c'est quoi ?

Bon, c'était pas du tout ce que je pensais.

– Euh...

La pièce tangue autour de moi et je peux pas m'empêcher de glousser comme une dinde.

– Tu veux des grenouillères aussi ? je finis par demander, hilare.

– Des grenouillères ?

– Oui pour aller avec le casque.

– Mais de quoi tu parles ?

– Pour pouvoir faire du vélo !

La conclusion de ma blague a le don de me faire hurler de rire. Heureusement que Faustine n'est pas là, finalement, elle serait déjà en train de lever les yeux au ciel en pestant contre mon absence de maturité. Quoiqu'avec elle à mes côtés, j'aurais sûrement beaucoup moins bu. Mais j'aurais quand même pu faire la blague parce qu'elle est objectivement hyper drôle.

– Ok.

Je plisse les yeux en direction d'Olive qui, sans un mot de plus, me tourne le dos et s'en va. Aussi brusquement que ça. J'esquisse un geste, comme pour... comme pour quoi ? La retenir ? Je laisse mon bras retomber, me cogne la main contre le genoux. Le contact, brutal, me fait glapir. Je retrouve la terre ferme d'un bond, perd l'équilibre ; évidemment, je rate le plan de travail et m'écroule misérablement par terre. Loin de me choquer, la situation me fait éclater de rire.

Je me roule sur le sol de ma cuisine, les larmes aux yeux. Je crois même que je vais finir par me pisser dessus. Pas très ragoûtant. Mais qu'est-ce que c'est drôle ! Incapable de me redresser, je finis pourtant par me calmer, prostrée, les bras en croix et le regard scotché au plafond.

L'idée me traverse l'esprit que j'aurais probablement dû refuser le duel de shots de Prisca. Elle a toujours les pires idées du monde celle-là. Si sa famille catho savait le monstre qu'elle devient dès qu'elle a un verre entre les mains, ce serait direction le couvent sans passer par la case départ. Quoique. A bien y réfléchir, je suis sûre que même Dieu ne pourrait pas laver tous ses péchés.

– Ça va, Louve ?

Je redresse la tête, juste le temps de croiser de magnifiques yeux gris, avant de la laisser retomber terre. Pas l'énergie de faire plus d'efforts que ça. Juste assez pour sourire comme une idiote.

– Louise ! Mon prince charmant !

– Quoi ?

– Quoi quoi ? T'es pas venue pour me sauver la vie ?

– Bien sûr que si ! Attends, je sors mon épée, où sont les dragons ?

– Ils sont invisibles ! Les dragons sont dans ma tête, par pitié, pourfends-les.

Elle rigole, pas moi. Je tends les bras avec avidité. J'ai envie d'un câlin, qu'elle me presse doucement contre elle. J'ai envie de respirer son odeur familière et réconfortante de lavande.

Mais j'ai quand même un minimum d'égo. Même bourrée. Je crois.

Mes mains s'écrasent contre le carrelage avec un bruit mat, mais je suis trop anesthésiée pour ressentir quoique ce soit. Je suis juste contente d'être là, de vivre l'instant. Encore plus depuis qu'elle est avec moi.

– Viens t'allonger à côté de moi, mon prince !

– Euh...

– Allez viens, viens, viens regarder les étoiles avec moi...

– Quelles étoiles ?

– Celles qui sont dans tes yeux.

Elle pouffe, je réitère mon invitation, jusqu'à ce qu'elle accepte de s'asseoir à côté de moi. Dans la pièce d'à côté, j'entends un bruit de vaisselle cassée, suivi d'un cri perçant. Y a que Prisca pour sortir un tel son. Bien fait pour elle. Je ricane, mauvaise, mais m'interromps quand Louise fait mine d'aller voir. J'agrippe son tee-shirt, désespérée ; maintenant qu'elle est là, je peux pas la laisser repartir.

– T'es trop canon avec ton débardeur.

Ok, j'avais pas prévu de dire ça.

– Enfin, t'es canon tout le temps hein !

Voilà, c'est mieux. Qu'elle ne pense pas n'être belle qu'à mi-temps quand même, ce serait une honte. Une injustice aussi ; elle mérite mieux.

Sous la pression insistante de ma main, elle finit par s'allonger, son épaule contre la mienne. Je frissonne sans avoir froid ; sa simple existence suffit à me mettre dans tous mes états.

– Tu m'as promis des étoiles, chuchote-t-elle.

Son souffle caresse mon oreille et je m'imagine quelques secondes tourner la tête pour l'embrasser. Elle est si proche que ce serait tellement simple... pourtant elle est aussi terriblement loin. Beaucoup trop hors de ma portée.

Alors à la place, je braque un doigt hésitant en direction de la masse floue que constitue mon plafond, un sourire béat aux lèvres.

– Tu vois là, c'est cassiopée.

– Ah oui ?

– Tout à fait madame.

– Et là c'est quoi ? La grande ourse ?

– Mais non c'est la petite, ! Comment tu peux confondre ?

– Ah bah pardon hein.

Elle ronchonne, je rigole. J'aime le naturel de notre échange.

– Et là, tu vois là ?

– Non, où ça ?

– Suis mon doigt !

– Je vois. C'est quoi ?

– Archimède.

– Archimède ?

– Oui oui oui.

– Y a pas d'étoile qui s'appelle Archimède... si ?

– Mais si, la constellation là !

– Attends.

Elle réfléchit un instant, j'en profite pour basculer la tête vers son épaule, presse ma tempe contre sa peau.

– Tu veux dire Andromède ? reprend-elle soudainement.

– Hein ?

Je prends quelques secondes pour y penser, avant d'abandonner l'idée dans un soupir. J'ai trop bu pour ça. Je me sens trop bien pour ça.

– Oui bon, je conclus, miséricordieuse. J'ai jamais dit que j'étais une astrophy... euh astromancienne... enfin, une spécialiste du ciel quoi !

Elle rigole, son épaule tressautant contre ma joue.

Et même si je sens la nausée arriver, même si le monde continue de tourner tout autour de moi, je me dis que c'est pas grave, tant qu'elle est là. Parce que ça me donne un peu l'impression que c'est autour de nous que le monde tourne.

EquilibreWhere stories live. Discover now