bonus 2

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Parce que j'étais incapable de leur dire au revoir, voilà un nouveau bonus qui traînait dans mes placards. J'espère qu'il vous plaira. <3

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Elle est belle.

Elle est si belle quand elle s'élance, les bras levés, enchaîne trois vrilles, une roue, deux saltos arrière. Son visage rayonne de concentration, son éternel sourire aux lèvres. Sa peau luit sous les projecteurs, alors qu'elle agite les mains, effectue quelques pas de danse. Engoncés dans une queue de cheval haute, ses cheveux s'agitent, s'envolent, comme mû d'une vie propre — à l'instar de leur maîtresse, ils veulent s'échapper, s'évader. Côtoyer les étoiles, sans savoir que la plus belle des leurs est là, à leur côté.

Louise a toujours été incroyable. Il m'a suffi d'un regard dans sa direction pour le savoir ; sa présence ici, aujourd'hui, est comme une évidence. Elle est née pour ce moment, son moment, a travaillé si dur pour s'élever, atteindre les plus hautes sphères du sport à haut niveau. Personne ne mérite plus qu'elle sa place aux jeux olympiques.

Ma gorge se serre, quand elle termine son enchaînement le plus risqué, se laisse tomber en grand écart, avant de se relever d'un bond. Ses mouvements sont fluides, agiles, sa démarche assurée, son pas dynamique. Il n'y a pas une erreur, pas une fausse manœuvre, pourtant je sais que si tôt la musique terminée, elle s'en voudra, analysera sa performance pour y déceler mille défauts. Je la connais, depuis le temps, ma belle gymnaste.

A chaque fois que je pense ne pas pouvoir l'aimer plus, elle m'éblouit, petite princesse époustouflante qui brille de mille feux.

La première fois que j'ai vu Louise, j'ai pensé qu'elle était un ange — chaque jour, elle me prouve que j'avais raison. Elle n'a pas sa place sur terre, ne l'a jamais eu. Je la verrais plutôt bien dans le ciel, intégrer la voie lactée, loin du commun des mortels et de ceux qui veulent qu'elle garde les pieds sur terre.

Son passage terminé, elle tourne la tête, cherche mon regard. Elle fiche ses yeux dans les miens et sourit, de son sourire si lumineux, qui égaye immédiatement le gymnase, fait palpiter mon cœur. Après, seulement, elle salue, dit au revoir à la foule qui l'acclame.

Je quitte ma place pour la rejoindre, elle s'élance dans mes bras, me serre de toutes ses forces. Une larme vient s'écraser dans mon cou, pendant que je retiens tant bien que mal les miennes. J'inspire son odeur, mélange de poudre, de lavande et de transpiration. C'est son odeur à elle et elle sent si bon que je pourrais en mourir.

En fait, je l'aime tellement que je pourrais en mourir.

Quand elle s'écarte, c'est un vide qu'elle laisse dans mon cœur, les bras encore fourmillants de sa présence. J'aimerais la garder, la retenir, mais j'en suis incapable. Ou plutôt, je n'en ai pas le droit. Alors à la place, je la laisse rejoindre ses camarades, célébrer avec elles sa performance.

Quand la porte s'ouvre, que je vois son visage apparaître, mon cœur bondit dans ma poitrine, menace de s'échapper pour aller la rejoindre. Elle dit au revoir à ses amies, me rejoint en quelques bonds. Sa main dans la mienne, on esquisse quelques pas, avant que la tentation ne devienne trop grande. Je m'arrête pour l'embrasser, joins ses lèvres des miennes avec une avidité dont je ne me pensais pas capable. Elle me rend mon étreinte, laisse ses doigts se balader sur mes hanches, remonter dans mon dos.

Je l'aime. Je l'aime tellement.

– Je t'aime. Je t'aime tellement.

Elle s'écarte, éclate de rire. Si légère. Insouciante.

– Je t'aime aussi.

– Félicitations !

D'une petite pression des doigts, j'écarte une mèche de son visage, la range derrière son oreille. Impatiente de sortir, elle n'a pas pris le temps de refaire sa queue de cheval, ni même de relâcher ses cheveux. Je les aime bien, pourtant, quand ils cascadent sur ses épaules. Mais je raffole aussi de ce petit air sauvage que lui donne cet air désordonné.

La fraîcheur nocturne nous accompagne, pendant qu'elle m'entraîne à pas lents vers son hôtel. Elle me raconte sa journée, le moment d'attente avant la révélation et la médaille d'or, qui traîne fièrement autour de son cou. Sa voix est excitée, son ton si joyeux qu'il réchauffe mon cœur, fait disparaître la chair de poule.

Je pourrais l'écouter toute la nuit. Me repaître de sa présence autant que de son amour. Il me faut toute ma volonté pour ne pas la retenir, la supplier de prolonger la marche. J'aimerais quelques heures en plus, même une minute me suffirait. Mais je n'en ai pas le droit.

Il faut arracher le pansement d'un coup sec.

Alors c'est devant son hôtel, face à son sourire radieux, que je lâche le mot qui pèse sur mon cœur depuis plusieurs jours maintenant :

– Rompons.

Le visage à quelques centimètres du mien, alors qu'elle se rapprochait pour m'embrasser, elle se fige, incertaine. Pour prouver qu'elle n'a pas rêvé, je répète, le cœur au bord des lèvres, un goût de cendres dans la gorge.

– Louise, rompons.

Chaque syllabe creuse un sillon sanglant en moi. J'ai l'impression que je pourrais mourir, me désintégrer. Tout plutôt que de voir son regard changer, l'incompréhension laissant la place à un je ne sais quoi, que je ne parviens pas à déterminer. Mélange de peine, d'interrogation, peut-être un peu de curiosité.

Je réponds à sa question avant qu'elle ne parvienne à la poser. Avant que sa voix ne fasse faiblir ma volonté.

– Toi et moi, ça peut plus continuer. Tu le sais, on en a assez parlé. Ça fait des mois qu'on le sait, ça fonctionne plus, on est trop différentes, on est plus dans les mêmes milieux et-

– Et je t'ai dit que je peux faire des efforts !

Elle hurle presque, cri de désespoir qui résonne autour de nous, attire l'attention de quelques passants.

– Non, Louise. Des efforts, on en a fait, ça marche pas, c'est comme ça. Et je crois que...

... je suis incapable de terminer ma phrase. J'aurais voulu lui dire que je ne l'aime plus, mais je ne peux pas. Le mensonge reste bloqué dans ma gorge. Elle ne me croirait probablement pas, de toute manière. Elle me connaît trop bien pour ça.

– C'est terminé, Louise.

Mes mots tonnent, implacables. La dureté de mon ton me surprend moi-même ; et la réaction de Louise me prouve que j'ai touché juste. Elle ne m'a jamais connue si froide, si acérée.

J'ai envie de la prendre dans mes bras, de la toucher. De lui dire que c'était n'importe quoi, que j'ai envie d'être avec elle, aujourd'hui et demain, et tous les jours de ma vie.

Les sentiments débordent de mon cœur, menacent de gâcher tous mes efforts. Alors, avant que le raz-de-marée n'engouffre tout sur son passage, je me détourne.

– On a tout essayé, c'est pas suffisant. Y a rien de plus à dire. C'est terminé, Louise.

Je répète, pour le graver dans ma tête plutôt que dans la sienne.

Pendant que je m'éloigne, je l'entends gémir derrière moi, tenter de m'appeler, de me retenir. Extérieurement, j'essaie de paraître déterminée ; il me faut bien ça, pour ne pas m'effondrer. Être forte pour deux, c'est ce que je me suis promis.

Pourtant, dès que je suis sûre d'avoir quitté son champ de vision, je m'effondre, les jambes tremblantes, l'esprit en vrac. La tête entre les genoux, j'essaie de calmer ma respiration, de réfréner les larmes, de me convaincre que j'ai pris la bonne décision, que j'ai fait ce qu'il fallait faire. Et quand le doute pointe le bout de son nez, je me répète le mantra qui rythme mes journées depuis un moment maintenant :

Laisse-la partir ; si tu l'aimes vraiment, laisse-la partir, avant de gâcher ses rêves et sa vie.


EquilibreWhere stories live. Discover now