24 CONVULSION

114 20 16
                                    

Kotchenko avait enfin terminé de réaménager le bureau des enquêtes, dans un style qui le seyait mieux. Il s'était débarrassé de toutes les barres chocolatées que sa femme avait accumulées dans son tiroir. Après avoir fait du tri dans la paperasse, il avait fait repeindre les murs en rouge et noir. 

La pièce avait pris un aspect sinistre, aussi sinistre que l'était le cœur du veuf. Il était impossible de mener une vengeance dans un bureau aux couleurs paisibles. Il n'était pas paisible. Il était en colère. En colère, et ravagé. 

Le front en sueur, il se retourna vers la remise. C'était un vieil entrepôt vide qui n'avait servi à rien depuis longtemps. Mais le russe avait réservé une utilité cruciale au magasin, qui n'était plus vide depuis ce matin...

Il avait fait insonoriser les murs du dépôt, puis avait installé de solides barreaux à la petite lucarne. Il s'était également fait livrer une chaise électrique, un knout, ainsi que des chaines de différentes tailles. Kotchenko savait que la torture était interdite aux Pays-Bas, comme dans la plupart des pays du monde. Mais s'il fallait venger Willow, il le ferait comme en Russie, comme chez eux. 

Le Knout était un instrument de chez eux, c'était le châtiment extrême. Un long fouet, d'à peu près cinquante centimètres, avec lequel étaient attachées plusieurs autres lanières de cuir de différentes tailles. La chicotte avait été imbibée de lait, puis séchée au soleil pour rendre les courroies dures.

Kotchenko avait fait l'armée avant d'ouvrir son agence de détective privé avec sa femme. Et durant ce temps de guerre, il avait vu des humains mourir sous le Knout. Il avait vu cet instrument arracher la peau de ses victimes, dénuder les dos de leurs peaux et les mettre à sang. Attachés et flagellés, peu de condamnés survivaient après cent coups. 

Kotchenko espérait que son futur prisonnier soit plus résistant que les anciens durant la guerre. Parce que pour l'assassin de Willow, il réservait un châtiment pire que la mort. C'est ainsi qu'il faisait son deuil. Il ne se laisserait pas abattre.

Il abattrait...

***

— Oh, le fils de pute ! Je savais que Mickael n'était pas blanc comme neige, mais je ne l'imaginais pas non plus si noir !

Kalen lança Matteo dans les airs et le rattrapa au vol. Le petit semblait tout enjoué et riait aux éclats. La joie de vivre de ce dernier avait contaminé Kalen et il avait réussi à oublier pendant un instant, qu'il n'avait pas épousé la bonne personne. 

L'odeur des oignons qu'on frisait dans l'huile avait empli la cuisine, se mêlant à celle de la viande qui grillait au four. Kalen mourait de famine. Il avait passé toute la journée à essayer d'éviter Ramis, qui semblait lui courir après. Mais après tout, comment pouvait-on éviter son chef ? 

Kalen ne pensait pas pouvoir un jour être autant dégoûté de deux personnes sur qui il avait longtemps fantasmé. Mais c'était tout ce qu'il ressentait à présent. Du dégoût. Pour Mickael, pour Ramis Winchester...

— Le diner sera servi dans une trentaine de minutes, coula Léaina lorsqu'elle entendit le ventre du brun vrombir. Puis elle jura contre son bras blessé qui l'empêchait de découper convenablement les condiments.

— Peut-être que si tu me laissais t'aider...

— Si tu insistes encore, crois-moi je vais te frapper avec ma spatule et tu pars au lit direct. J'ai dit que je m'occupais du diner, alors je m'occupe du diner. Je ne vais pas te laisser cuisiner toute la journée au Smaken, et t'y mettre aussi à la maison. T'es quoi, toi ? Le robot Captain Man ?

— Captain Man n'est pas un robot, soupira Kalen en empêchant l'enfant de lui griffer le visage, comme c'était devenu sa nouvelle passion.

— Toi non plus, alors va te reposer. Allez, hors de ma cuisine ! Oust !

— Ou est Tony ? se demanda Kalen, qui ne l'avait pas vu depuis son retour.

— Il me fait la tête, siffla la rousse. Voyant le regard surpris de Kalen, elle lui expliqua comment elle s'en était prise à Nina et sa mère, et qu'elles l'avaient menacé de porter plainte.

— La police ? s'effraya Kalen. Tu es allée trop loin, Léa.

— Bien fait pour elles ! Qu'ils s'amènent, les Schtroumpfs bleus. S'ils me cherchent eux aussi, j'utilise leurs tripes pour assaisonner mon bouillon. Elle se retourna et embrassa l'enfant interloqué dans les bras de son père. Le gamin semblait calme, perdu face au spectacle qui opérait devant lui. Oh, mon petit Matt. Maman est sur les nerfs. Maman est vraiment sur les nerfs.

— Tu devrais présenter tes excuses à Tony et aussi à sa belle-famille. On ne règle pas tout par la force, Léa. Calme tes pulsions.

— Et toi, expulse-toi de ma cuisine si tu ne veux pas que je te fasse raccourcir jusqu'à ma taille. Quand la lionne est énervée, elle mord. C'est comme ça, Kalen. C'est comme ça.

Résigné, le brun se retourna vers la porte de la cuisine, l'enfant dans ses bras. Léaina sortit le poulet du four, et le posa sur la paillasse rangée. Puis, alors qu'un délicieux fumet épicé avait envahi la pièce, la rousse se retourna vers son frère qui disparaissait déjà par la porte entrouverte. Mais elle se figea sur place, la bouche sèche et les mains tremblantes. La louche dans sa main tomba.

— Kalen...bégaya-t-elle en s'agrippant au rebord de la paillasse pour ne pas flancher. Kalen...ses yeux...

Intrigué, le brun retourna le bébé vers lui et crut perdre connaissance. Les pupilles dorées de Matteo avaient disparu en-dessous de ses paupières tremblantes. Il n'y avait plus que de blancs iris vides. Les lèvres du bébé étaient crispées, si fort qu'on pouvait voir les tendons de son cou se dessiner sous sa peau. Un spasme de frayeur traversa le père. Il rugit le nom d'Antonio dans la maison. Florida trembla et se refugia dans un coin du salon.

— Quoi ? Qu'est ce qui se passe ? s'effraya le docteur Delacruz en descendant les marches deux à deux.

— C'est Matteo ! Il est en train de convulser...

LIENS PARTAGÉS (WATTYS2020)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant