10 PULSION (SUITE)

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***

— Tu ne m'as pas vraiment demandé ce que tu m'as demandé !

— Si, je te l'ai demandé. Et je suis sérieuse, Xander... il y a un proverbe russe qui dit « mesure sept fois, coupe une fois ». Crois-moi, j'ai suffisamment réfléchi et c'est la seule chose à faire.

Quand Xander avait reçu le coup de fil de sa patronne, il en avait eu des frissons d'appréhension et d'excitation, si bien qu'il n'avait pu résister à l'envie de passer chez elle le lendemain. Enfin, cette chasse à l'homme commençait à être un tantinet intéressante. 

Connaissant sa patronne, il savait que si madame Nikova avait décidé de lancer le plan Nikita, cela signifiait qu'elle en avait déjà marre. Et lui aussi, il ne pouvait se nier qu'il voulait déjà passer à autre chose. Cette affaire était à la fois si simple et complexe à la fois. Ils connaissaient le coupable, mais n'avaient rien pour l'inculper. Et le plan Nikita consistait à aller cueillir ces preuves nécessaires au cœur même de l'action. 

Willow croqua dans un gros hamburger avant de boire une fraiche gorgée de Sprite.

— Tu as droit à une vie sociale, Xander. Et je sais que cette enquête te prend tout ton temps. Nous sommes sans cesse sur de fausses pistes, nous avons essayé de mauvaises combinaisons, et je pense que tout ça nous éloigne un peu plus chaque jour de l'essentiel, ceux qu'on aime.

Xander acquiesça. Il savait que Willow faisait allusion à son mari, monsieur Kotchenko Nikova. C'était aussi un détective privé basé en Russie. Sa femme et lui ne s'étaient pas revus depuis six mois déjà, et le temps commençait à se faire pesant pour eux deux. Willow ne parlait quasiment jamais de son mari, mais Xander savait combien elle était attachée à lui. 

Ils se connaissaient depuis le lycée, à l'époque où elle était encore connue comme Willow l'anorexique. Et alors que sa maigreur avait fait d'elle la risée du bahut, Kotchenko était le seul à l'avoir défendu. Il était le seul à avoir vu sa véritable beauté, le seul à l'avoir vu telle qu'elle était réellement. La détective avait raconté cette histoire une fois à Xander, alors qu'il se questionnait sur son besoin compulsif de manger. 

Aujourd'hui, il comprenait tout simplement que c'était une femme qui n'avait point eu la vie facile. Leur fille avait également fait l'objet d'un kidnapping vingt-cinq ans plus tôt, par un trafiquant de drogue qui voulait se venger d'avoir vu son business démantelé par ces deux-là. Willow en avait gardé un véritable traumatisme, et Xander craignait que cette enquête fasse remonter en elle un stress post-traumatique qu'elle avait déjà réussi à dompter. 

Pour l'instant, elle avait l'air de s'en sortir sans problèmes, même si sans Kotchenko auprès d'elle, elle perdait tous ses repères.

— Savais-tu que notre principal suspect travaille au Smaken ? demanda-t-elle à Xander une fois sa bouteille de jus complètement vide.

— Non. Vous pensez que c'est intentionnel ? Qu'il veut se rapprocher de la famille Winchester ? Ou est-ce en rapport avec la réapparition d'Ingrid ?

— Non, ça ne concerne pas Ingrid, lui répondit-elle. j'ai cru comprendre qu'il a pris service bien avant notre plan avec Léonie Dickez. Je pencherais plus pour la première option. Mais ce n'est pas sur ça que j'ai fondé le plan...

— Sur quoi avez-vous donc fondu le plan Nikita, madame ? Elle lui sourit, en léchant les dernières traces de ketchup sur ses doigts.

— Sois prêt demain matin, avertit-elle, tu seras très important dans la mise en marche du plan Nikita...

***

Kalen sentit son sang entrer en ébullition et dilater toutes ses veines. Malotru. Idiot. Insensé ! Venait-il réellement de le dire ? Non, il devait être en plein rêve éveillé. Il ne pouvait pas avoir demandé à son patron de l'embrasser. Mais merde, quelle étape de sa croissance embryonnaire avait-il raté ? Il lui manquait assurément quelques neurones. Sinon, il n'aurait jamais dit « embrassez-moi » à l'homme qui l'embauchait. 

Et le regard médusé de Ramis lui prouva combien ce qu'il venait de dire était absurde. Et voilà comment il venait de gâcher son unique chance de sauver Matteo, à cause d'une maudite pulsion qu'il n'avait pu faire taire.

Le patron revint sur ses pas, d'un air perdu. Kalen quant à lui resta bouche bée, presque aussi interloqué que le chef. Il aurait pourtant dû s'excuser. Ou bien prétendre à une mauvaise blague. Il aurait dû agir, ou peut-être juste réagir, au lieu de rester aussi stoïque. Ramis Winchester s'approcha de lui jusqu'à ce que son odeur particulière refasse surface dans le nez retroussé de Kalen.

— Qu'as-tu dit ? le questionna sévèrement le chef, avec à l'appui son dur regard.

— Quelque chose que je regretterais toute ma vie, soupira Kalen en se débarrassant de sa toque.

Il baissa le regard, attendant que la sentence tombe. Lorsque Ramis se retrouva à quelques centimètres de lui, il lui souleva le menton à l'aide d'un doigt. Le minuteur du four bipa. L'air était chargé d'électricité et imprégné de l'odeur acide du citron.

Bois de santal et romarin.

— Répète ce que tu as dit.

— J'ai dit, embrassez-moi, réitéra-t-il sans grande conviction, noyée dans le regard ambré de Ramis.

Lorsqu'il vit le visage de son patron approcher du sien, il retint sa respiration et ferma les yeux...

LIENS PARTAGÉS (WATTYS2020)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant