22 DEPRESSION

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— Thé aux fleurs d'oranger et tarte Bourdaloue aux poires.

— Range ça, Léonie. Je n'ai pas envie d'avaler ces cochonneries.

— Ça fait trois jours que tu n'as rien mangé, Ramis. Pour l'amour du ciel, sors de ce lit et mange quelque chose. Tu me fais déjà peur...

Ramis Winchester ignora la voix de Léonie et se ratatina un peu plus dans ses couvertures. Il n'avait plus envie d'en sortir. Plus jamais. Ni pour manger, ni pour boire. D'ailleurs, il n'avait pas quitté son lit depuis ces deux derniers jours. Son père avait repris le Smaken, le temps qu'il aille mieux. 

Et dire qu'il avait été si proche de retrouver l'enfant. Matteo Winchester. C'est comme ça qu'il s'appelait. Des spasmes violents tordirent les boyaux du chef cuisinier. Des nausées l'assaillirent. Il se pencha et vomit tout le contenu de son estomac, de l'eau et de la bile.

Léonie contourna le lit et vint s'asseoir près de Ramis. Elle était vêtue d'un tailleur rose pâle, en harmonie avec son rouge à lèvres mat et ses sandales à talons argentées. Elle avait décoloré ses cheveux, revenant à son châtain clair naturel. 

A présent, elle n'avait plus que quelques traits communs avec Ingrid Winchester, mais il était on ne peut plus clair que c'était deux personnes différentes. Lorsque l'actrice posa sa pochette noire près de l'alité, ce dernier se rendit compte qu'elle allait quelque part. Il fronça les sourcils.

— Tu vas mourir si tu continues comme ça, avertit la jeune femme. Je sais combien tu souffres, crois-moi je le sais. Mais ce n'est pas en te tuant que tu arrangeras les choses. Je connais le lien fort qui te lie à cet enfant, je sais ce que ça te fait de n'avoir pu le rencontrer. Mais Ramis...reprends-toi. Tu vois bien que tu avances. Tu es à deux doigts de retrouver ton héritier. Et le kidnappeur devrait essayer de te joindre dans les jours suivants. Souviens-toi, tu es peut-être le seul à pouvoir sauver le gamin d'une mort certaine. Ne désespère pas, je t'en prie...

— Que veux-tu que je fasse, Léonie ? se morfondit-il, laissant la jeune femme lui caresser les cheveux. J'étais à deux doigts de le tenir dans mes bras. Et cette chance m'a été refusée.

— C'est à toi de l'arracher ! Je ne veux pas que tu te laisses aller à la dépression, quand je ne serais pas là.

— Pas là ? répéta le blond en fronçant à nouveau les sourcils. Il s'accouda sur son oreiller et scruta plus intensément la tenue de son ex-sœur. Où irais-tu ? Pourquoi ne serais-tu pas là ?

Elle lui sourit, continuant de caresser sa chevelure soyeuse. Il remarqua que son regard était devenu larmoyant, et la vérité commença à s'insinuer en lui comme une injection létale.

— J'ai reçu un nouveau travail à Montréal, annonça-t-elle, j'ai déposé ma démission hier soir chez ton père.

— Quoi ? s'apeura Ramis.

— De toute façon, ma couverture ici a été compromise. Les kidnappeurs savent que je ne suis pas Ingrid Winchester. Si j'arrivais d'ailleurs à me souvenir de leurs visages, je te serais encore utile. Mais ils m'ont administré un cocktail puissant, et c'est le flou total dans ma mémoire.

— Mais...mais tu m'es utile, Léonie, tonna-t-il en serrant la main de l'actrice entre les siennes, comme s'il voulait se rattacher aux derniers souvenirs de sa sœur disparue. Tu es mon amie, j'ai besoin de toi. S'il te plait, reste pour moi.

— Je ne peux pas, Ramis...

— Si, tu peux ! Je te payerais le double de ce qu'ils t'ont proposé à Montréal. Si tu veux, tu n'auras plus jamais à travailler. Rien ne t'oblige à partir, Léonie. Ne pars pas, implora-t-il, alors que toute sa tristesse refaisait surface comme un volcan en éruption. J'ai besoin de mon amie. J'ai besoin de toi. Si tu pars, je perdrais ma sœur une seconde fois. Tu ne peux pas me faire ça. Tu n'as pas le droit de me faire ça !

— Ne complique pas la situation, Ramis, gémit-elle en essuyant le défilé de larmes sur ses joues blêmes. Nous savions tous les deux que ce jour arriverait. Je reste ton amie, crois-moi je le suis. Ici ou à des milliers de kilomètres, je le suis.

— Ne part pas ! Il lui serra la main fortement contre son cœur. Elle se leva et ramassa sa pochette. Ne t'en va pas, s'il te plait. Elle réussit à libérer sa main, les larmes coulant à flot sur son visage.

— Prends soin de toi, Ramis Winchester. Tu vaux de l'or, ne l'oublie jamais.

Et elle sortit de la chambre au pas de course, comme si elle avait peur de changer d'avis si elle s'y attardait trop longtemps. Au loin, elle entendit la voix déchirée de Ramis qui psalmodiait son nom. 

Ingrid était partie une seconde fois. Et ça, le cœur de déprimé de l'homme arrivait à peine à le supporter. Il retomba sur son oreiller comme un mort, sans plus jamais vouloir bouger où même respirer. Et il entendit la sonnette de sa porte retentir.

Léonie n'aurait pas pu l'abandonner dans cet état, pensa-t-il en sautant hors de son lit. Il fonça vers l'entrée, dépassa son bureau, et ouvrit la porte à la volée. Mais il réalisa que ce n'était pas Léonie qui se tenait devant lui. Ramis essuya ses yeux et détailla Kalen des pieds à la tête. Le commis de cuisine avait un jean gris et une chemise blanche recouverte d'un blouson noir.

— Je peux...entrer ?

Pour toute réponse, Ramis se jeta dans ses bras et ouvrit les vapes endolories de son cœur meurtri.

***

— Doucement, ça va un peu piquer.

Antonio pressa une compresse imbibée d'alcool sur la plaie de Léaina, et elle grimaça. Elle détourna le visage et préféra reporter son attention sur Matteo, qui rampait à la poursuite de Florida. Combien de temps lui manquait-il à vivre ? 

Si elle avait été moins entêtée, moins têtue, les choses se seraient sans doutes passées différemment. Ils ne seraient sûrement plus à Amsterdam à cette heure. Le cauchemar serait terminé, à cette heure. Mais voilà, ils avaient fait du surplace. Et personne ne voulait le lui dire, mais c'était entièrement de sa faute. 

Elle essuya une larme qui se formait au bout de son œil, elle s'en débarrassa le plus discrètement possible. Mais cela n'échappa pas au chirurgien qui la soignait.

— Je suis prêt à parier que ce n'est pas l'alcool qui te fait pleurer, dit-il.

— Je ne pleure pas.

— Tu sais que même les lionnes en ont le droit ?

— Arrêtez de faire comme si rien ne s'était passé, gronda-t-elle. Vous ne faites qu'éviter le sujet, Kalen et toi. Ça n'a aucun sens. Je me suis trompée, je me suis plantée sur toute la ligne. 

LIENS PARTAGÉS (WATTYS2020)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant