Chapitre 1 : Sanja Matsuri

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Je m’intéresse à la culture nippone depuis que j’ai treize ans. Aujourd’hui, j’en ai vingt-et-un et je réalise mon rêve. J’ai décidé de venir m’installer ici le temps d’une année. Cela fait maintenant trois ans que j’étudie le japonais à l’université. En m’inscrivant dans cette licence, je ne me doutais pas que j’allais tomber à ce point amoureuse de la langue et de la culture. Je suis venue ici dans le but de concrétiser un projet : j’aimerais écrire sur les yakuza. Que cela soit un simple dossier d’informations sur eux ou un prototype de mémoire, que je rédigerai complément en deuxième année de master.

Les yakuza –peu importe leur réputation –ont un rôle important dans l’histoire du Japon. Du moins, c’est ce que je pense.

Je pense que le Sanja Matsuri est une bonne introduction à leur monde. Le festival se déroule généralement à Asakusa, un quartier dans le nord-est de Tokyo. Nous pouvons y voir un défilé de mikoshi. Ce sont des genres de temples portatifs. En général, il y en a quatre par parade. Certains mikoshi peuvent peser jusqu’à cent kilos. Ils sont souvent transportés par des yakuza eux-mêmes. Certaines personnes de la foule sont invitées à se joindre à eux.

Ce festival leur permet de se montrer et de se mêler aux personnes dites « normales » le temps de quelques jours.

J’habite dans un petit appartement à Ueno, un autre petit quartier de Tokyo. Je suis chanceuse, celui-ci est près d’Asakusa. Il me suffit de prendre la ligne 6. Je n’ai qu’une vingtaine de minutes de bus. En arrivant sur place, je remarque que les rues sont déjà bondées. Cela ne m’étonne pas tellement : j’ai entendu dire que le festival attirait environ un million de visiteurs.

J’essaye tant bien que mal de jouer des coudes et me fraye un chemin parmi la foule. Je me dirige vers le temple Senso-Ji. C’est de là que commence les festivités. D’après la légende, ce temple aurait été construit pour rendre hommage à trois hommes : les deux frères Hinoki et le chef de cette terre.

J’aperçois l’édifice. Je tente de m’approcher pour admirer la grande porte rouge. J’en ai le souffle coupé. J’ai la sensation d’avoir traversé une carte postale. C’est vraiment beau. Bien que je ne croie en rien, les temples japonais sont d’une grande beauté. Je comprends les personnes qui aiment venir s’y recueillir.

Au centre de la porte se tient une sorte d’immense lanterne. On pourrait presque penser qu’elle nous barre la route. Je suis fascinée par l’édifice. En prenant une grande inspiration, je décide de passer la porte. J’atterrie dans une sorte de longue allée au bout de laquelle se trouve réellement le temple.

La couleur rouge est vraiment dominante et attire l’attention des visiteurs. Je me mets à admirer les détails. Les pointes des toits sont relevées vers le ciel, comme dans la plupart des monuments japonais. C’est vraiment dépaysant. Je n’ose presque pas entrer. De l’extérieur, on peut déjà apercevoir la statue de la déesse vénérée : Kannon-sama. Je sors mon appareil photo et immortalise ce moment. Je souhaite qu’il soit gravé à tout jamais.

Je ne regrette absolument pas d’être venue. C’est encore mieux que ce que j’imaginais. Je regarde l’heure sur mon téléphone et me rends vite compte que tout est sur le point de commencer. Je sors rapidement du temple et suis la foule à la recherche d’un mikoshi. Je veux vraiment faire partie du cortège. Je m’arrête au premier mikoshi que je vois.

Une bande d’hommes, tous vêtus de kimono noir, s’approche de la structure et se met en place. Ça va commencer ! Je suis excitée comme une puce ! Un homme se démarque des autres. Il se place devant le mikoshi.

— Mesdames et messieurs, ce mikoshi pèse plus de cent kilos ! Il sera porté par mes hommes ! Que la parade vous soit agréable !

Avant de députer, les hommes mettent l’ambiance en tapant dans leurs mains. Leurs applaudissements prennent un rythme encourageant et convivial. Les touristes se laissent happer par la musique et frappent dans leurs mains eux aussi. Les hommes s’approchent désormais du petit temple et le soulève en suivant les ordres de l’homme qui a annoncé son poids. Il semble ferme dans sa manière de les diriger. Cependant, nous ne pouvons nier le fait qu’il a l’air heureux.

Le cortège démarre. La foule suit les hommes en noir. Je suis impressionnée. L’ambiance est tellement conviviale et bien que cela ne fasse pas partie de ma culture, je ressens les choses de la même manière qu’eux. Je sors mon téléphone et filme un petit bout. Je ne veux pas oublier ça non plus. Une fois le moment gravé dans la mémoire de mon portable, je le range. J’ai bien trop peur de le perdre dans ce mouvement de foule. Pour le moment, nous avançons lentement. Sûrement à cause du poids de l’édifice.

Soudain, un homme se défait de ses camarades et invite un jeune homme à participer. Celui-ci place le mikoshi sur son épaule le temps de quelques secondes puis retourne dans la foule, à bout de souffle. Le jeune japonais semble heureux.

Le yakuza reprend sa place puis avance de nouveau à la même cadence que les autres. Au bout de quelques mètres, un autre homme sort de la file et s’avance vers moi.

— Vous voulez essayer ?

— J’en ai vraiment le droit ? Demandais-je toute heureuse.

— Bien-sûr !

Je le suis. Il m’aide à me placer sous le mikoshi. Heureusement pour moi, je me retrouve à l’extrémité. Le poids qui repose sur mon épaule est donc un peu plus allégé. Contrairement à tous ces hommes, je ne soulève presque rien. De plus, le yakuza qui m’a installé m’aide à le porter. J’attrape tout de même la poutre pour maintenir l’édifice correctement.

— Prévenez-moi quand vous voulez vous en défaire.

— Je peux avancer encore un peu ?

Il hoche la tête. Si cela ne tenait qu’à moi, je finirai la parade ainsi. Malheureusement, d’autres touristes rêvent d’être à ma place. Je ne peux jouer l’égoïste. Je cède donc ma place. Je suis fière de moi : mes petites mains ont contribuées à tout cela.

Après avoir traversé la moitié de la rue principale, les hommes posent le mikoshi et s’accorde une petite pause. Certains hommes enlèvent leurs hauts et laissent entrevoir leurs tatouages qu’ils leur aient, en général, interdit d’exhiber.

Le jeune homme qui m’a interpellé à lui aussi retiré son haut. Je peux voir qu’un dragon débute sur son bras, remonte sur son épaule dont la tête finie sur son torse. Je me demande si c’est un symbole personnel ou si c’est celui du groupe. Le reste de son torse est décoré de nuages et de fleurs de cerisier. Dans son dos, j’aperçois la silhouette d’un personnage traditionnel. Sans doute une divinité. Les corps de ces hommes sont dignes d’une œuvre d’art. C’est vraiment beau.

L’homme qui dirige le groupe me surprend à les reluquer. Une sueur froide me coule dans le dos. Je n’aurais pas du les regarder aussi fixement. Je sais que d’habitude, personne n’a le droit de les regarder dans les yeux.

Il approche finalement en souriant, cela me rassure un peu. Je ne voudrais pas le vexer.

— Bonjour, d’où viens-tu ? Me demande-t-il dans un anglais pitoyable.

— Bonjour, je suis française. Je suis ici pour mes études.

— J’adore tes cheveux frisés et tes yeux bleus, on ne voit pas ça souvent ici.

— Merci beaucoup !

— Comment tu t’appelles ?

— Je m’appelle Zoé.

— Tu parles japonais ?

— Oui, j’ai commencé à apprendre lorsque j’avais treize ans, alors je me débrouille.

— Très bien, dit-il finalement en japonais. C’est la première fois que tu participes à un festival ?

— Oui ! Je me suis installée ici il y a deux mois, c’est vraiment mon tout premier festival.

— J’espère que ça te plaît.

— Oui, beaucoup. Merci.

En l’observant de plus près, je devine qu’il a la quarantaine. Ses cheveux ébène commencent à devenir gris. Il a des petites pattes d’oie qui se forment dans les coins de ses yeux lorsqu’il sourit.

Il donne l’ordre à sa troupe de se préparer à repartir puis me dit :

– Vous avez l’air d’être une brave fille.

THE YAKUZA Where stories live. Discover now