Chapitre 19

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Prudent, Martin attendit une journée de plus avant de mettre son plan a exécution, non sans une certaine appréhension. Il avait bien conscience qu'il était en train de trahir la Garde, et par conséquent toute la Ville. Mais c'était sans doute mieux ainsi : Martin préférait encore se comporter comme un lâche plutôt que de risquer l'humiliation d'être rejeté.

Un cuisant sentiment de honte le saisit tandis qu'il partageait son dernier repas avec Valentine, Étienne et Hugo. Il ne se savait pas aussi hypocrite, ni même aussi bonne comédien. Il parvint, il ne savait trop comment, à ne pas éveiller leurs soupçons, et même à participer à la conversation un peu plus que d'ordinaire. Il prit sur lui pour se montrer poli envers Hugo, répondit volontiers aux taquineries de Valentine et accepta même d'écouter le babillage d'Étienne sur les traditions des Anciens. Il culpabilisa devant le large sourire de Valentine qui semblait ravie de le voir faire des efforts pour s'intégrer, se surprit à trouver les explications d'Étienne intéressantes et ne détesta plus autant Hugo qui, il devait l'admettre, avait un bon fond pour un bourgeois de Haute-Ville !

Dès lors, au cœur de la nuit, allongé dans son trop confortable lit, il hésita. Tous les trois ne méritaient pas qu'il les abandonne.

« Au moins ils arrêteront de se traîner un boulet ! se rasséréna-t-il. C'est mieux comme ça ! Te ramollis pas, Martin ! »

Incapable de dormir, et pas assez stupide pour fuir à la nuit tombée, heure à laquelle les Gardes qui étaient restés à l'intérieur de la Ville patrouillaient, il se résolut à attendre les premières lueurs du jour, juste avant la levée des Aspirants.

Il crut ses plans contrés lorsqu'au l'alerte retentit vers deux ou trois heures du matin. Terrifié, il bondit hors de son lit avant d'ouvrir sa fenêtre. Toutes les lumières du Bastion s'allumèrent, et une vingtaine de Gardes se réunirent dans la cour. Trois cycles de trente secondes percèrent la nuit.

Il expira. Comme tous les habitants de Bois-aux-Roses, il avait appris à reconnaître les signaux d'alerte à la population. Celui-ci signifiait que des Ombres avaient été repérées dans la région. Donc, pas de danger immédiat, et en soit, ça n'avait rien de bien inhabituel. Alors il se rassit sur son lit, et attendit.

Enfin, vers quatre heures du matin, il rassembla ses affaires le plus silencieusement possible avant de jeter un dernier regard à cette chambre qui aurait pu être la sienne.

Est-ce que ça devait vraiment se finir ainsi ? Allait-il vraiment abandonner aussi facilement ? Sans même chercher à se battre ?

« Tu as déjà donné, non ? rétorqua la voix perfide intérieure. Tu ne crois pas qu'on t'as déjà assez humilié comme ça ? »

Martin secoua la tête pour chasser ses doutes, avant de jeter son baluchon sur son dos. Il n'avait pas le temps pour les regrets. Il devait quitter le Bastion le plus rapidement possible avant qu'on ne cherche à l'arrêter, regagner les Halles, retrouver Emma chez Ali, et supplier Yolande pour qu'elle l'aide, encore une fois.

Le pied léger, Martin ouvrit la porte de sa chambre, traversa le salon puis s'engouffra dans le couloir. Il évita de justesse la dégringolade dans les escaliers, et s'étonna que personne n'ait entendu le grincement de ses chaussures contre le carrelage ni le bruit métallique de la rambarde qu'il avait agrippée avec force. Lorsqu'il bondit hors de la garnison, il crut que le plus dur était derrière lui. Surprise par la fraîcheur matinale, elle se frotta les mains. D'un regard, elle salua cette fenêtre à l'angle où Étienne, Hugo et Valentine dormaient sans se douter de quoi que ce soit, avant de déguerpir.

« J'aurai quand même pu leur laisser une lettre, » regretta-t-il.

« Et pour dire quoi ? répliqua sa petite voix intérieure. Que tu es désolé ? »

ALLÉGEANCE {Tome 1} Les Murmures du BastionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant