Chapitre 4

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 L'Ombre était sur ses talons. Martin accéléra la foulée, tentant vainement d'échapper aux grognements de la bête dont la cavalcade se rapprochait dangereusement. Sa main ne lâchait pas celle de sa mère dont il ne se souvenait pas qu'elle fut si petite. Ses longs cheveux d'un brun chatoyant dansaient autour de son doux visage déformé par la peur. Son entêtant parfum orangé s'élevait dans les airs, et c'était certainement lui que suivait l'odieuse créature.

Mère et fils s'enfoncèrent dans la forêt. Au-dessus d'eux, la lune semblait les suivre du regard, astre de mauvais augure. Martin accéléra encore sa course. Il ne pensait qu'à une chose : les sortir de là, quoi qu'il lui en coûte. Il ne la perdrait pas, non. Pas cette fois.

Pas encore.

- Dépêche-toi, Maman ! s'épouvanta-t-il en sentant la présence de l'Ombre se rapprocher.

Elle lui lâcha la main, trébuchant contre une encornure dans le sol. Martin se retourna et se figea. L'Ombre était parvenue jusqu'à eux. Le monstre feula en refermant la griffe sur la cheville de sa mère. Elle hurla.

Le cœur de Martin se brisa. Il voulut la rejoindre pour la sauver, mais il ne put faire le moindre pas. Ses pieds s'étaient soudain englués dans le sol. Sa respiration s'était coupée. Sa gorge s'étrangla dans un sanglot. Sa poitrine fut enserrée dans un étau chauffé au fer blanc.

L'Ombre allait tuer sa mère.

- Maman ! Maman !

Il l'avait déjà perdue une fois, et dans sa mort, c'était comme-ci elle avait emporté une partie de lui sans pour autant qu'il puisse l'y accompagner. Tout en lui n'était plus que regrets et remords. Tous ces mots qu'il n'avait pas pris la peine de lui dire, ces étreintes qu'il lui avait refusées, ces sourires qu'il n'avait pas eut le temps de lui rendre, tout ça lui clouait encore la langue.

Non. Pas encore. Pas cette fois !

Inconsciemment, Martin leva la main. Celle-ci se recouvrit de glace et cependant, il n'en ressentit pas la morsure. Il plia les doigts, serra les dents, et se concentra...

Au loin, apparu une silhouette petite et trapue, malgré tout sublime dans un long manteau noir orné de broderies d'argent. Troublé, Martin croisa son regard bienveillant. Il sentit quelques larmes émues glisser le long de ses joues.

Ces yeux appartenaient à un homme aux traits doux, et au sourire tendre. L'inconnu l'encouragea d'un signe de tête, avant de lever la main à son tour. Il semblait vouloir le rassurer et lui indiquer comment maîtriser son don. Martin se concentra. Un souffle glacé s'échappa d'entre ses doigts et se déploya, repoussant l'odieuse apparition.

Et puis plus rien. Le vide. Le monstre, sa mère et l'inconnu avaient disparu. Ne restaient plus que ce bois sans fin, et cette brume gelée qui se faisait plus épaisse à chaque instant. Et Martin se sentit soudain bien seul, et triste. Incommensurablement triste...


*


Martin se réveilla aux premières lueurs du jour. Passant une main sur son front brûlant, il expira bruyamment avant de rouler sur le côté.

Il ne pouvait réécrire le passé que dans le secret de ses songes. C'était une douce torture qu'il ne cessait de revivre à chaque fois qu'il fermait les yeux, et qui n'avait pour conséquences que de l'accabler davantage. Car au petit matin, rien n'avait changé.

Sa mère était partie depuis des années, dévorée par des Ombres, et le jeune rafleur n'y pouvait rien. Il avait pourtant essayé si longtemps de cadenasser sa douleur, de tout retenir ne serait-ce que pour continuer à vivre. Mais à chaque rêve, c'était comme-ci quelqu'un lui arrachait de nouveau le cœur. On disait pourtant que le temps arrangeait tout. Il eut un rire amer. Si c'était vrai, alors le temps était sacrément en retard !

ALLÉGEANCE {Tome 1} Les Murmures du BastionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant