Chapitre 11. Mirage Toxique

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Chapitre 11. Mirage Toxique

Hélène

Sans surprise, ma maman est partie. Les vêtements que je lui ai jetés à la figure traînent désormais au sol. Parmi eux, je choisis en guise de pyjama mon tanga et... Le tee-shirt d'Eythan. Encore et toujours lui. À croire qu'il a fait exprès de me le donner pour que je pense à lui. Quel arnaqueur !

Je le presse contre ma poitrine et me rappelle du moment où il me l'a offert, un sourire sur mon cœur. Il m'a guidé jusqu'aux toilettes, s'est déshabillé pour m'éviter une mort par hypothermie et n'a pas lâché ma main jusqu'à notre retour au collège. Je crois que je chérirai ces souvenirs jusqu'à ma fin.

Parmi la flaque de vêtements que j'ai la flemme de plier se trouve mon téléphone, en partie caché par mon soutien-gorge. Je le ramasse et constate que deux messages m'attendent. Un de la part de ma mère, déclarant qu'elle et mon oncle sont partis à la maison me chercher des vêtements. Elle conclut sur des smileys très évocateurs de la nature de ces habits.

On dirait vraiment plus une grande sœur qu'une mère. Vu ce que les filles du collège racontent dans les vestiaires, tous les parents n'ont pas autant de motivation quand il s'agit de la vie intime de leur fille. Ils ont surtout presque le double de l'âge de ma mère. Je la supplie de ne pas cambrioler de sex-shop, ravie d'entretenir une relation aussi détendue avec elle.

Un autre message m'attend. Mon cœur s'affole en lisant le nom du contact. Si mon camarade m'a envoyé un message sur le même ton que celui de ma mère, je crois que je vais exploser mon téléphone contre le mur. À moins que ma tête n'explose avant.

« Promets-moi de ne pas ouvrir ce cadeau avant le 25. »

Quel cadeau ? Mon regard surexcité parcourt ma chambre à la vitesse d'un faucon. Les os de ma nuque craquent sous la surprise. Mon mouvement n'était peut-être pas le plus malin... Eh !

Un paquet jaune décoré de nuages repose sur mon lit. Zut ! Quand je pense qu'Eythan me l'aurait donné en mains propres si je n'avais pas perdu de temps à pleurer... J'enrage ! Je n'ai même pas pu lui déclarer qu'il offre un cadeau à un cadeau !

Baigner dans les regrets et les remords revient à jeter par les fenêtres la ressource la plus précieuse qui soit. L'argent se regagne, les entreprises et relations se reconstruisent, les individus naissent. Le temps est incontrôlable. Rien ne se perd, rien ne se créé, l'avenir devient souvenirs.

Dieu sait pourquoi Eythan m'a offert ce cadeau aujourd'hui si je dois attendre treize jours pour l'ouvrir. Peut-être observe-t-il ma patience pour savoir si je correspond à ses critères. Dans ce cas, je ne dois absolument pas faillir à ma mission ! C'est une question de vie ou de mort ! Mais pourquoi il ne me l'a pas offert avant que je m'effondre ? Quelque chose cloche, quelque part.

Peut-être n'est-il pas totalement sincère avec moi. J'imagine qu'il m'a parfois menti pour me protéger ou pour que je ne fasse pas dérailler la suite de son plan. Mais maintenant que la prise d'otage est derrière nous, je veux des réponses.

Je ne veux pas construire une relation sur des mensonges. Alors j'imagine que je ne dois rien lui cacher non plus. Faire le premier pas vers lui.

« Il y a quelque chose que je ne t'ai pas dit... Lorsque je suis descendu au rez-de-chaussée, j'ai découvert tous les adultes bloqués dans la salle où on les avait trouvés. Ils m'ont dit que peu après ton départ, deux nouveaux intrus ont débarqué et, après avoir sorti le cadavre, les ont à nouveau enfermés. »

Je ne sais pas comment il va réagir. Tout le monde est à l'abri maintenant, mais et si ces deux intrus décidaient de se venger sur Eythan ? Selon les adultes, ils les ont débarrassés du corps sans la moindre émotion alors j'imagine que je me fais du souci pour rien... Mais s'il prenait mal que je le lui ai caché pendant autant de temps ?

Le risque devait être pris. Une relation basée sur des mensonges ne pourra jamais bien finir. J'ai fait ma part, je lui demanderai de faire la sienne demain. Il est plus que l'heure d'aller au lit...

***

Je n'arrive pas à être excitée ce soir. J'ai beau faire le nécessaire ; j'ai beau faire comme d'habitude ; j'ai beau imaginer ce qu'il y a de mieux, rien n'y fait.

Mon corps reste tiède et mon attention, concentrée sur demain. En tant que sauveurs de tous les otages, on sera interrogé ensemble par les autorités ; on se confiera ensemble sur notre état psychologique. Bref, on est condamné à passer du temps ensemble.

Si on le veut ; je le veux et j'espère qu'Eythan le souhaite aussi ; on continuera de s'amuser en parlant de tout et de rien. On n'aura plus à s'interrompre et à craindre pour nos vies. J'espère vraiment qu'il a envie de continuer notre relation. Il est le remède de toutes mes névroses. Que ferais-je sans lui ?

Ma gorge se noue à cette simple pensée. La douleur conquiert mon cœur et la terreur brise mon esprit. Non... Je ne veux pas d'une vie sans lui. Pour me calmer, je n'ai d'autre choix que de penser à lui. Puisque je suis trop faible et lâche pour lui céder toute l'inquiétude qui me ronge lorsqu'il me manque, autant que tout reste imaginaire. Mon imagination est un poison : véritable, addictif, écœurant, indispensable.

Un poison triste. Je mets un pied dans les sables mouvants que sont ces rêves solitaires. Pas vraiment par envie de l'avoir à mes côtés, mais par peur. Par lâcheté. Par faiblesse. Je n'ai pas la force de quitter ce lit pour le rejoindre. Pas le courage d'affronter mes sentiments à la réalité.

Que se passerait-il si ce n'était pas réciproque ? S'il me riait au nez ? S'il disparaissait de ma vie ? Si aucun de nous ne trouvait jamais me courage ? Si je devais me voiler la face toute ma vie ? S'il en trouvait une autre ?

Que se passerait-il si je gâchais tout en me déclarant trop tôt ? Choisir et ne pas choisir risquent tous les deux de me briser le cœur. C'est le premier garçon que j'aime. Je ne sais pas comment faire. La peur me paralyse.

Agir maintenant peut devenir le plus grand de mes remords. Ne jamais agir va devenir le plus grand de mes regrets. La réalité est cruelle. Chaque choix va me nuire ou conspire à me nuire. La vérité est blessante, la réalité cruelle, le bonheur une illusion. Un mirage toxique, mais tellement plus facile et moins effrayant.

***

Il me suffit d'imaginer Eythan se rapprocher de moi pour que la magie opère. Il me suffit d'imaginer le sourire charmeur de mon copilote pour en attraper un. Paraît-il qu'il n'existe que quatre types de sourires : joyeux, ironique, amusé et amoureux.

Quelle est la nature de celui que je porte ? J'ouvre le débat. J'invite Eythan à répondre à cette question avec moi.

De l'eau coule, pas sous les ponts.

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