Chapitre 7. Faire la Paix

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Chapitre 7. Faire la Paix

Hélène

Eythan... Ses pouces caressent le haut de mes hanches. Ses doigts dans mon dos collent nos torses, plus que de raison. Son cœur en résonance avec le mien, ma tête se dépose sur son épaule. Mes lèvres face à sa nuque. J'aimerais que cet instant devienne l'éternité.

Il prend de grandes inspirations avant de tout relâcher en douceur. Je l'imite avec conviction. J'évacue un peu d'air, mon souffle atteint sa peau et mes yeux se closent. La douceur du coton de son sweat, son odeur de dingo mouillé et la régularité de son souffle m'apaisent.

J'oublie peu à peu tout ce qui me tracassait. Sa main gauche bascule dans le creux de mon dos. L'autre parcourt mes cheveux, des pointes aux racines. Arrivé en haut, mon cœur sourit. Il caresse ma tête avec tant de délicatesse, de douceur et d'amour...

Eythan accomplit, encore une fois, un exploit. Mon attention ne se porte plus sur le poids écrasant de cette culpabilité. Une culpabilité dûe à un massacre dont je suis responsable. Que j'aurais pu éviter. Un massacre injuste et injustifié. Causant des traumatismes à vie à mes camarades. Camarades que je pensais protéger. Je suis horrible.

Mon sourire flanche et ce petit croissant de lune s'inverse. Je crois que je vais pleurer. Eythan me prête son épaule et pourtant les larmes montent. Quelle faiblesse je lui inspire... Mais... Mais... Toutes ces détonations assourdissantes... Tous ces humains dont on a brisé l'espoir... Tous ces humains dont on a tué la flamme... Tous ces humains dont on a supprimé l'existence... Tous condamnés avant qu'ils puissent faire face à leurs peurs, avant qu'ils puissent atteindre leurs rêves, avant qu'ils puissent trouver la paix.

Mes sanglots transcendent mes yeux, mon visage, tout mon corps. Corps proche de celui d'Eythan. Je n'arrive même plus à le désirer ; tout mon esprit est occupé à me détester. Mon amertume dépasse même mes sentiments pour Monsieur. Je ne peux plus que regretter, m'en plaindre et être encore plus malheureuse, consciente de ma faiblesse. Les larmes montent quand l'amour-propre sombre.

« Hélène...

Ma tête sur son épaule, les yeux embrumés, je ne distingue rien de lui. Le ton de sa voix suffit à exprimer ses émotions. Profondément attristé. Un nœud se forme dans ma gorge. Comme si mes cordes vocales étaient emmêlées, je peine à articuler :

– Ils... Ils sont tous morts...

Mon âme se déchire en deux.

– Hélène...

Mes pieds dérapent et seule la main d'Eythan m'évite de trébucher. Ne touchant plus le sol, mon corps entier repose sur mon compagnon. Il avance, les mains tremblantes et raccourcit petit à petit la distance séparant mes fesses du carrelage. Dois-je mon manque d'équilibre à une flaque d'eau ou à mon manque de force ? Une fois formulée, la question ne se pose plus. Les paumes vers le ciel, dos au mur, je ne peux que faire face à la vérité.

– J'ai tant de sang sur les mains... »

Dans un chuchotement, dans un sanglot, dans l'apogée de ma détresse, j'ajoute :

« Je devrais les trancher...

– Hel... On a fait le nécessaire pour sauver nos camarades. Et maintenant, ils sont sains et saufs. Grâce à toi. Tu peux passer ta vie à le regretter ou faire la paix pour pouvoir t'amuser à nouveau. À toi de trancher. »

Est-ce qu'il m'a entendu ? C'est bien possible. Même perdue au fin fond d'un désespoir sans fond ni fin, il est là. Il est toujours là. Toujours là pour m'apaiser ou me redonner espoir. Ce n'est plus juste un flirt dans des circonstances très particulières. Il s'agit de quelque chose de bien plus puissant.

Eythan et l'infirmière sont désormais accroupis, face à moi. La main de la dame vient saisir la mienne alors que mon regard se porte sur mon camarade.

« Mais... Comment faire la paix ? »

La douceur des caresses de la professionnelle égale presque la faiblesse de ma voix.

– Ma chérie... Personne n'a la réponse à cette question. À part Dieu, peut-être... C'est dur, mais il va falloir que tu sois forte. Sache que toute l'équipe de l'hôpital est là pour t'aider, en pleine nuit comme en pleine pause repas. Tu sais, j'ai un diplôme en psychiatrie et pourtant on m'a relégué à l'accueil, alors imagine toute l'aide que peut t'apporter un spécialiste ! Tout ira bien, je te le–

Le regard d'Eythan me quitte pour fixer la femme avec un certain dédain.

– Quelles conneries ! Désolé hein, mais tes études m'ont l'air merdiques. La théorie c'est rigolo mais c'est pas très utile. Moi, moi j'ai passé des années sur la réalité du terrain. J'ai vu tous ces êtres malheureux s'accrocher à l'idée d'aller mieux. J'ai vu dans quels travers ils sont tombés. C'était vraiment pas joli. »

Ses yeux se perdent dans le vide alors que je suis suspendue à ses lèvres. Ce n'est ni de la tristesse ni de l'épouvante ni des regrets que je lis sur son visage. Il s'agit de déception.

« J'en ai vu réussir. Douze ou treize. C'est pas énorme comparé à un milier. Mais ils ont tous réussi avec les trois mêmes principes, alors ce ne doit pas être si difficile de faire la paix. »

Eythan attrape l'emballage des sandwichs et pose une extrémité sur ma jambe, une autre sur le sol.

« Mange, concentre-toi et fais la paix. J'ai confiance en toi, Hélènouch. »

Ce surnom m'arrache un petit sourire. C'était sûrement son unique but d'ailleurs. Eythanouch sonne bien mieux. Sans plus attendre, sa main droite se dépose sur ma joue. Sans plus attendre, il embrasse mon front d'un petit baiser. Sans plus attendre, mon cœur s'embrase.

L–La dernière fois qu'il a agit ainsi, je m'en allais au devant de la Mort. Je mettais ma vie en jeu avec de bonnes chances de perdre. Me croit-il à ce point en danger ?

« On va te laisser tranquille un peu de temps, d'accord ? On reste dans les toilettes, mais ne t'occupe pas de nous. En plus, j'ai quelques questions à lui poser. »

Mon camarade échange un regard entendu avec l'infirmière. Elle acquiesce et se relève en même temps que lui. Elle n'a pas dû prendre la critique de ses cours personnellement. Preuve en est que les études de médecine sont de moins en moins appréciées parmi les anciens étudiants. Mon camarade se tient désormais debout, prêt à me tourner le dos. J'ai la vive impression qu'il me manque quelque chose. Mon cerveau fonctionne à deux cents pour cent pour trouver quoi.

Je ne sais toujours pas comment faire ! Je force sur ma voix pour être sûre qu'il m'entende :

« Comment faire la paix ? Dis-moi !

Eythan se retourne un instant. Ses yeux, comme son sourire, brillent de malice.

– Regarde tes messages. »

L'infirmière le suit dans l'autre bout de la pièce, à portée de ma vue. Quant à moi, je sors mon téléphone de ma poche. Je n'en reviens pas. Je le verrouille et déverrouille plusieurs fois. Pourtant, ce message ne disparaît pas. Il ne s'agit pas d'une hallucination. Je lis à haute voix, pour être sûre que je ne rêve pas :

« Observation. Compréhension. Acceptation »

Je relève la tête. Eythan écoute avec attention son interlocutrice. Il n'a pas touché à son téléphone. Il ne l'a pas touché depuis que j'ai vomi. L'heure de son message confirme ce fait. Ce qui signifie qu'il me l'a envoyé avant même que je lui confesse mon mal-être. Au plus tard, il a écrit ce message devant le distributeur. Tout ce qu'il pouvait savoir est que je ne voulais pas être protégée.

S'il l'a envoyé avant, il n'a pu le faire que lorsque ma tête dépassait à peine de la cuvette. Rien ne lui permettait de savoir que ce vomi était dû à un profond dégoût. La cause aurait très bien pu être physique ! On s'est trouvé au même endroit pendant seulement quatre heures ces deux derniers jours. J'étais absente hier, j'aurais très bien pu être déjà malade !

Peu importe quand il a écrit ce message, je n'avais pas encore dit combien je me sens coupable. Je n'avais rien laissé transparaître de mon état psychologique. Pourtant, il savait que j'avais besoin de faire la paix. Il savait que j'allais me confier avant même de jeter un œil à mon téléphone. Il savait que je lui demanderais conseil.

Eythan est visionnaire ou un mystère.

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