Chapitre 24. Jeunesse

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Chapitre 24. Jeunesse

Hélène

Mon cœur explose sous la pression. Je ne peux qu'attendre la mort. Les secondes passent au ralenti. L'appréhension me tue à petit feu.

Je relève la tête. Mes paupières se soulèvent, hésitantes. La curiosité est un vilain défaut. Mais le doute est ce qu'il y a de plus déchirant. Et puis merde ! Comment pourrais-je être encore plus dans la merde ?

Evaristo ne s'adresse plus à son collègue. Son corps entier s'est tourné vers nous. Vers mon tortionnaire. Leurs bras droits soutiennent tous deux une arme. Un Glock AA pointé vers mon cœur pour l'un. Un fusil à pompe pointé vers le sol pour l'autre.

Une étrange sensation parcourt mon corps. Une étrange idée parcourt mon esprit. Evaristo serait moins dangereux s'il pointait son arme sur mon geôlier. Je tremble. La peur vient-elle de reprendre le contrôle de moi ? À moins que ce soient les frissons de cet humain qui me contaminent ?

Evaristo transcende. Sa colère est titanesque. Son aura est mystique. Sa silhouette est bestiale. Evaristo transcende. Evaristo transcende. Evaristo transcende.

Evaristo est monstrueux. Ses obstacles sont pulvérisés. Son regard est noir. Ses objectifs sont accomplis. Evaristo est monstrueux. Evaristo est monstrueux. Evaristo est monstrueux.

« On... On va se contenter d'attendre ton copain. »

Le canon mortel quitte mon dos. J'aimerais pouvoir espérer qu'il ne me touchera plus jamais. Je me sais condamnée, comme un grand-père sur son lit d'hôpital qui sait qu'il ne se lèvera plus jamais. On ne m'a accordé qu'un sursis. Je mourrais avant de sortir de ce bâtiment. Plus rien n'a d'importance. Tout ce qu'il me reste à faire est de profiter du moment présent. Faire ce que j'aurais fait sans la pression de ce tic-tac incessant.

« Pars d'ici.

Si je n'étais pas condamnée, je me serais précipitée de récolter des informations utiles. Comme un grand sage a dit un jour, rester fidèle à soi-même est le meilleur moyen de ne jamais se tromper.

- M-mais... Et cette fille ?

- T'es un bon gars. Pars avant de te faire descendre. Ce crétin veut en découdre, c'est son problème. Tu n'as rien à faire avec ces animaux cruels. Quand je pense qu'ils ont tiré sur cette pauvre fille innocente... Certains ont volé, tué et tenté de violer. Tu n'as pas à les venger, ils ont eu ce qu'ils méritaient. Pars, je t'offrirai ce que ces idiots t'ont promis.

Quelque chose cloche. Je ne saurais pas dire quoi précisément mais... C'est comme si Evaristo jouait un rôle. Comme s'il essayait de se rendre plus humain. Pour une personne hors de leur conversation telle que moi, ses insultes sonnent creuses.

Cette chose me saute aux yeux. Evaristo sait que je lis sur leurs lèvres. Il joue sur le fait que seul mon geôlier n'a pas accès à la conversation. En plus de manipuler l'intrus à lunettes tel un marionnettiste, il s'adresse à moi. Il m'assure qu'ils ont mérité leur sort alors que c'est parfaitement faux. Il m'assure que la rousse n'a pas été violée alors que moi-même, je n'en sais rien. Il me provoque.

- ... Et toi ?

- Je ne risque absolument rien. »

Ses mains gantées toquent à plusieurs reprises sur son fusil à pompe. Son regard se porte sur moi, comme pour certifier à l'intrus à lunettes que la situation est sous contrôle. Si c'était vraiment le cas, rester ici ne représenterait aucun risque. Troublé jusqu'à l'os, il ne remarque pas cette incohérence.

Il se contente de traverser le couloir, les poches débordant de matériel médical. Il se contente de marcher, tentant tant bien que mal d'ignorer mon existence. Il se contente d'aller soigner Flora aussi bien qu'il le peut, avant de disparaître à tout jamais de ce bâtiment infernal.

Le test de grossesse d'une femme « vaginalement peu sociable » sera toujours plus positif que moi. Mais j'ai raison de ne pas voir la vie en rose ! Oui j'ai envisagé de mourir dans d'atroces souffrances à la seconde où ils ont débarqué, mais ça sera bientôt le cas... Il a fallu l'intervention miracle d'un individu à l'autorité divine pour seulement repousser l'échéance.

Je regrette un tas de choses. Peu importe ce que l'avenir réserve. Je n'ai pas pu faire tout ce que je voulais. J'aimerais tant revenir en arrière. J'aurais dû me rapprocher d'Eythan, bien plus tôt. J'en ai eu l'occasion pourtant ! Pendant cette sortie à Angoulême... Pendant cette partie de loup-garou où nous étions amoureux... J'ai eu peur de ce garçon si étrange et si brillant. J'ai eu peur de ce que les autres auraient pensé de me voir avec lui. J'ai eu peur de tout.

Je ne regrette qu'une chose : m'être laissée guider par mes peurs. Peureuse du danger pour mes camarades, j'ai rejoint la réserve. Peureuse de la potentielle déception de ma mère, j'ai obéi aux plans meurtriers d'Eythan. Peureuse qu'il trouble mon âme ou ma place dans la classe, je n'ai pas cherché à me rapprocher de ce sourire énigmatique.

Je regrette que je ne puisse plus jamais créer de regrets. Plus de regrets, plus de remords, plus d'erreurs. Je vais perdre tout ce qui fait mon humanité. Devant Eythan. Je vais disparaître. Devant Eythan. Le moment est venu pour moi de payer les pots cassés. Je n'ai que ce que je mérite. Je le comprends et l'accepte presque. Mais... Savoir qu'il va assister à ma mort me brise le cœur.

La vie a besoin d'espoir pour exister. On m'a accordé quelques minutes supplémentaires. Cela ne suffit pas pour sombrer à nouveau dans l'illusion. Je suis toujours condamnée, pas de doutes. Je me demande seulement pourquoi Evaristo a choisi de prolonger mon existence.

Il est incompréhensible. Sa voix mystique. Sa silhouette divine. Ses yeux simples. Leurs étoiles espiègles comme Eythan. Il est incompréhensible. Sa voix sauvage. Sa silhouette démoniaque. Ses yeux noirs. Leurs étoiles furieuses comme la Violence. Il est incompréhensible. Tantôt clément. Tantôt cruel. Est-il... Est-il en deuil, lui aussi ?

Je ne parle pas de Flora. Je souhaite de tout cœur que l'hémorragie ne lui soit pas fatale. Sa peur la pousse à refuser de voir la vérité en face. Mais elle est innocente. Je la connais. Je crois Evaristo.

Juste avant de m'évanouir, sa présence m'a mis des bâtons dans les roues. Mais ce n'était pas sa volonté, je la connais. Elle s'inquiétait pour son petit frère asthmatique. Elle mérite de vivre. Contrairement à moi.

Nous n'avons pas la même couleur d'yeux, de cheveux, et de lèvres. Sa famille dénombre plus d'enfants que d'adultes. Je suis fille unique. Elle a le numéro de tous les troisièmes. Mes tripes se tordent pendant mes exposés. Elle enchaîne les conquêtes. Eythan est le premier à me plaire. Pourtant, nous faisons partie d'un même groupe : la Jeunesse.

Nous ne sommes pas juste des adolescentes. Nous ne sommes pas juste mineurs. Nous ne voulons pas nous conforter dans les règles. Nous choisissons de devenir des lions braves plutôt que d'être des moutons soumis. Nous sommes la Jeunesse.

Nous choisissons la liberté tels des pirates, même si le monde entier doit nous traquer. Nous choisissons de toujours suivre notre cœur peu importe si on doit en saigner. Nous choisissons d'agir au mépris de l'attrait des récompenses et de la crainte de la punition. Nous choisissons de toujours être justes. Nous choisissons de vivre, au mépris du danger.

Nous choisissons de vivre dans un monde incontrôlable, imprévisible et effrayant mais un monde beau, authentique et libre.

Nous avons tous un Atlas* en nous. Nous sommes tous condamnés à soutenir nos idées et nos droits, parce que personne ne le fera à notre place. Tous sont condamnés à disparaître un jour, mais la Jeunesse choisit de faire régner la Paix, la Liberté et la Justice.

Flora, Alice, Essaim, Eythan et moi, nous faisons partie de la Jeunesse. Nous faisons de notre mieux et pour le mieux, tant pis pour les dangers, tant pis pour les règles, tant pis pour ces oppresseurs haineux.

Ce n'est ni ces hommes ni leurs armes qui me condamnent à mourir dans les prochaines minutes. Je suis condamnée parce que je fais partie de la Jeunesse. Parce que j'ai choisi de protéger mes camarades innocents. Parce que j'ai refusé le règne de la terreur. Parce que ce monde est à l'image de mes sentiments pour Eythan.

Pour ma fin, pas de film repassant le fil de ma vie, juste un dernier moment de lucidité avant de quitter cette planète.

BANG !

Atlas est un titan de la mythologie grecque condamné à porter sur ses épaules la voûte céleste pour l'éternité.

AscensionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant