Kalies - Tome Premier

Chapitre 29

Tout contrat professionnel se déroulant sous Certificat de Capacités d'Activité Professionnelle invalide entrainera pour la personne se révélant néostème incriminée une interdiction d'exercer de trois ans ainsi qu'une amende de 1500 iantes pour l'employeureuse signataire.

Art. 241-4 C3PM

(Code pour la Protection des Populations Melkiennes)

Derrière le rideau de fer, le magasin baignait dans la lumière froide des néons. Perceval s'était appuyé à son comptoir. Le visage tiré vers le sol, accablé par les vestiges de son angoisse, il ne quittait pas l'écran de surveillance des yeux. À l'intérieur, Erin, lovée contre Tesse, tremblait et pleurait, pendant que son amie la consolait. Le vieil homme luttait pour ne pas courir les rejoindre ; une partie de lui le sommait d'attendre, l'autre soulevait une colère noire entre ses côtes — une déception peut-être — couplée à une inquiétude criante. L'unité des minutes au bas de son écran prenait un malin plaisir à le faire languir. Perceval s'imposa un quart d'heure avant de rejoindre les deux femmes ; l'attente entre chaque changement de chiffre s'agrandissait de manière exponentielle, si bien que la dernière le crispa si fort que ses dents serrées grinçaient à en rayer les vitres. Enfin, vingt-deux céda sa place à vingt-trois, et Perceval sauta sur la porte. Erin s'était calmée, du moins son corps n'était plus secoué ni de sanglots ni de tremblement, mais son visage se creusait de fatigue et de peur. Elle se crispa à sa venue, alors que Tesse leva des yeux navrés vers lui. Le vieil homme restait muet de dépit. Il considéra sa jeune protégée, ses mensonges et son propre mécompte sur l'ampleur des dégâts causés par le CSA ; il tourna la tête vers le reste de glace dont la fonte coulait le long des plaintes. Une partie glissait sous la porte. Impossible d'en décrocher le regard. Les gouttes sinuaient sur les parois translucides, il les voyait déjà suivre les joints du carrelage du magasin, prêtes à les trahir. Erin affronta Monsieur Lacroix, dont le silence pesait à les étouffer. Le vieil homme restait immobile, son dos et ses épaules semblaient écrasés par chaque nouvelle goutte sur le sol. La jeune femme se redressa ; Monsieur Lacroix serra les poings en entendant le froissement de ses vêtements.

« Perceval, je —

— Montez toutes les deux. » trancha-t-il.

La sècheresse de sa voix cloua Erin sur le sol. Il ne montrait jamais une telle rigidité ; même dans son rôle d'employeur, il habillait ses demandes d'un ton bienveillant. Le vieil homme ne prit pas la peine de vérifier si les deux femmes respectaient ses ordres. Sans un mot, il les contourna pour s'emparer de chiffon, de balais et de sceau. Erin s'apprêta à lui proposer son aide, mais Tesse la tira gentiment par le bras.

« C'est pas le moment. » lui souffla-t-elle.

Penaude, la jeune femme se laissa alors mener jusqu'à l'appartement.

L'esprit d'Erin alternait entre des réminiscences d'angoisses et des pointes de tristesse quand la voix de Perceval dépassait les pas d'Ezon. Tesse glissa ses doigts sur son front pour en dégager les cheveux. Erin releva les yeux vers elle dans un sursaut de lucidité. Assise sur le canapé aux côtés de son amie, deux verres vides sur la table basse témoignaient d'une absence de quelques minutes.

« J'ai dû y aller trop fort, tu dois être confuse. » s'excusa Tesse.

Erin laissa retomber son visage entre ses paumes. Tesse continua de regrouper ses cheveux au creux de sa main. Erin sentait ses ongles effleurer son crâne à chaque mèche récupérée. Pendant son ouvrage, la militaire observait les épaules de son amie se soulever au rythme de sa respiration. Elle redessinait la silhouette de cet homme sur l'écran, entre-aperçu avant qu'il ne sorte du magasin ; un laps de temps trop court pour confirmer ou non les craintes de sa camarade. Erin massait ses tempes, ses paupières gonflées reprenaient leur couleur naturelle, tout comme le bout de son nez, rougi par les pleurs. Malgré tout, ses poignets tremblaient encore.