Chapitre 7

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**Trigger Warning**

« La personne se révélant néostème ne peut résider à moins de seize kilomètres de l'adresse de résidence de saon tuteurice. La Cité de résidence de la personne se révélant néostème ne peut donc être différente de la Cité de résidence de saon tuteurice. »

art.212-3, C3PM

(Code Pour la Protection des Populations Melkiennes)


Erin restait dans la terre, prostrée. Ses semelles s'enfonçaient dans la boue ; son dos en était couvert, ses cheveux en étaient salis. Son pantalon troué laissait apparaitre son genou qui saignait ; une de ses joues était écorchée. Des croûtes s'étaient formées sur les petites plaies près de son nez. Elle avait l'impression d'être là depuis une éternité ; pourtant vingt minutes à peine avaient filé.

Un éclair plus violent que les autres la ramena à elle. Un fracas accompagné d'un éclat étourdissant déchira la nuit. Erin décida de se relever. Elle réajusta son sac puis escalada de nouveau la balustrade. Son écharpe toujours enroulée autour du cou, elle reprit son itinéraire prévu, seule. Malgré ses efforts, Elle n'arrivait pas à ne plus penser à Meïron. Une partie d'elle-même espérait encore qu'il s'en soit sorti, qu'ils aient été séparés à cause de la glace, que les agents l'aient perdu eux aussi.

La jeune femme passa sa nuit à marcher. Elle ne s'autorisa aucune pause ; ni pour boire, ni pour manger, ni pour dormir. Elle n'avait plus qu'un objectif : atteindre le quartier résidentiel. Ils en avaient fait leur but, il restait le sien. Peut-être que Meïron allait l'y retrouver ? Ses entrailles lui répétaient qu'elle se fourvoyait ; c'était plus fort qu'elle. Ce maigre espoir lui donnait l'énergie nécessaire pour avancer. Sa capuche trempée vissée sur la tête, elle parcourait les rues d'Abriale l'estomac noué. Son trajet fut bien plus long que prévu. Une voix en elle lui criait de rester loin des rues sous contrôle vidéo, de ruser : tourner encore et encore, faire des détours, rester dans les voies les plus étroites, les moins visibles ; celles qui relient les blocs entre eux et que personne ne remarque. Certaines étaient dessinées par des maisons construites sans règles, d'autres par les vestiges des voies de l'époque ogivale ; reconnaissables par à leurs pavés usés et anfractueux.

La fatigue rendait ses mouvements douloureux, un goût âpre et une nausée constante lui coupaient toute faim. Sa gorge était serrée, ses entrailles se tordaient. Quand elle fermait les yeux, les images violentes de la fabrique lui revenaient en tête. Elle entendait encore le craquement des os, le déchirement de la chair ; l'odeur du sang et du caoutchouc lui martelait toujours le nez, ils refusaient de la quitter. Chaque souvenir lui faisait remonter un frisson glacé le long de l'échine. Ses poils se hérissaient sous le dégoût, des maux de cœur plus violents la tourmentaient. Plusieurs fois, elle avait retenu un vomissement, pour ne pas perdre de temps. Erin puisait au plus profond d'elle-même pour ne pas céder sous les vagues de détresse qui menaçaient de la faire craquer à chaque instant.

Ce fut dans un état second que la néostème foula les graviers du lotissement. La nuit avait filé, si bien qu'à son arrivée, les lampadaires s'éteignirent pour faire place à la lumière de l'aube. La pluie s'était calmée sans qu'elle s'en aperçoive. Erin était incapable de savoir depuis combien de temps l'orage avait disparu. Il ne restait de lui plus que des nuages gris qui laissaient apparaitre un ciel d'avant-jour que reflétaient des flaques lisses. Perdue, la jeune femme se retrouva face à une voie sans issue, bordée de trottoirs proprets et de parkings désespérément vides. Seule une maison avait sa petite voiture dans la cour. Aucun volet n'était encore ouvert, mais de la vapeur s'échappait d'une sortie de sèche-linge. Le lieu était aéré, une bulle d'air au milieu des rues étouffantes et des bâtiments incohérents d'Abriale.

Kalies - Tome PremierWhere stories live. Discover now