Chapitre 3

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« Tout parent ou responsable légal·e de personne se révélant néostème mineure omettant de la recenser se verra appliquer une sanction proportionnelle au délais de soustraction au Centre de Soin et d'Analyse. La personne se révélant néostème soustraite se verra recensée sur le champ et placée sous tutelle du Centre de Soin et d'Analyse.  »

art.222-5, C3PM

(Code Pour la Protection des Populations Melkiennes)


La nuit s'avançait, grise et pataude, alourdie de nuages ternes qui s'étiraient comme des chats devant les Kalies. Il pleuvait ; les gouttes martelaient les parapluies et les capes. Les plus malchanceux couraient à la recherche d'un abri, les plus courageux marchaient vite et rentraient la tête dans les épaules à chaque averse. Malgré le temps, les rues étaient animées : c'était Tanelem, jour de sortie pour les étudiants. Il fallait plus qu'un orage pour les abattre.

Erin inspira profondément et s'aventura sur la Grande Avenue. Elle referma sa veste en coton et couvrit son crâne. La pluie ne mit pourtant pas longtemps à la tremper totalement. Ses cheveux gouttaient, son visage ruisselait, ses vêtements la collaient. La jeune fille prit sur elle et marcha tranquillement, les yeux sur les pavés, jusqu'à ce qu'une foule plus dense la freine. Elle releva ses iris bleus et sentit sa poitrine se serrer. Ses oreilles bourdonnèrent. Le temps ralentit. Le CSA occupait la rue. Elle grinça des dents puis feula : « Merde, non... » Qu'est-ce qu'ils foutaient là ? Ils avaient modifié le tracé habituel de leur patrouille.

Erin jura à demi-mot puis se força à poursuivre sa route le plus calmement possible. Elle allait devoir passer, ne pas s'attirer d'ennuis, rester discrète comme toujours. Elle avança, un pas après l'autre, le visage fermé. Chaque mouvement devenait une épreuve. Ses jambes résistaient, voulaient s'enfuir. Les flaques éclatées par ses semelles résonnaient dans ses os. Les bruits de foule disparaissaient peu à peu, absorbés par l'angoisse. Sa respiration ralentit, puis se bloqua.

Les agents n'étaient plus qu'à quelques mètres.

« Ne les regarde pas. Avance » se répétait-elle.

Un pas. Le sommet de leur combinaison démesurée luisait sous l'eau. Les gants en caoutchouc chuintaient contre le manche des armes. Les caissons dans leurs dos grondaient comme des monstres à l'affût, faisant trembler les visières sombres. Un autre pas, courage. Menaçants, ils surveillaient la foule comme des geôliers. Le mécanisme des fusils cliquetait. La sécurité des crosses rotatives frémissait. Encore un. Ses muscles lui hurlaient de se dépêcher. De la buée sortait des masques à gaz. Allez ! En arrivant à leur hauteur, elle agrippa la bretelle de son sac, ses phalanges blanchirent sous la pression. Leurs masques soufflaient des bouffées assourdissantes. Continue. Un agent leva sa main. Erin sursauta. Il enclencha un levier sur son arme. Elle manqua de s'étouffer. Avance ! Elle serra les dents sur ses joues. Il serra les doigts sur le cric. Ses gants couinèrent. Un dernier. Enfin, elle les dépassa. Elle garda la cadence et poussa de toutes ses forces sur ses pieds. Le temps reprit son cours à une vitesse folle. Tous les sons environnants lui revinrent et l'agressèrent. Ses poumons s'ouvrirent alors. Ses doigts libérèrent son sac dans un craquement douloureux. Une nausée monta. Elle avait réussi.

L'angoisse lui laissa un peu de lest ; la jeune femme continua sa marche. Puis :

« Hé vous ! Arrêtez-vous ! »

Ses boyaux se tordirent, son cœur s'emballa. Un frisson glacé parcourut son échine. Erin fit volteface. Sa tension se relâcha en constatant que les agents ne s'intéressaient pas à elle. Ils étaient de dos et hurlaient à la foule de s'écarter. Des cris retentirent, la panique s'empara des passants qui coururent pour se réfugier dans les commerces. Le CSA focalisait toute son attention sur un homme qui remontait la rivière de badauds agités pour leur échapper. Ce dernier bouscula plusieurs personnes, manqua d'en renverser d'autres — Erin comprise. Tout allait trop vite. Encore secouée par cette montée d'adrénaline, elle n'eut pas le réflexe de s'écarter de son chemin. Le fuyard la percuta, s'écrasa sur le goudron et se releva aussitôt. Son regard rencontra Erin, puis sauta sur les agents. Il grogna un « merde » et se planta face à eux, une détermination de fer dans les yeux.

Kalies - Tome PremierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant