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Je courrais depuis longtemps lorsque j'entrevis le vieux manoir qui nous servait de foyer, à moi et aux autres orphelins. L'endroit était calme, il ne devait sûrement pas être là. J'entrais, faisant le moins de bruits possible et me glissais dans ma chambre. La tapisserie verte aux murs se déchirait de plus en plus, sûrement parce que je plantais mes ongles dedans, quitte à les arracher, lorsqu'il entrait. Au plafond, la moisissure faisait planer dans la pièce une odeur insoutenable, mais je n'avais pas le choix, si j'ouvrais les fenêtres, ils sauraient que je suis rentré. Quant au sol, je faisais de mon mieux pour ne pas le salir, mais la moquette puante et tâchée de mon sang rendait tout de même la pièce encore plus glauque. Mon lit était en bois, rongé par les mites et a peine solide. Je devrais bientôt enlever mon matelas troué et noircit de mon sommier. Mes affaires scolaires étaient entassées dans un coin, si je voulais réviser, je devais le faire sur mon lit ou à même le sol, faute d'avoir un bureau. Quant à mes vêtements, ils étaient proprement pliés dans un carton sous mon lit. C'étaient d'ailleurs les seules choses de propres ici...

J'entendis soudain des sanglots, un rire, et des hurlements. C'était dans la chambre de droite. Donc celle de Marcus... Le pauvre était arrivé ici il y a quelques années, et, du haut de ses 10 ans, il était sa proie préférée, sans doute a cause de son fort caractère. Avant que je vienne, c'était lui qui prenait les coups pour les autres...

Un sanglot étranglé me fit sursauté. Il était là, dans la chambre d'à côté, torturant Marcus en riant comme un fou. Ses yeux bruns étaient sans doute roulés vers l'arrière, ne laissant voir que le blanc, tandis qu'il plaquait de ses grosses mains le gamin face contre le mur.

J'étais tétanisé, bien que tiraillé entre l'idée d'aller le sauver et de risquer une fois de plus ma vie, et attendre patiemment, comme tous les autres le faisaient pour moi quand j'étais avec lui. J'entendais les coups de ceinture qu'il lui donnait, je les entendais jusque dans ma propre tête, me rappelant chaque fois ce que j'ai moi même vécu. Dans la chambre à ma gauche, j'entendais Mia pleurer. Elle aussi devait les entendre.

"Non, pitié..."

Un murmure, une seule supplication, étouffé par des gémissements et des larmes. C'est tout ce qui m'avait fallut pour comprendre ce qui se passait. Il passait au stade supérieur. Et je ne pouvais décemment pas le laisser faire. Je courais donc hors de ma chambre et me jetais sur la porte de Marcus, mais elle était fermée à clef. Je tambourinais, hurlais, le suppliais d'arrêter ! Chaque seconde qui passait était l'occasion pour lui de passer à l'acte !

Lorsque finalement j'entendis un sifflement, presque mélodieux, je m'arrêtais. Il déverrouilla la porte, me toisa de haut en bas, une cigarette au coin des lèvres, retenue par un léger sourire satisfait. Il ne dit rien, se contentant d'un regard pour me dire que j'y passerais aussi, tandis que ses mains refermaient habilement sa ceinture. Lorsqu'il ne fut plus dans mon champ de vision, je rentrais en trombe dans la chambre. Dans un coin, roulé en boule, Marcus pleurait. Nu. Fixant le bout de ses doigts en sang. J'attrapais une couverture sur son lit et la lui posait sur les épaules. Il se blottit contre moi, se balançant d'avant en arrière, ses larmes coulant en silence.

Une belle journée pour mourirWhere stories live. Discover now