La traîne de la robe ajoutait à son port de Reine, elle avait habillement noué ses cheveux dans une lourde tresse agrémentée de dizaine de perles. Eliam posa alors ses yeux sur son visage. Les pommettes rougies par l'effort, ses lèvres presque blanches d'être serrées pour ne pas hurler, ses prunelles de cendre rendues trop lumineuses par des larmes retenues. Garance d'Elenith avançait d'un pas sûr, mais elle semblait ne pas être là. Au milieu de centaines de personnes qui l'observaient, elle était nimbée d'un voile de solitude. Son regard fixé sur quelque chose qu'elle seule était en mesure de voir. Mais Eliam savait pertinemment ce que ces prunelles distinguaient. Elles voyaient ces souvenirs qu'ils s'étaient tous deux créés, ces souvenirs qu'ils avaient arrachés au destin, ces souvenirs qui leur dureraient toute une vie.

Leurs yeux se croisèrent enfin, le visage de Garance se détendit brusquement, ses prunelles se mirent à briller d'un éclat fiévreux. L'éclat d'un désir inavoué, inaccessible, inachevé. Un même besoin furieux brûlait dans les veines d'Eliam. Ils se noyèrent l'un dans l'autre, s'abreuvant des réminiscences de la nuit précédente. Eliam voulait qu'elle porte sa marque, que chaque membre de l'assemblée puisse constater que cette femme était à lui. Mais ce n'était pas ce qu'elle voulait.

Puis cet échange, à l'insu de tous, cessa. Garance était parvenu au pied des marches, Galahaad l'avait rejointe. Eliam serra les poings et musela son âme.

Le reste de la cérémonie passa comme dans un rêve. Les paroles du panseur parvenaient aux oreilles d'Eliam comme un inaudible charabia, le regard figé sur la nuque de la femme qui devait être sienne, qui épousait un autre, qui épousait son frère. Malgré la jalousie qui étreignait son cœur, il était incapable de l'arracher aux bras de Galahaad, il ne pouvait se résigner à lui enlever cette femme alors qu'il avait déjà tant perdu. Il ne pouvait être celui qui ôterait son bonheur à un frère qui lui avait tant donné. La culpabilité, la jalousie, l'envie, la rage, le désespoir. Un et mille sentiments contradictoires tourbillonnaient dans sa tête, prêts à le rendre fou. Il avait la sensation que son esprit était noyé dans une nappe de coton, seuls les battements de son cœur raisonnant dans ses tempes l'assourdissaient. Son corps semblait scellé dans une chape de plomb. Il avait l'impression de ne pouvoir faire aucun geste, que ses membres ne lui appartenaient plus.

Brusquement, une salve d'applaudissements retentit, elle rugit au fond de son crâne et le hissa hors de sa torpeur. Il vit alors son frère se retourner et s'avancer vers lui, un sourire éblouissant sur les lèvres. Le Prince Cadet répondit comme il put à son sourire, tandis que Galahaad lui donnait l'accolade.

- Souris petit frère, ce sont mes noces, pas mon enterrement.

Eliam laissa échapper un rire désabusé. Avant d'écarter son frère, en posant ses mains sur les épaules. Leurs regards azurs, si semblables et si différents se figèrent l'un dans l'autre.

- Sois heureux Gal, dit Eliam dans un sourire sans ironie.

- Je le tâcherais, mon frère, répondit Galahaad en posant sa main sur la nuque de son cadet.

- Bien, murmura Eliam en fuyant le regard qui le scrutait.

-

Galahaad lâcha son frère, puis se retourna pour prendre la main de son épouse. Eliam évita soigneusement les prunelles de cendre de celle qui était désormais sa belle-sœur.

Garance se laissa entraîner dans la foule par son mari, elle ne sut comment elle parvint ne serait-ce qu'à marcher, encore moins comment elle put rire et converser durant toute la journée, tant son âme était dévastée. Quand elle était arrivée au sommet de son ascension, lorsque la foule s'était écartée devant elle et qu'elle avait vu les deux frères côte à côte. Elle avait failli s'effondrer. Galahaad resplendissait dans la lumière éclatante du soleil d'été, un véritable roi en devenir. Eliam n'en paraissait que plus sombre, plus mystérieux, plus dangereux. Ils étaient de même stature et pourtant le cadet semblait plus imposant, son magnétisme attirait Garance comme un aimant, son regard azur la sondait jusqu'à l'âme. Il lui suffisait de voir son grain de peau halé par le soleil pour qu'une série d'images la submerge. Ses mains puissantes parcourant sa peau, leurs corps perdus l'un dans l'autre sans espoir de rédemption. La nuit précédente, elle s'était oubliée dans les bras d'Eliam et n'en regrettait aucune minute. C'est aujourd'hui qu'elle maudissait chaque instant qui la poussait vers son destin. Son cœur tambourinait à un tel point dans ses tempes qu'elle ne parvenait plus à se souvenir pourquoi elle avait accepté d'épouser Galahaad, pourquoi elle devait renoncer à Eliam. Quand elle parvint au bas des marches, que son futur mari mit sa main dans la sienne, tout lui revint .... Elenith, c'était cela son destin, se dit-elle en figeant son regard dans celui de Galahaad. Mais au fond d'elle-même une voix hurlait, intransigeante : Qu'avait-elle fait ? Comment avait-elle pu ?

La dernière fois que Garance vit Eliam, il quittait la cour du château pendant le banquet de mariage, la longe de son cheval à la main. Il semblait porter tout le poids du monde sur ses larges épaules. Dans la lumière incendiaire du crépuscule, elle mémorisa la silhouette de l'homme qu'elle n'avait plus le droit d'aimer. Elle savait désormais qu'elle ne le reverrait plus.

FIN DU TOME 1

Les Royaumes d'Eredjan 1 - La Princesse de CendreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant