Adrissa connaissait suffisamment son époux pour savoir que quelque chose s'était brisé en lui. Mais ce mariage allait détruire sa famille. Elle avait passé des mois entre les murs de ce château à observer Eliam et son otage, elle avait entendu des portes se refermer discrètement avant l'aube, elle avait surpris des regards, elle avait compris des non-dits. Eliam aimait Garance, si elle avait eu des doutes, le fait qu'il disparaisse dans cette violence peu après l'annonce de Galahaad l'avait définitivement convaincue. Quant à son fils adoptif, elle n'était pas dupe, outre la politique, elle le voyait dévorer Garance du regard. Lui, si calme, si mesuré semblait s'enflammer de désir lorsque la jeune femme entrait dans une pièce. Alors il ressemblait tellement à Eliam qu'Adrissa en tremblait. Elle en était certaine, Garance avait le pouvoir de détruire sa famille.

- Bien, je vais aller voir ton père, dit la Reine en se levant de table.

Avant qu'elle n'ait quitté la pièce, Galahaad la rejoint à grands pas et lui prit les mains.

- Mère, faites-moi confiance...J'ai besoin de votre confiance.

- Tu l'as mon fils, lui répondit-elle en le prenant dans ses bras.

Galahaad la serra contre son torse immense.

- Mais sois prudent, il y a autour de toi des forces que tu ne vois pas, des forces qui vont contre toi.

- Oui mère, c'est pour cela qu'il faut que Liam rentre, j'ai besoin de lui.

La Reine frissonna. Eliam devait se tenir loin d'Estran, de Garance et de Galahaad. Après une dernière étreinte, Adrissa quitta à son tour la pièce. Le Prince se retourna, son regard se figea sur la silhouette de Garance. La jeune femme était toujours assise, ses prunelles mélancoliques perdues dans l'âtre. Elle était distante, insondable, mystérieuse.

Les jours, puis les semaines s'écoulèrent, le printemps accompagnant le rétablissement de Galahaad. Il était désormais certain qu'il ne récupérerait jamais l'entière fonctionnalité de sa jambe droite. La situation aurait pu être plus pénible, s'il n'avait pas eu quotidiennement la présence de Garance à ses côtés. Jour après jour, une complicité s'établissait entre eux. Galahaad avait l'impression d'avoir trouvé son alter-ego. Sa beauté, son esprit, ses réparties cinglantes, la jeune femme le subjuguait à chaque instant. Il tentait de passer le plus de temps avec elle, il déployait tous ses talents pour parvenir à la charmer. Parfois, il lui arrachait un rire cristallin, éclatant. Dans ces rares moments Galahaad avait l'impression que le ciel couvert du printemps s'illuminait d'un grand soleil d'été. Mais la plupart du temps, le regard de la jeune femme était teinté d'une profonde mélancolie. Il ne parvenait à l'extraire de sa réserve permanente que lorsqu'ils se lançaient dans des débats houleux. Dans ses moments, elle s'animait toute entière, son regard brillait, ses joues rosissaient et ses mains s'envolaient dans un ballet infernal. Elle était alors plus désirable que jamais. Galahaad devait se retenir pour ne pas la saisir au creux de ses bras. Car malgré le temps qui passait, elle restait intolérante au moindre contact physique.

Chaque jour, le supplice de Galahaad se répétait : la frôler sans parvenir à la toucher, entrevoir une esquisse de sourire, effleurer son tempérament passionné habilement caché sous son masque d'impassibilité. Il tentait de soulever cette carapace derrière laquelle elle se retranchait; sans parvenir à trouver une faille. Le mystère, l'opacité de sa personnalité et de ses pensées, et le désir qu'elle éveillait en lui, lui faisait peu à peu perdre le sommeil.

Une nuit, où les heures s'écoulaient sans que Galahaad ne parvienne à trouver le repos. Il se leva brusquement de son lit, son énervement était tel, qu'il en oublia sa jambe blessée. Il gémit de douleur, quand son pied heurta violemment le sol. Il retomba assis sur sa couche le souffle coupé et envoya son poing dans son oreiller.

Les Royaumes d'Eredjan 1 - La Princesse de CendreWhere stories live. Discover now