- Garance... Garance...tu m'entends ?

Un gémissement lui répondit.

- Accroches toi, nous arrivons bientôt, dit-il en posant sa main libre sur les siennes.

Il n'avait aucune idée de ce qu'il disait, mais elle devait survivre, elle ne devait pas le laisser terminer seul le voyage. Les heures passèrent, avec pour seuls compagnons de voyage, le bruit de la neige crissant sous ses bottes et les cris des oiseaux de proie. Peu à peu, le désespoir gagna Eliam, il commençait à se demander si son père ne l'avait pas volontairement envoyé à la mort. Puis soudain un bruit étrange attira son attention. Il s'arrêta, fit stopper le cheval et tandis l'oreille. Rien. Avait-il rêvé ? Il resta figé un long moment, plein d'espoir. Puis il l'entendit .... le bruit d'une porte sur ses gongs.

- Ohé...Y'a quelqu'un ? cria-t-il de la voix la plus forte qu'il put.

Seul son écho lui répondit.

- Y'a quelqu'un ???? répéta-t-il.

Aucune réponse, mais au bout d'un moment un bruit de pas crissant sous la neige se fit entendre.

- Aidez-nous, nous sommes perdus.

- D'où venez-vous ? répondit la voix grave d'un homme.

- Nous venons du col, dit Eliam, alors qu'il se retrouvait nez à nez avec le canon d'un fusil.

- Qu'avez-vous sur les épaules ? demanda le vieil homme à l'allure de bucheron, sans baisser l'arme.

- Ma compagne de voyage, elle est mal en point, nous avons besoin d'un abri. Sommes-nous au refuge?

- Oui. Suivez moi, dit le bûcheron en faisant volte face.

Eliam suivit l'homme, en gardant la main sur sa dague. Ils remontèrent un sentier. Le jeune Prince se rendit compte qu'avec le brouillard à couper au couteau il avait failli rater le refuge. Après une centaine de mètres parcourus, ils parvinrent devant la façade de bois qu'ils avaient tant cherchée. La bâtisse de rondin s'élevait sur deux étages. Face à l'entrée, l'homme se retourna et tandis la main vers Eliam :

- Donnez-moi la longe de votre cheval, je vais l'emmener à l'écurie et le soigner. Entrez, ma femme va vous recevoir.

Eliam tendit les rênes à l'homme, puis il fit glisser Garance à terre, se retourna vivement et d'un geste la hissa dans ses bras. La jeune femme était à peine consciente. Elle nicha inconsciemment sa tête au creux de son cou. Il avança face à la porte et n'eut pas le temps de frapper qu'elle s'ouvrit sur une femme de petite taille au visage marqué par le temps. Ses longs cheveux gris étaient noués dans un chignon sur sa nuque, elle portait une longue robe brune corsetée sur le devant. Elle essuya ses mains sur son tablier.

- Mon Dieu... Entrez, dit-elle en jetant un regard ahuri aux deux compagnons d'infortune.

Elle s'effaça et le jeune homme entra. Il du se courber pour passer la porte. La pièce était chauffée par un bon feu qui brûlait dans l'âtre.

- Suivez-moi, dit-elle en s'engouffrant dans l'escalier.

Au deuxième étage, ils franchirent le pallier et prirent un long couloir, jusqu'à une petite porte. Garance blottie dans ses bras, la massive stature d'Eliam encombrait tout le corridor en hauteur et en largeur. La vieille femme ouvrit la petite chambre.

- C'était la chambre de ma fille. Déposez-la sur le lit, dit la dame, tandis qu'elle attisait le feu.

Eliam posa Garance sur le lit avec une précaution infinie, la vieille femme fut troublée de tant de délicatesse venant d'un gaillard pareil. Il lui ôta la lourde fourrure et la jeta à terre. Il tenta de remettre de l'ordre dans sa longue chevelure de jais. Son doigt glissa sur sa joue émaciée. La jeune femme gardait désespérément les paupières closes. Il avait tenu Garance de si longues heures contre lui que rompre ce contact lui semblait impossible.

- Je vous laisse redescendre à la cuisine, vous trouverez de quoi vous restaurer, dit la vieille dame en le poussant vers la porte, je vais bien m'occuper d'elle.

Eliam se laissa mettre dehors, il mourrait de faim. Il descendit et s'effondra sur une chaise, épuisé. La porte d'entrée s'ouvrit sur l'homme qui les avait trouvés dans la brume.

- Votre monture est une bonne bête.

- Je sais, répondit le jeune homme en ne levant même pas la tête tant il était fatigué, découragé, merci pour tout, dit-il en fouillant dans sa bourse accrochée à sa ceinture. Il déposa quelques pièces d'or sur la table.

- C'est rien, dit le vieil homme en s'approchant d'Eliam, mais vous m'avez l'air d'avoir besoin de boire un coup.

- Peut-être bien, dit Eliam alors que les mots avaient du mal à franchir ses lèvres.

Il lui servit un petit verre de gnôle, qu'il but d'une traite, laissant l'alcool lui brûler la gorge et l'oesophage. Il en servit un deuxième puis décrocha un jambon qui pendait au dessus de la table.

- Quelle heure est-il ? demanda Eliam.

- Il est seize heure, répondit l'ancien en lui donnant une épaisse tranche de pain noir, recouvert de jambon, buvez le deuxième verre.

Eliam ne se fit pas prier et engloutit tout ce qu'on lui donnait. Il termina par un bol de potage qui acheva de le réchauffer. Son regard se perdit dans les flammes du feu, la pièce, basse de plafond, était dotée d'une grande cheminée. La chaleur glissa sur lui, en même temps que de sombres pensées. Il savait que ce qu'il éprouvait pour la petite princesse était une aberration. Les baisers qu'ils avaient échangés appartenaient à une parenthèse. Ils étaient de retour dans la civilisation, la parenthèse devait être refermée. Il la laisserait récupérer, la mènerait jusqu'à Estran, puis reprendrait sa propre route, seul. En retrouvant ses repères, il oublierait Garance. Sa vie de marin le soignerait de son obsession. La présence de la vieille femme l'extirpa de ses pensées.

- Comment va-t-elle ?

- Elle est faible, je vais lui donner un peu de potage, le sommeil et la chaleur feront le reste, quant à vous, je vais vous préparer un bain et vous irez vous coucher.

Eliam acquiesça. Il avait beau ne pas aimer le ton autoritaire qu'elle employait. Il n'aspirait qu'à ce qu'elle lui proposait. Une heure plus tard, il était repu, propre, vêtu de vêtements qui sentait bon la lavande et saoul de chaleur et de gnôle. On lui montra le dortoir à l'entrée du deuxième étage. Il ne vit aucun autre occupant. Il s'écroula sur une paillasse et s'endormit aussitôt.

Les Royaumes d'Eredjan 1 - La Princesse de CendreWhere stories live. Discover now