Chapitre 43 - Confidences

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Lundi 2 Février 1998 :

-Je n'ai jamais accordé autant d'importance à la vie que depuis le jour où je t'ai rencontré, tu sais.

Je me tournai vers Severus, toujours assis à côté de moi, le regard perdu dans le vague. Je fronçai les sourcils. Ce n'était pas de ses habitudes de démarrer une conversation, et encore moins en employant le ton de la confidence. Néanmoins, je le laissai poursuivre, m'agrippant à son bras et mes doigts toujours scellés aux siens.

-Il faut dire qu'elle m'a donné une bonne claque ce jour-là. Je veux dire, la vie. Cela faisait six ans que je vivais dans l'ombre de moi-même, que plus rien n'avait d'importance. Un automate, voilà ce que j'étais devenu. Dépourvu d'émotions. Refoulant une blessure qui ne guérirait jamais vraiment et que je pouvais tout au mieux ignorer.

Il marqua un temps de pause. Je restai silencieuse, ne le brusquai pas. Une mince pression contre sa paume lui fit comprendre que je l'écoutais, qu'il n'était pas seul.

-Et puis, tu es arrivée dans ma vie.

Il soupira, reprit longuement son souffle avant de débuter son récit, tout en passant une main maladroite dans ses cheveux :

-Ce mardi 25 août 1987 fut l'un des pires jours de ma vie et, paradoxalement, je ne serais jamais assez reconnaissant envers Merlin de m'avoir permis de le vivre. Ce jour-là, toute la tristesse, toute la rancœur, toute la culpabilité - cette plaie béante que j'avais pris soin de recoudre - tout avait refait surface et l'indifférence dans laquelle je m'étais conforté avec bien plus de facilité que je ne l'aurais cru, me rit doucement au nez avant de tailler son chemin, me laissant aussi démuni que le jour où tout avait basculé. J'étais plongé dans mon manuel de potions, imperméable à l'ambiance chaleureuse qui régnait parmi mes collègues, lorsqu'une tornade vint tourmenter la monotonie maussade mais terriblement confortant qu'annonçait la rentrée. Si j'avais d'abord eu la brillante idée de l'ignorer, un simple regard bouscula toutes mes certitudes. Parce que, pendant un moment, un bref moment, je crus qu'une autre personne se trouvait devant moi. Une personne qui n'avait aucune raison d'être ici, une personne qui ne devait pas être ici. Un fantôme. Je clignai des yeux, une fois. Puis deux. Et je me rendis compte que ce n'était pas elle. Plus petite, le visage plus ovale, les cheveux plus longs. Ce n'était pas elle, mais ces cheveux roux et ces fichus yeux verts avaient déjà ouvert cette plaie que je m'étais évertué à dissimuler au monde. Alors, je fuis. Je m'enfermai à double tour dans mes cachots humides et sombres. Et déversai ma colère, ma tristesse. Je pleurai comme jamais je n'avais encore pleuré et fracassai tout ce que j'avais à portée de main jusqu'à ce que la force me manque, jusqu'à ce que mes yeux soient secs et ma gorge irritée. Les jours qui suivirent, je tentai de t'éviter mais je ne pouvais m'empêcher de t'observer, c'était comme si un aimant me forçait, forçait mes yeux à te regarder et à constater avec effroi les traits familiers qui hantaient de nouveau mes nuits. La Pensine fut ma plus grande alliée durant cette période. J'étais lâche, je n'avais qu'une seule envie : oublier, parce que je n'étais pas capable d'affronter encore une fois mes démons, ceux que j'avais déjà repoussés et qui menaçaient à tout moment de reprendre le dessus. J'étais comme un drogué attendant son injection ; chaque nuit lorsque je me libérais de mes souvenirs, je pouvais de nouveau respirer, j'étais de nouveau maître de moi-même. Même si ce n'était que pour de courtes durées. Je m'étais persuadé que j'allais pouvoir tenir le coup : il suffisait que je me tienne à distance de toi, que j'utilise la Pensine et tout irait bien. C'était sans compter ton étrange obstination à vouloir m'arracher mes secrets. J'avais beau me montrer odieux et exécrable, tu n'en avais cure, tu tentais sans relâche et par tous les moyens de me déstabiliser, sans comprendre que c'était déjà le cas, sous mes airs de Potionniste aigri. J'ai accepté de t'épauler pendant le cours de duel dans le seul but de t'humilier. Je voulais me persuader que tu n'étais pas comme elle, que tu étais moins bien, que tu ne la valais pas. Mais toi, à la fin de la leçon, tu vins me remercier et je quittai la salle, plus bouleversé encore que je ne le fusse en entrant. Dumbledore se doutait bien de ce que je ressentais, il l'avait deviné et, pensant m'aider, il nous désigna coéquipiers pour une nuit et cela te donna une occasion en or pour me défier. La vérité, c'était que j'étais terrifié, terrifié par ce que je ressentais, par cet aimant, ce fichu aimant qui n'avait de cesse de nous rapprocher alors que je ne demandais qu'une seule chose : rester seul. Quand tu t'aventuras dans ma Pensine, je fus pris d'une si violente colère, d'une si violente détresse que je passai à deux doigts de te faire du mal. Pourtant, face à ton regard suppliant, je fus incapable d'esquisser le moindre geste. Tu me troublais, bien plus que je ne me l'admettais et cela me mettait en rogne. Tout aurait été plus simple si tu t'étais contentée de te désintéresser de moi, comme tout le monde le faisait si bien en m'ignorant et ne m'adressant la parole uniquement dans le cadre professionnel et toujours avec retenue et froideur. Mais tu n'étais pas comme tout le monde. Tu continuais de fouiller, de me parler, de me défier du regard. Tu continuais de t'intéresser à moi. Personne ne s'était jamais intéressé à moi, personne. Que ce soit quand j'étais petit, adolescent ou adulte. Sauf toi. Et avec ton obstination sans limite, tu finis par dénicher mes failles, mes faiblesses. Ce fut cela qui me fit perdre les pédales. Cela, plus le fait qu'au même moment, je me rendis compte que j'étais incapable de produire un Patronus. Avant, il me suffisait d'imaginer son visage pour qu'une gracieuse biche émerge du bout de ma baguette. Mais maintenant, j'étais incapable de penser à elle sans que tu ne viennes interférer avec son image. Je passai des heures entières calfeutré dans mes appartements, lançant à tout-va le sortilège et te maudissant à chaque échec. Puis, vint le bal. Sans les directives de Dumbledore, je ne m'y serais jamais rendu. Ce jour-là, je m'en voulus de te trouver terriblement belle dans cette robe verte dont, aujourd'hui encore, je me rappelle tous les détails. Je sentais que quelque chose changeait en moi, mais je n'étais pas prêt à l'accepter. Pour oublier, je me plongeai corps et âme dans la mission que m'avait confié Dumbledore : celle de faire tomber le réseau de cet abruti de Selwyn. Là encore, je ne pus t'échapper bien longtemps. Ce fut lorsque Macnair fut à deux doigts de te tuer que je pris conscience, du moins en partie, que je m'étais d'une certaine façon, attaché à toi. Inconsciemment. Contre mon gré. Cette nuit-là, tu m'as dit que j'étais un homme bien. Tu étais bien la première personne à me dire une telle énormité. Et la seule d'ailleurs. Mais tu y croyais, le regard que tu me lançais ne mentait pas. Après cette nuit, je fus de nouveau capable de produire un Patronus. La première fois que je vis la nouvelle forme qu'il prenait, je me mis à pleurer car je compris, enfin, que j'étais en train de faire le deuil de sa mort, alors même que je m'étais promis de ne jamais oublier, de ne jamais guérir, de continuer de souffrir jusqu'à la fin car ce n'était que ce que je méritais. Déboussolé par cette constatation, je me montrai imprudent et décidai sur un coup de tête de t'inclure partiellement dans l'Union. En réalité, je ne voulais pas que tu sois oubliettée, je ne voulais pas que tu oublies la conversation que nous avions eu dans la Forêt. J'agis égoïstement, mais je ne pus m'en empêcher. Évidemment, tête brûlée comme tu étais, tu acceptas. Dans le couloir ce jour-là, je manquai de t'embrasser. Je commençai à perdre le contrôle de moi, cela ne me plaisait pas. Je n'avais jamais ressenti cela, jamais sauf pour une seule femme. Je priai toute la nuit que Lily me pardonne pour ce que je ressentais, j'étais honteux mais, au fond de moi, il y avait quelque chose qui grandissait et qui me faisait du bien, malgré mes réticences. Les cours particuliers que je devais t'enseigner furent encore une occasion de tester tes limites. En te poussant à bout, je voulais que tu exploses, que tu me haïsses, que tu cesses de venir. Je pensais qu'ainsi, j'arrêterai de me sentir coupable. Mais rien n'y fit. Toujours la tête haute, tu revenais. Tu apprenais vite, tu m'impressionnais même si je me gardais bien de te le dire. Le temps passant, je me pris à apprécier tes venues, la culpabilité était toujours là mais à défaut de sa disparition, je m'étais habitué à elle au point de pouvoir délibérément l'ignorer quand cela me chantait. Pendant un long moment, mes nuits furent agitées : Lily me hantait, elle mourrait sous mes yeux et de mes propres mains, me traitait de lâche et m'injuriait jusqu'à ce que le matin me tire de mon sommeil. Je me sentais partagé, à la fois misérable et contre toute attente, impatient que vienne la soirée car un nouvel entraînement avec toi m'attendait. Évidemment, je ne fis rien paraître. J'étais passé maître dans l'art de feindre l'impartialité en toute occasion, même en cas de vives douleurs. De toute manière, je pensais bien que ton intérêt pour ma personne finirait bien par disparaître un jour. C'est aussi pour cela que je t'inclus dans la mission en insistant auprès de Dumbledore : je voulais profiter de toi, autant qu'il m'était permis de le faire. C'était égoïste, et j'en étais conscient. De toute manière, je ressentais déjà suffisamment de culpabilité vis-à-vis de Lily pour me formaliser sur une raison de plus pour m'auto-flageller. Puis, vint la première mission. Ce fut la première fois que nous fûmes réellement en danger et ce fut aussi la première fois que je me rendis compte à quel point ta vie comptait à mes yeux. Je voulais te protéger, coûte-que-coûte et paradoxalement, je venais de te donner un rôle dans une organisation clandestine qui luttait sans relâche contre les pires malfrats qu'il soit. Un rôle que tu n'étais pas près de lâcher. J'appris via Dumbledore que tu souhaitais intégrer l'Union dans le courant de l'été, abandonnant ton poste de professeur. Je fus en colère contre le sorcier car il t'avait proposé le poste en sachant que tu allais accepter et contre moi-même car j'étais à l'origine de tout ceci. Je n'eus pas le courage de te dire que je ne voulais pas que tu te mettes en danger et je te laissai filer, comme un lâche. Dès lors, nos leçons clandestines me manquèrent, nos inlassables oppositions me manquèrent et le simple fait de t'imaginer avec les autres membres de l'Union, t'entendant sans aucun doute merveilleusement bien avec tout le monde, me prenait douloureusement le cœur. Lorsque l'on se recroisa, ce n'était plus pareil : nous n'étions plus entre les murs de Poudlard, nous n'étions plus deux professeurs. Tu étais parfaitement intégrée à l'Union, tandis que la majorité des personnes qui la composait ne pouvait pas me sentir, et réciproquement. Ce qui me fit le plus souffrir fut ton évident attachement pour ce misérable Lupin. Malgré moi, cela me ramena douloureusement en arrière et je le haïs presqu'aussi fort que j'avais haï Potter à l'époque pour tout le mal qu'il me causait. Pourtant, tu semblais te douter de rien et tu continuais de m'adresser la parole, inconsciente de tout ce qu'il se passait à l'intérieur de mon esprit et ce, dès que je croisais ton regard. Il y eut cette mission qui avait pour but de détourner les Mangemorts de St Mangouste, durant laquelle mes semblables ne m'épargnèrent pas. Blessé, délirant, mes pas me guidèrent jusqu'au QG où je savais que je te retrouverais. Fidèle à toi-même, tu me soignas et chaque geste, chaque attention de ta part, réveillait en moi des sensations que je n'avais jamais ressenti. Puis, il y eut ce baiser, auquel je ne m'attendais pas le moins du monde. Je fus pris de court, jamais encore une femme ne m'avait embrassé spontanément comme tu l'avais fait. Je paniquai, parce que je ne savais pas comment je devais réagir, parce que j'avais peur de te blesser en me dévoilant à toi. Alors je fuis, encore. Comme un lâche. Et, encore une fois, tu ne relâchas pas tes efforts pour autant. Tu me pris au piège dans cette maison désaffectée, je ne pouvais plus reculer. Je devais faire face à mes sentiments, je ne pouvais plus me contenter de les fuir. Le simple fait de partager un baiser avec toi, un vrai cette fois-ci, me procura des émotions qui me troublèrent, me mirent à nu. Cela me faisait peur, je redoutais que tout ne fut qu'un leurre, qu'un rêve. Personne ne m'avait accordé de l'attention. Personne n'avait cherché à braver mes remparts. Personne ne m'avait aimé. Personne ne m'avait embrassé. Personne ne m'avait fait l'amour. Et toi, tu es arrivée et tout a tout bousculé.

The Dove & The Crow [Harry Potter]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant